Voici ce que je dis, mes frères : le temps se fait court ; désormais, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui se réjouissent comme s’ils ne se réjouissaient pas, ceux qui achètent comme s’ils ne possédaient pas, et ceux qui usent du monde comme s’ils n’en usaient pas réellement, car ce monde, tel qu’il est formé, passe.

1 Cor 7, 29-31 (nouvelle bible Segond)

1. Ce matin, je vous propose de méditer sur le détachement. Quand nous sommes pleinement engagés dans un projet, pleinement investi dans une association, il n’est pas évident de nous exposer aux propos mystérieux de Paul nous rappelant la nécessité de prendre du recul :

« Que ceux qui achètent soient comme s’ils ne possédaient pas. Que ceux qui usent du monde soient comme s’ils n’en usaient pas réellement, car ce monde tel qu’il est formé, passe. »

Quand nous sommes immergés dans nos engagements, ces propos sont dérangeants, car ils nous prennent à contre pied. Oui, dans le fond, nous sommes prêts à leur donner raison à ces propos. Puisque ce monde tel qu’il est formé passe, évitons de donner aux choses de ce temps une importance ultime, usons des biens de ce monde sans y attacher notre coeur, cultivons un judicieux détachement.

Cependant, concrètement, c’est plus facile à dire qu’à faire. Car cet engagement nous nourrit, nous porte. Et si nous nous en détachons, c’est pour faire quoi ? Avec quoi remplir le temps dégagé ? Tant que nous n’arrivons pas à identifier clairement les raisons pour lesquelles il faudrait nous détacher, nous nous disons qu’il vaut mieux nous engager. Car Nous n’avons rien trouvé de plus important à faire.

sf2019 12. De même, à un autre niveau, quand nous nous investissons avec intensité dans des relations, quand nous nous passionnons pour un débat et que nous prenons les choses très à coeur, il peut être déroutant d’écouter les autres phrases de Paul affirmant :

« Que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas, que ceux qui pleurent soient comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui se réjouissent soient comme s’ils ne se réjouissaient pas. » Car ces phrases nous parlent de trouver une distance au coeur même de ces relations. Mais comment comprendre cette distance ? Avouons que cela reste très flou dans notre esprit. Nous ne pouvons pas croire que Paul là, dans ces propos nous encouragerait à devenir indifférent aux autres. Nous ne pouvons pas croire qu’il nous pousserait à nous couper de nos émotions.

Mais alors que cherche-t-il à dire ? Cela il nous est difficile de le cerner, de le discerner. Et tant que nous ne l’avons pas bien perçu, nous ne pouvons pas entrer dans sa démarche.

Nous ne pouvons pas cultiver cette distance. Cela nous semble pas être la démarche juste à vivre. Nous ne pouvons pas pleurer comme si nous ne pleurions pas. Nous ne pouvons pas être avec nos amis et nos proches comme si nous n’étions pas avec eux. Au contraire, nous trouvons plus juste d’être pleinement avec eux, nous trouvons plus approprié de vivre pleinement nos émotions.

Paul invite au recul et au détachement. Cela nous pouvons tout à fait l’entendre. Mais entendre cela ne suffit pas. Il nous faut comprendre pourquoi ? Tant que cela ne sera pas clair dans notre esprit, nous ne pourrons aller plus loin.

3. Si je vous dis que les propos de Paul sont mystérieux, c’est parce qu’il m’a fallu du temps pour entrer dans sa logique et discerner ce qu’il cherchait à dire.

En écrivant « que ceux qui pleurent soient comme s’ils ne pleuraient pas », Paul n’est pas en train d’encourager une attitude froide où il faudrait nous couper de nos émotions. Paul n’est pas en train de nous demander de devenir hypocrites, de faire comme si, de nous évertuer à pleurer extérieurement tandis qu’au fond de nous-mêmes, intérieurement, nous sommes ailleurs, nous n’y croyons pas le moins du monde.

Au contraire ! De là où j’en suis arrivé dans ma compréhension de Paul, je comprends sa logique de la manière suivante : s’il nous faut cultiver un détachement et prendre une saine distance, ce n’est pas devenir froid et hypocrite, mais c’est pour être fidèle à l’appel de la vie. Oui, s’il nous faut cultiver un détachement, c’est pour être fidèle à l’appel de la vie.

sf2019 24. Précisons les choses…

Dans l’évangile de Jean, à un moment donné au chapitre 10, verset 10, Jésus dit : « Je suis venu pour que les humains aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. Au tout début de notre bref passage, Paul écrit, « le temps se fait court, (nous pourrions aussi traduire : le temps se fait compact) ». Le mot grec pour décrire le temps n’est pas chronos. Ce n’est pas le temps chronométrique linéaire qui s’écoule comme dans un sablier. Non, le mot grec utilisé ici est Kairos. Le Kairos, c’est le moment favorable. C’est l’opportunité qui nous est offerte.

