Je peux bien parler les langues des hommes et celles des anges mais sans l'amour je ne suis pas plus que l'écho du bronze, l'éclat d'une cymbale. Je peux être prophète avoir l'intelligence de tous les mystères tout connaître ma grande confiance peut bien déplacer des montagnes sans amour je ne suis rien. Je peux partager tout ce que j'ai pour nourrir les bouches livrer mon corps au bûcher, sans amour je n'en fais rien.

L'amour est patience. L'amour est bienveillance. L'amour n'est pas jalousie. Il ne se vante pas, ne se gonfle pas d'importance, ne blesse pas, ne cherche pas son intérêt, ne tient aucun compte du mal. Sa joie n'est pas dans l'injustice, sa joie c'est la vérité. Il couvre tout, il fait confiance, il espère tout, il supporte tout. L'amour ne tombe jamais.

Les prophéties seront désactivées. Les langues finiront. La connaissance sera désactivée. Notre connaissance est relative, nos prophéties sont relatives. Mais quand viendra ce qui est parfait, ce qui est relatif sera désactivé. Tout petit enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Adulte, j'ai tout désactivé de l'enfance.

Nous voyons tout pour l'instant à travers un miroir, de façon énigmatique, mais alors ce sera dans un face-à-face. Pour l'instant ma connaissance est relative, mais alors, je connaîtrai vraiment comme je fus vraiment connu. Aujourd'hui, il y a la confiance, l'espoir et l'amour. Ils sont trois.

Mais de ces trois, le plus grand, c'est l'amour.

1 Corinthiens 13 (traduction Bible Bayard, [1])

globeQuand tout s'effondre ou disparait, il en reste 3 : foi, espérance et amour et même un seul est final, ultime : l'amour. L'amour est-il donc seul capable d'accompagner et d'accomplir la fin de toute chose ?

Nous voici réunis en ce culte de fête d'été ou de fin de cycle. C'est un culte voulu dans un esprit de reconnaissance pour ce qui a été accompli, comme tout septième jour qui se respecte dans un cycle de création. Donc un temps de reconnaissance, de pause, de bilan qui n'est pas qu'un mot pour la finance mais aussi un mot pour sonder une situation ET un avenir.

Ce matin l'apôtre Paul nous offre de faire un bilan de notre année d'église à travers un grand poème théologique.

Quand on entend cette lettre-poème de l'apôtre Paul aux Chrétiens de Corinthe et à nous ce matin, on entend qu'il est question de « qu'est-ce qui motive réellement nos actions dans l'église ? » (c'est la première partie du poème) et on entend aussi qu'il est question d'accomplissement donc d'un mouvement porté jusqu'au bout, donc d'une fin après la fin, d'un vrai point final, ou plutôt d'un vrai point ultime (c'est la seconde partie du poème)

Après avoir entendu ce message de Paul, on réalise qu'à travers nos engagements « une autre fin est en marche » en dépit de tout résultat, « qu'une autre fin est donc possible » pour faire écho au titre d'un livre « Une autre fin du monde est possible [2] », livre de trois auteurs impliqués dans un autre bilan que celui d'une église, le bilan ou l'état des lieux de notre planète et de nos sociétés.

Ces trois auteurs (avec d'autres) sont impliqués dans ce qu'on appelle la « collapsologie ». La collapsologie c'est la science ou la théorie de l'effondrement et la perspective de vivre avec.

La collapsologie et la sagesse pratique qui l'accompagne, c'est donc un bilan pour ouvrir un passage dans l'avenir sans déni de la réalité, climatique, sociale, ... mais c'est faire avec cette réelle réalité, comme on fait avec une maladie incurable, qui cependant ne met pas fin à la vie possible, mais la transforme radicalement.

La bible de sa Genèse à son Apocalypse contient bien des pages utiles pour des manuels de collapsologie, bien des pages bibliques sont lucides et appellent à des transformations radicales.

Et l'apôtre Paul n'est pas en reste, notamment parce qu'il vivait une génération consciente de la fin d'un monde et donc une génération qui vivait une urgence aussi dans le choix de ses priorités. Comme notre église est poussée à vivre et agir de même dans l'urgence sociale et climatique d'aujourd'hui.

Le texte de ce matin n'est qu'un texte parmi bien d'autres. Mais un texte comme un poème se retient dans nos esprits. La poésie n'est pas une en luminure sur notre monde, mais une plongée dans notre monde pour voir les choses comme elles ne sont pas en superficie.

