Le premier jour de la semaine, elles vinrent au tombeau de grand matin, en apportant les aromates qu’elles avaient préparés. Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau ;  elles entrèrent, mais elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.  Comme elles étaient perplexes à ce sujet, deux hommes survinrent devant elles, en habits éclatants.  Toutes craintives, elles baissèrent le visage vers la terre ; mais ils leur dirent : Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ?  Il n’est pas ici, il s’est réveillé. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu’il était encore en Galilée et qu’il disait : Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux pécheurs, qu’il soit crucifié et qu’il se relève le troisième jour.  Et elles se souvinrent de ses paroles. Elles s’en retournèrent du tombeau pour raconter tout cela aux Onze et à tous les autres. C’étaient Marie-Madeleine, Jeanne, Marie de Jacques et les autres, avec elles ; elles le dirent aux apôtres ;  mais ces paroles leur parurent une niaiserie et ils ne crurent pas les femmes.  Pierre cependant se leva et courut au tombeau. En se baissant il ne vit que les bandelettes qui étaient à terre ; puis il s’en alla chez lui, s’étonnant de ce qui était arrivé.    

Luc 24,1-12 (version NBS)

lob avril2017Mais qui donc est Jésus ? Pour commencer, une blague :

À quoi reconnaît-on que Jésus était une femme ?

  1. Il a nourri une foule avec trois fois rien,  5 pains et 2 poissons.
  2. Il a persévéré à essayer de faire passer un message à une équipe d'hommes qui n'a jamais pu le comprendre.
  3. Et même quand il était mort, il s'est relevé  la nuit pour prendre soin de ses disciples désemparés

Si je vous raconte cette blague, c’est parce qu’elle nous met dans une bonne disposition d’esprit pour vivre Pâques. Je ne vais pas vous expliquer la résurrection, car c’est quelque chose qui me dépasse. Par contre, je souhaite partager avec vous ce que la résurrection de Jésus apporte dans le grand récit des Evangiles.

Si les Evangiles sont insurpassables, ce n’est pas parce qu’ils nous donneraient l’indice irréfutable venant prouver historiquement la résurrection de Jésus. Si les Evangiles sont insurpassables, c’est à cause  de leur manière subtile de  déployer le portrait de Jésus. Comme dans un bon roman, c’est au travers de moments anodins, des rencontres pleines de vie que nous voyons au détour d’un geste, d’une parole, émerger son identité profonde. En nous racontant les circonstances très particulières qu’il a dû endurer, les Evangiles nous donnent à voir comment dans l’interaction avec ces circonstances, un caractère s’est forgé,  et comment en retour il a impacté ces circonstances. Ainsi pages après pages, les Evangiles font que nous nous interrogeons :

  • Qu’est-ce que le caractère, sinon le fruit de rencontres avec les incidents ?
  • Qu’est-ce que l’incident, sinon une occasion de forger un caractère ?

Plus le récit avance, plus le portrait de Jésus gagne en relief pour nous faire découvrir une personnalité riche, un fin caractère, déjouant tous les pronostics.

Au moment de sa naissance, les titres les plus élogieux qui soient (Fils de Dieu, sauveur, Christ, Logos) lui sont affublés. Vu que tous ces titres sont chargés d’un sens communément partagé, ils donnent à penser que celui qui les porte est quelqu’un de connu, familier. Or nous découvrons au fil du récit combien tout en assumant ces titres, Jésus leur donne un contenu particulier. Un contenu qui ne vient pas confirmer l’idée que l’on pouvait avoir  de ce que signifie être Christ, Fils de Dieu, Logos ; mais que Jésus vient au contraire interpeller toutes ces idées pour proposer un contenu original, unique.

Or là, dans cette narration haletante, quand surgit l’épisode de la résurrection, que se passe-t-il ? Tout au long de l’évangile, nous  avons vu Jésus aller à la rencontre des uns et des autres pour les sauver. En parlant, en guérissant, en accueillant, en débattant, Jésus à chaque fois, a ouvert des brèches, a fissuré des certitudes verrouillées, a dénoué des blocages  pour insuffler de l’espérance, de la vie. Ce faisant, Jésus s’est vraiment montré être Jésus, c’est à dire fidèle à l’étymologie de son prénom : Dieu sauve.

Or là, avec les récits de la résurrection, Jésus continue d’être pleinement lui-même. Il continue d’être celui qui sauve. Car la manière dont le récit est déroulé nous dévoile des femmes, des hommes endeuillés, bouleversés qui auraient pu, au vu de ce qu’ils viennent de vivre, passer le restant de leur jour à errer dans le remord, la culpabilité, le cynisme et le désespoir. Mais voilà, le récit nous dit que ces femmes et ces hommes sont comme entrainés dans une autre spirale les remettant en selle pour chevaucher la Vie.  Non pas qu’ils l’aient voulu, non pas qu’ils l’aient provoqué.  Cette remise en selle n’est pas leur œuvre.

