Écoutez : la Sagesse appelle, la raison élève la voix. Elle est postée sur les hauteurs, le long des routes, aux carrefours. Tout près des portes de la ville, là où l'on passe pour entrer, elle fait retentir sa voix : « C'est à vous, humains, que je parle, c'est pour vous que ma voix se fait entendre, à vous, stupides : apprenez donc à réfléchir ; et à vous, insensés : devenez des gens raisonnables ! Écoutez-moi, car j'ai à dire des choses capitales, et ce sont des paroles justes qui franchiront mes lèvres.

Or, l’Éternel me possédait tout au début de son activité et avant d’entreprendre les plus anciennes de ses oeuvres.

Moi, j’étais déjà là quand il fixa le ciel et qu’il traça un cercle autour de la surface du grand abîme. Et quand il condensa les nuages d’en haut, quand il fit jaillir avec force les sources de l’abîme, et quand il assigna à la mer des limites pour que ses eaux ne les franchissent pas, quand il détermina les fondements du monde, j’étais à ses côtés comme son maître d’oeuvre. Sans cesse, objet de ses délices, je dansais devant lui, jour après jour, jouant sur la surface de la terre, je trouvais mes délices dans les êtres humains. Maintenant donc, mes fils, écoutez-moi : heureux tous ceux qui suivent les voies que je prescris !

Proverbes 8, 1-6 puis 22, puis 27 -32 (Nouvelle Bible Segond)

hb11. « Trouvant mes délices parmi les humains.» (Prov. 8,31)

La formule est belle, elle sonne bien. La sagesse, loin des visages austères de philosophe barbu est ici représentée par une figure féminine joyeuse qui trouve ses délices parmi les humains. Cette formule est tout sauf anodine. N'est ce pas une gageure d'arriver à trouver son délice non pas en s'extirpant de la cohue de la vie quotidienne où ça râle, ça revendique, ça sermone, mais en s'y investissant ?

Eh bien, c'est cette gageure que j'aimerai creuser avec vous ce matin. Trouver son délice parmi les humains, dans la cohue humaine... Qu'est-ce que cela veut dire ?? Attention, ici le défi ne consiste pas à trouver du plaisir dans ce qui rend le quotidien imparfait, les invectives, l'aggressivité... Ce serait malsain.

C'est plutôt resituer toutes ces imperfections dans un ensemble plus vaste, au point que ces attitudes ne nous empêchent de prendre conscience de tout le reste qui est là et que souvent nous ne voyons pas obnubilés par l'accroc.

2. Il y a un point dans ce texte qui nous met dans de bonnes dispositions pour relever ce défi. La sagesse trouve son délice parmi les humains, lorsqu'elle réalise que les humains auraient bien pu ne jamais être. Dans ce passage, on nous parle beaucoup de la création du monde. Or parler de création renvoie à une prise de conscience : celle que tout ce qui existe n'a rien d'une évidence. Pour que la vie se développe jusqu'au stade de l'humain avec sa conscience, il a fallu tout un ensemble de circonstances qui n'ont rien d'une évidence.

Il a fallu qu'un équilibre se fasse et que cet équilibre soit stable pour permettre à la vie, qui au début n'était que cellulaire, de se développer ; de se développer jusqu'à produire un animal marchant sur deux pattes, un animal faible et vulnérable, mais disposant d'un cerveau et d'une sensibilité le rendant capable de trouver les ressources pour vivre, survivre et s'adapter à toute sorte de milieu.

Si la sagesse trouve ses délices parmi les humains, c'est parce qu'elles les regardent chacun, chacune, comme une créature qui aurait tout à fait pu, ne jamais exister. Rien n'est acquis, rien n'est dû. Ce qui est, aurait très bien pu ne pas être. Cependant parce qu'il est, je peux me réjouir de ce pur donné.

3. Et je peux me réjouir d'autant plus face à une vie humaine lorsque je réalise que cette dernière pour arriver au stade où elle est arrivée a vécu une enfance, une adolescence, un âge adulte qui ont forgé son identité particulière.

Précisément là, le délice n'est-il pas de découvrir peu à peu le caractère unique de cette vie ? Une vie qui aurait très bien pu prendre d'autres chemins qu'elle n'a fait, mais qui est unique justement parce qu'elle a pris ces chemins là. Le délice n'est-il pas quand au delà d'un spécimen d'un espèce humaine, nous découvrons chez cette personne son visage ? Ainsi trouver son délice parmi les humains s'ancre dans cet état d'esprit : un profond respect pour ces vies qui auraient très bien pu ne pas être et qui sont uniques.

hb24. Ce respect est important à souligner, car l'expression « délice » peut prêter à des malentendus. Du genre : que l'autre est là pour me donner du délice. Qu'il ne serait qu'un instrument n'ayant son utilité et sa place sur cette terre que s'il me donne du délice.

Or le délice renvoie à autre chose : le délice, c'est de savourer avec gratitude le fait d'être vivant. Oui de savourer avec gratitude le fait d'être une personne unique, rencontrant d'autres personnes uniques, vivant une expérience - la vie humaine- peut-être unique dans cet immense univers. Le délice, c'est de savourer tous ces cadeaux en les respectant parce qu'ils sont uniques.

5. Pour nous aider à relever ce défi de devenir sage, il nous faut à présent nous arrêter quelque peu sur le mot « parmi » dans l'expression « trouver nos délices parmi les humains. » Ce mot parmi est important, car il renvoie à tout un réseau d'humain qui sont en interaction les uns avec les autres.