Emotions, actions, motivations.

La communauté chrétienne de Corinthe était une communauté d'engagés. On la critique souvent mais elle était dynamique, enthousiaste, apte théologiquement, inscrite dans une volonté de croissance en quantité et en qualité. N'est-ce pas ce qu'exprime souvent notre église dans ses projets (église locale et l'ensemble de l'EPUdF) ? La communauté chrétienne à Corinthe rassemblait des personnes de différentes classes sociales, n'est-ce pas le cas aussi de notre église ? Cela n'allait pas toujours sans difficulté car des habitudes sociales sont prises, qu'on soit chrétien ou non. Bref, la communauté chrétienne de Corinthe était comme une église ordinaire et peut-être un peu plus active que la moyenne.

On entend d'abord que tout ce qui était vécu dans cette communauté était vécu avec émotion, et Paul lui-même ne fait pas un bilan sans émotion. Ca nous déroute peut-être parce que dans notre société actuelle et aussi notre église actuelle, ce n'est pas l'habitude. Ce qui est encore considéré comme valable et crédible c'est le bilan dit objectif des experts, des bilans sans émotions (soi-disant).

Les collapsologues nous disent qu'il faut exprimer ses émotions, qu'elles sont signaux, annonces ou parfois alertes, et surtout qu'elles expriment le désir d'autre chose. Dans un bilan toutes les émotions sont utiles y compris celles qui sont taxées de négatives parce que la norme aujourd'hui c'est de se montrer toujours « positif » ou « optimiste » [3].

Toutes les activités d'église à Corinthe sont donc portées par l'émotion, puisqu'elles sont vécues avec zèle, et on sent la volonté d'un vrai engagement, d'un engagement à fond: la langue pas seulement celle des hommes mais aussi celle des anges, plus que prophète, avoir la connaissance de tous les mystères, la foi pas celle des petits pas, mais celle qui déplace les
montagnes, la distribution équitable des biens jusqu'à épuisement, la diaconie à corps perdu ... faire tout cela ... et pourquoi ?... Pourquoi ?

On entend que ça va même jusqu'à livrer son corps au bûcher ou selon d'autres traductions : livrer son corps aux flammes : est-ce une démonstration par le martyre, ou simplement une métaphore de l'embrasement ? Une autre traduction/version dit [4] : livrer son corps pour en tirer fierté. Que se passe-t-il là ?

On peut entendre en écho la question très dérangeante que pose l'Accusateur à Dieu au début du livre de Job, quand il dit : « est-ce pour rien que Job sert Dieu ? ».

Pourtant, toute cette liste d'activités d'église est une liste de bonnes choses en soi, et de vrais engagements, et efficaces en plus. Paul ne renie pas que tout cela soit utile, il ne dit pas que toutes ces actions doivent disparaitre des missions de l'église mais il les questionne dans leur motivation. Chacune. Et dans l'inventaire de son poème-bilan revient comme un refrain : sans l'amour je ne suis rien, sans amour ça ne sert à rien. C'est fanfare. Et...le contraste est violent entre le zèle exprimé et l'amour qui serait absent des motivations!

Ici l'amour c'est ce que l'Evangile appelle « l'agapè », ce n'est pas une amitié ni un sentiment mais un éclat de l'amour divin. Et nos actions d'église sont appelées à être des miroirs confus de l'amour divin [5]. Et dans son bilan l'apôtre Paul nous pose comme aux Corinthiens la question : finalement vos activités d'église ont été miroirs de quoi ? et de qui ?

Dans la dernière revue « Vibrations » de notre église locale, il est justement question de ce qui est « miroir de nos engagements ». On peut dire que l'Evangile est miroir de nos engagements tout en cherchant à montrer que nos engagements sont miroirs d'Évangile, comme la Grâce et la Foi sont les deux faces d'un même événement.

Dans son poème, Paul nous dit que de toute façon, la vision est confuse et que l'important n'est pas de chercher à voir, mais à croire qu'un jour on connaîtra comme on a été connu, qu'un jour tous les pourquoi tomberont, tous les comment seront inutiles, qu'un jour ce sera le face-à-face avec un Autre, Autre avec un grand « A ». En attendant il nous est donné de vivre le face-à-face avec plein d'autres, avec des petits « ».