Cela est venu en dehors d’eux-mêmes. Ils y ont été entraîné par un inconnu qui s'est révélé être Jésus. Ils pensaient le connaître. A force de vivre en sa compagnie, ils pensaient tout savoir de lui.  Mais voilà qu’à nouveau Jésus les surprend. Il surgit, et c’est une rencontre bousculante, mais salvatrice. La résurrection est le moment où Jésus se révèle être le plus fidèle à lui-même : insaisissable, mystérieux, bienveillant, engageant…

evdl avril2017La conviction qu’ils en retirent est la suivante : même mort, Jésus est capable de les sauver. Quoi qu'il puisse arriver, Jésus se montre capable de venir les rencontrer afin de les entraîner vers la Vie. Plus je lis ces récits évangéliques, et surtout ces récits de Pâques, plus ma curiosité se creuse. Loin de confirmer les portraits que j'ai en tête de Jésus, ces récits viennent les ouvrir, les corriger et les enrichir. En un mot, ces récits viennent rendre Jésus plus désirable et mystérieux.

Sans résurrection, l’évangile ne serait qu’une belle morale, racontant comment un homme fidèle et pieu a vécu héroïquement ses convictions. Comment aussi, ce héro est écrasant, car lui seul a tenu, alors que tous les autres ont flanchés. C’est pourquoi, heureusement que dans ce récit, il y a la résurrection. Cette dernière vient introduire le souffle, la Grâce, la vie, la surprise. Si dans ce récit, il n’y avait pas eu la résurrection, Jésus aurait pu devenir un maitre de morale héroïque et écrasant, dont la vertu sans tache serait revenue hanter la nuits de ses disciples en leur rappelant de manière sournoise combien eux tous ont failli.

Mais, grâce à la résurrection, Jésus est resté fidèle à son identité profonde. Il est cet étrange inconnu surgissant au milieu de la nuit de leur remord et de leur culpabilité où ils se morfondent de n’avoir pas su être à la hauteur, pour les entraîner au delà de la morale, au delà des règles de disciplines,  dans la vie du Royaume.

En ce sens, oui il est le Vivant pour reprendre la parole des messagers qu’entendent les femmes au tombeau. Il est cette vie qui surgit, qui vient à la rencontre, qui appelle. Alors que nous vivons dans une culture voyant Jésus comme faisant partie du passé, alors que nous vivons dans une culture percevant souvent la foi chrétienne comme étant quelque chose de dépassé, - le christianisme a beaucoup apporté lors du Moyen Age, mais maintenant, c’est révolu -, voilà que le récit évangélique de manière têtue nous présente le portrait de Jésus, en disant que c’est le Vivant. Un Vivant qui déjoue les pronostics.

Un Vivant qui n’est pas ici, pour reprendre la parole des messagers qu’entendent les femmes. Un Vivant qui n’est jamais là où beaucoup croient pouvoir l’enfermer. Un Vivant déborde toutes les représentations, toutes les étiquettes que nous pouvons avoir de lui. Un Vivant qui même lorsque nous le croyons dépassé s’arrange pour surgir, nous interpeller et nous remettre en selle dans la chevauchée de la vie.

L’enjeu devant lequel nous placent les Evangiles n’est pas le moindre. Avec beaucoup d’aplomb, ces récits nous affirment : si nous voulons vivre de cette Vie qui déborde toutes les étiquettes, toutes les représentations, osons faire confiance à ce Jésus !

Osons dans notre aujourd’hui, tracer notre chemin, en choisissant de vivre comme il a vécu : de manière vulnérable, ouvert aux rencontres, prêt à laisser notre programme être chamboulé par une sollicitation imprévue. Osons comme lui, vivre au cœur du monde actuel. En  étant marqué par ses élans, sa cohue, en écoutant au cœur de cette cohue, les besoins, les attentes de nos contemporains. Osons  être vulnérable jusqu’au bout, en nous risquant avec nos moyens à incarner au sein de cette actualité, une fraternité porteuse d’espérance. Gardons planté en nous le sens du prochain, l’attention aux démunis et le souci des exclus.  Résistons aux peurs alimentant le repli. Osons être vulnérable et même si nous nous sentons quelque peu démuni, prenons le risque d’aller chercher, en l’autre radicalisé, sa part d’humanité.

En nous engageant ainsi dans notre monde, ne nous voilons pas la face, nous serons, comme Jésus, confrontés aux obstacles, aux déceptions et aux échecs. En nous engageant ainsi dans notre monde, nous serons également comme les femmes du récit de ce matin. En  allant au tombeau, elles n’étaient pas en retrait de leur actualité. Au contraire, elles y étaient engagées à leur mesure, mais à fond.

Or voilà, au cœur de leur engagement, elles trouvent ce qu’elles ne s’attendaient pas à trouver (un tombeau vide) ; et elles ne trouvent pas ce qu’elles s’attendaient à trouver (une dépouille). Déboussolées, angoissées, elles se recroquevillent. Elles baissent leur visage vers la terre. Cependant, si cela devait nous arriver, n’ayons crainte !

Au cœur de nos engagements, alors que nous sommes empêtrés dans la cohue du monde, montrons-nous simplement vulnérables en exposant également nos vies, nos joies et nos désespoirs à l’Evangile. Laissons le souffle de ce récit venir interpeller nos postures, travailler nos motivations, soigner nos déceptions. Comme les femmes au tombeau se sont laissées être rejointe par la parole des messagers, laissons la parole du Vivant venir questionner notre manière d’être vivant.

Laissons le Vivant nous surprendre, nous renouveler et introduire dans nos vies, le souffle, la Grâce, la surprise. Laissons-Le nous entrainer dans la Vie qui dépasse tout ce que nous pouvons comprendre.

Amen

Luc-Olivier Bosset, Maurin, 16 avril 2017 (Pâques)