La sagesse, ce n'est pas de trouver ses délices dans un humain, comme si un seul humain pouvait satisfaire tous nos besoins.

Non, la sagesse, c'est de trouver ses délices parmi les humains. C'est à dire en étant inscrit dans tout un vaste réseau d'interdépendance où chacun apporte quelque chose à l'autre, où chacun est reçu comme une créature qui vit la même condition limitée que moi, qui elle aussi a des besoins comme moi, et qui m'offre parfois ce dont j'ai besoin et qui en retour, elle aussi, a besoin qu'on lui donne quelque chose pour qu'elle puisse continuer son évolution et sa vie.

Dans ce réseau, pour que l'on trouve du délice, il faut que personne ne soit idéalisé ou instrumentalisé. Personne ne doit être idéalisé au sens qu'il serait capable de toujours donner sans jamais avoir besoin de recevoir. Personne ne doit être instrumentalisé au sens qu'on lui demanderait toujours de donner, sans prendre en compte ses propres besoins.

S'il est possible de trouver ses délices parmi les humains, c'est parce que dans un tel réseau, chacun n'a pas à porter une responsabilité écrasante qui ne correspond pas à ses limites de créature. Dans ce réseau, personne n'a à surjouer un rôle qui ne corresponde pas à ses limites, personne n'a à assumer un rôle divin.

S'il est possible de trouver ses délices parmi les humains, c'est justement parce que dans ce réseau, chacun est accepté et reconnu comme n'étant qu'un humain.

6. Cependant, vous me direz : le fait qu'il n'y ait que des humains, cela peut être à double tranchant. Il n'est pas possible de trouver ses délices dans un réseau de personnes tirant chacune ses propres casseroles, assumant plus ou moins bien chacune ses propres limites, un réseau de personnes écorchées par la vie, ayant chacune souvent plus de besoins à combler, que de temps à donner pour combler les besoins des autres.

Eh bien, justement pour répondre à cette objection... Avez-vous remarqué ?? Ici, dans cette phrase, il n'est pas question de limiter le réseau. Le texte aurait pu mettre : trouver ses délices uniquement parmi les fils d'Israël. Comme si c'était uniquement dans ce réseau qu'on pouvait trouver ses délices, tandis qu'ailleurs dans les autres réseaux... Eh bien justement, au lieu de limiter le réseau, le texte hébreu dit mot à mot : les fils de l'humain. Ce qui est une expression pour, à l'époque, dire quelque chose de beaucoup plus large que les douze tribus d'Israël. La sagesse, ce n'est pas d'attendre de trouver ses délices en sollicitant uniquement ceux de sa tribu, en sollicitant uniquement ceux de sa famille, ceux de son cercle proche qu'on connait déjà.

Parfois, nous ne trouvons pas nos délices parmi les humains, justement parce que nous sollicitons toujours les mêmes personnes, en pensant que c'est seulement elles qui pourront satisfaire nos besoins.

hb3Parfois, nous avons un besoin précis et pour le combler ou le dépasser, nous attendons de l'aide de la part d'une personne précise. Par exemple, nous pensons que c'est seulement tel personne de notre famille qui pourra nous aider à dépasser ce besoin. Or, pour une raison ou une autre, cette personne se révèle incapable de nous donner ce que nous lui demandons.

Las ! Si nous en restons bloqué dans cette attente, nous pouvons passer notre vie à nous morfondre dans nos désillusions. C'est peut-être justement le moment d'entendre la sagesse qui, elle, trouve ses délices non pas en se limitant au cercle restreint d'une tribu, mais en l'ouvrant au vaste cercle des humains.

J'espérai que cette personne précise de ma famille satisfasse mon attente, plus j'espérai cela, plus la relation devenait tendue et compliquée car trop chargée d'attentes qui ne s'ajustent pas. Jusqu'à ce que je réalise que ce que j'attendais de cette personne, il est possible de le vivre avec quelqu'un d'autre venant d'un tout autre réseau. De trouver cet autre vis à vis me rend disponible pour ensuite bien vivre ce qu'il est possible de vivre avec la personne de ma famille.

Quand on recherche, le fait de ne pas rester cloisonné à sa sa tribu, mais d'élargir son cercle au cercle des humains, permet de trouver ses délices !

7. Un dernier point que j'aimerai souligner avec vous autour de cette belle expression : « Trouver ses délices parmi les humains »

Dans notre texte, la sagesse vit cette attitude lorsqu'elle est devant Dieu. Quand les attentes réciproques se durcissent et se bloquent, au point de former un gros noeud, nous replacer devant Dieu est le réflexe qui ouvre un espace, qui permet au réseau de ne pas devenir un panier de crabe.

Dans ce texte biblique, Dieu a le goût du recul, de la distance, de l'humour. C'est lorsque je suis devant Lui que je peux accepter sereinement, pleinement les limites trop humaines de mes prochains sans pour autant désespérer de notre condition de créature.

8. Chaque matin ou chaque soir, prenons le temps de nous placer devant Dieu, afin de recevoir de Lui le recul et l'humour nécessaire pour vivre nos journées en trouvant nos délices parmi les humains.

Amen

Luc-Olivier Bosset (10-2-2019 à Maurin); images d'unspash.com