Le poème-bilan de l'apôtre Paul nous dit de nous appliquer non pas à la perfection de nos réalisations qui seront toujours relatives, mais d'investir d'abord dans la relation car c'est elle qui reflètera comme un miroir quelque chose de l'amour de Dieu : « pour qu'en voyant vos belles actions/oeuvres les gens rendent gloire à Dieu » dit Jésus dans l'évangile de Matthieu (Mt 5,16).

En s'appliquant à cela, certes, la foi ne déplace plus les montagnes et on bafouille nos théologies et nos confessions de foi... mais l'autre entrevoit ou reçoit : un brin de patience, une ombre de bienveillance, un grain de simplicité, un soupçon de désintérêt, un éclat de loyauté, une touche d'apaisement, une audace tranquille, une pointe de vérité. À travers tous ces petits bouts de foi et fraternité en vrac et selon les circonstances et les rencontres, à notre insu, Dieu est reçu-donné.

Je dis reçu-donné, car sait-on quand on donne Dieu et quand on Le reçoit ? Comme le dit une prière « chacun de nous est tour à tour celui qui donne et celui qui reçoit, celui qui réconforte et celui qui est sauvé » [6]. De tout cela, il n'y a rien à voir avec le bon sentiment de charité chrétienne ou celui qui donne ne sait pas recevoir.

L'amour supporte tout dit Paul, celui de Dieu bien sûr, mais nous on peut se supporter dans le sens de l'entraide c'est-à-dire, dans le sens de se porter mutuellement. Plus que mutuellement je préfèrerais dire « en rebondissement » car bien sûr, on ne rend pas à quelqu'un ce qu'on a reçu de lui, on le donne à un autre et ainsi de suite.

Dans leur façon d'envisager de vivre et non de survivre dans l'effondrement d'un monde, les collapsologues insistent sur cette notion d'entraide, et celle de reconnaissance et d'émerveillement. Deux notions qui sont sensées équiper le chrétien depuis au moins les origines en Jésus-Christ !

collapseLe chrétien est équipé pour l'effondrement d'un monde.

Dans son poème théologique, l'apôtre Paul nous dit que la première et la dernière énergie est donc celle de l'amour, de l'amour-agapè, amour divin, amour ultime qui nous porte jusqu'après nos bilans.

Cet amour ne tombe jamais dit Paul, il est la fin aussi dans le sens de la finalité. Et dans le titre du livre des trois collapsologues, on peut aussi entendre dans une autre fin possible pour
notre monde, une autre finalité pour notre monde.

Mais ils nous disent aussi d'ouvrir les yeux : qu'un retour en arrière, et trouver des solutions pour revenir comme avant, c'est impossible.

« Quand j'étais enfant je pensais comme un enfant je raisonnais comme un enfant ; adulte j'ai tout désactivé de l'enfance ».

Même si on sait que c'est faux psychologiquement et même pas souhaitable, la phrase fait prendre conscience qu'un retour en arrière est impossible, mais ... qu'il y a une révélation possible. « Aujourd'hui » mais « alors » dit le poème.

Une jeune femme porteuse d'une maladie orpheline, héréditaire et vouée à se développer dans une dizaine d'années, a écrit dans un manifeste ceci [7]: « les révélations ne vous informent de rien, au contraire : elles vous transforment. Elles peuvent soit vous rendre malade, soit vous soigner ».

Ca peut faire penser à ces paroles connues du Livre biblique du Deutéronome « j'ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction » [8] ...

L'heure du bilan ce n'est pas seulement une pause, c'est aussi l'heure de choisir un avenir possible.

Notre église est entrée dans une démarche synodale sur le thème de l'écologie. Ce n'est pas un thème pour seulement discuter entre amis et essayer de bien faire pour faire le moins mal possible.

L'écologie n'est même pas un thème mais une révolution, ou plutôt une résurrection.

Si on veut bien ne pas faire « comme si » un retour en arrière était possible. Nous n'aimons pas les mauvaises nouvelles. Du temps du prophète Jérémie non plus, les gens n'aimaient pas les mauvaises nouvelles et la lucidité n'a jamais été confortable. Pourtant le même prophète Jérémie n'a-t-il pas transmis cette parole de Dieu aussi : « je vous donnerai un avenir et une espérance ».

« L'effondrement-métamorphose » [9] est en route, et il ne s'agit pas d'y croire mais de voir pour espérer et avoir le courage d'ouvrir des possibles.