Pour Paul, dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus, de manière compacte, une occasion favorable nous est offerte. Dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus, de manière compacte un moment favorable nous est offert où la vie en abondance nous est révélée. Ce moment favorable rien ni personne ne peut désormais l’effacer. Il est là disponible. On peut l’oublier, on peut l’ignorer. Il n’en demeure pas moins que l’écho de l’appel à la vie résonne aujourd’hui encore deux mille ans après. Dans les bruits, les cris et les fureurs du monde, le Christ continue à dire : « je suis venu pour que les humains aient la vie et qu’ils l’aient en abondance ».

5. Ainsi, pour Paul, s’il nous faut cultiver un certain détachement au coeur de nos engagements et de nos relations, c’est justement pour être fidèle à cette occasion favorable.

Dans les engagements que nous prenons, dans les relations que nous tissons, avec les biens que nous achetons, ce à quoi nous avons à être fidèle, c’est l’appel de la vie. Oui, au coeur de tout ce qu’il nous est donné de vivre, ce à quoi nous avons à être fidèle, c’est l’appel à la vie, et cela pour le plus grand bien des autres, pour notre propre bien et pour la gloire de Dieu.

Dans ce bref passage de la lettre aux Corinthiens, Paul n’encourage pas ses auditeurs à se détacher complètement. Paul ne pousse pas ses auditeurs à ne plus s’engager, à ne plus à tisser des relations. Il ne dit pas : n’achetez plus, ne vous engagez plus dans une relations, ne pleurez plus.

Non, il encourage les uns et les autres à s’engager, mais surtout il les encourage à vivre cet engagement en gardant à l’esprit l’appel de la vie, le moment favorable offert par le Christ. Percevez-vous la différence ? Ce que j’entends chez Paul, c’est l’exhortation suivante : s’il y a lieu de pleurer, eh bien pleurez ! Cependant vivez vos pleurs en n’oubliant jamais qu’en leur creux, la vie en abondance offert par le Christ est là disponible.

Alors pleurez ! Même pleurez avec ceux qui pleurent sans faire de ces pleurs votre raison de vivre. Laissez la fontaine des larmes couler, mais laissez aussi la douceur du Christ vous rejoindre afin que cette douceur sèche délicatement vos larmes et revête votre visage d’une joie grave et paisible.

S’il y a lieu de rire, riez ! Cependant vivez vos rires, en les laissant être fécondé et s’ épanouir grâce à l’appel à la vie offert par le Christ, un appel qui est là disponible. Alors vos rires, délaissant l’excitation deviendront plus profonds, peut-être plus intérieurs, mais plus lumineux aussi.

S’il y a lieu d’acheter, achetez ! Cependant, achetez sans investir votre achat comme s’il était un accomplissement personnel prouvant à vos yeux votre valeur. Grâce à l’appel à la vie offert par le Christ, circonscrivez le sens de votre achat à l’utilité qu’il vous apporte, car votre valeur ne dépend pas de lui, mais votre valeur est cachée en Christ.

sf2019 36. Ainsi par le détachement qu’il propose, Paul invite ceux qui l’écoutent à continuer de vivre dans un monde où l’on pleure, où l’on rit, où l’on achète et où l’on se marie.

Cependant, au coeur de ce monde, Paul invite ses auditeurs à être comme des tournesols. C’est à dire, au coeur de ce monde, d’être orienté vers le soleil, de se laisser être attirés par l’appel à la vie. Ainsi, en écoutant Paul, nous pouvons retenir ceci : Si nous devons nous détacher de nos pleurs, de nos rires, de nos engagements, ce n’est pas pour devenir hypocrites et froids.

C’est plutôt parce qu’au coeur de ce que nous vivons, nous ne voulons pas nous conformer à ce que nous vivons. « Car ce monde tel qu’il est formé, passe. » Nous ne voulons pas nous laisser enfermer par ce que nous vivons. Nous ne voulons pas nous réduire à ce que nous vivons, à ce que nous avons.

Mais, en nous laissant être attiré la vie en plénitude révélée en Christ, nous voulons nous rendre libre pour pouvoir saisir, en toutes situations, l’occasion favorable.

7. Quand cela est clair dans notre esprit, nous pouvons vivre un détachement salutaire dans toutes nos relations et nos engagements.

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 13 octobre 2019 au temple de Cournonterral.
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