Livres du Deutéronome, de Jérémie, lettres de Paul, ...tous ces écrits ne sont-ils pas témoins et prophètes d'un effondrement-métamorphose ? Et les évangiles de même ? Et les lettres de Pierre ? Et l'Apocalypse et tant d'autres écrits bibliques?

Vous avez compris où je veux en venir : je suis persuadée que le chrétien est une espèce bien équipée pour l'effondrement d'un monde et une autre fin possible. Les prophéties, les langues, les connaissances et bien d'autres choses et même des bonnes choses, seront désactivées. Et même une certaine idée du messie/du Sauveur. Et bien sûr un effondrement ne va pas sans turbulences. Mais tout cela ne doit pas nous bloquer dans le traumatisme. Une autre fin est possible. Nous sommes convoqués pour un autre bilan [10].

leaveLe christianisme comme voie de collapsosophie [11].

Ma conviction est que nous devons cesser de nous préoccuper de la survie de notre église pour servir, non seulement la survie de notre planète et des vivants mais aussi la vie véritable, celle que dans notre jargon on appelle « vie éternelle ».

Si nous lisons la bible, seul et avec d'autres, les textes nous éduqueront à la lucidité, à la fraternité et à l'espérance.

« Lorsqu'un problème est insurmontable, il faut inventer une solution et miser dessus tout en faisant tout ce qui est en notre possible pour la voir advenir » [12].

Il n'y a pas beaucoup de mots à changer dans cette phrase pour retrouver une définition de l'espérance telle que les prophètes, les évangélistes et Paul la mettent en oeuvre, l'espérance avec laquelle nous sommes appelés à « carburer » en tant que chrétien. L'espérance comme carburant non toxique !

Un bilan c'est une pause aussi pour engager l'avenir...Je fais le voeu que le christianisme a non seulement quelque chose à dire mais à vivre et à servir pour équiper nos sociétés dans l'urgence de la crise écologique et sociale, dans les traumatismes de ce qui ne sera plus possible, et dans les turbulences à venir.

Car l'origine de ce qui est devenu le christianisme, n'est-ce pas à cause d'un effondrement, d'une crucifixion qui a mis fin à tout espoir possible, un traumatisme énorme... et une résurrection inouie qui ne nie pas la mort mais la transforme, qui prend acte d'un effondrement pour annoncer un à-venir. Quelque chose advient alors que tout s'est effondré.

C'est un message quasi génétique au christianisme. Le christianisme est porteur de ce message pour servir notre monde aujourd'hui. Il ne s'agit pas de convertir tout le monde à nos idées mais d'entraîner à une espérance.

Amen

Solange Weiss-Déaux, dimanche 23 juin 2019 (Parc de Grammont à Montpellier). 

[1] À cause de ce qui est entendu de façon inhabituelle, en particulier ce qui est « désactivé » 

[2] Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle UNE AUTRE FIN DU MONDE EST POSSIBLE (Vivre l'effondrement – et pas seulement y survivre) Seuil, oct 2018

[3] « De nombreuses personnes éprouvent des difficultés à exprimer leurs émotions, par peur de souffrir, (de se laisser emporter par quelque chose qui les dépasse) par peur de désespérer (...), par peur de paraître morbide auprès des autres parce que la norme est de se montrer »positif », par peur de se montrer ignorant ou peu crédible face à des experts « objectifs », par peur de provoquer de la détresse chez les autres, de passer pour quelqu'un de faible qui ne contrôle pas ses émotions.»

[4] Texte grec selon certains manuscrits anciens (C. Senft 1 Corithiens p.167)

[5] Nos bonnes actions peuvent être écrans à cet amour divin

[6] Prière cambodgienne DEFAP, Bonne Nouvelle se partage, p. 22

[7] Alice Rivières, manifeste Dingdingdong (maladie de Huntington)

[8] Dt 30, 19 et 20 : afin que tu vives toi et ta descendance...

[9] Expression dans « Une autre fin du monde est possible » p. 104

[10] Déposer le bilan ou exploser le bilan ?

[11] Collapsologie est la « théorie »/ »science » de l'effondrement, va avec Collapsosophie qui est sagesse de l'effondrement (comme philosophie, amour de la sagesse)

[12] Psychologue William James (le pari jamesien)

Images prises à unsplash.com

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