Au travers de celle-ci nous allons définir avant tout l'émergence d'une musique allemande qui fut inexistante durant plus d'un siècle après l'abandon définitif de la monodie du « Minnesang », ce courant « Troubadour allemand » caractéristique du Moyen-âge et qui perdure sur les terres germaniques jusqu'à l'aube du XIVe siècle.

bachlutherPour bien comprendre cette renaissance de la musique allemande, il faut se reporter au 31 octobre 1517 où, sur la porte de la chapelle du Château de Wittenberg le moine Martin Luther, né en 1483, affiche 95 thèses condamnant le trafic des indulgences, créant ainsi une nouvelle crise théologique. Il cherche à susciter un mouvement au sein de l'église catholique, une prise de conscience, en prônant la doctrine de justification par la foi. Bien que n'étant pas un schismatique, Martin Luther œuvre pour un retour à l'intégrité donnant à son église un nouveau départ. Sous une apparence anodine rien ne laisse supposer que ce point de vue va modifier les mentalités et transformer le cours de l'histoire. Pourtant comme l'indique le musicologue Gilles Cantagrel : « Entré en conflit avec Rome, non seulement Martin Luther ne se rétracte pas, mais il entraine à sa suite un nombre croissant de sympathisants. Les idées nouvelles circulent et rencontrent un large écho, loin à la ronde… Ainsi la Saxe devient-elle par excellence la patrie de la Réforme. Et autour d'elle, les territoires gagnés à la pensée de Luther, la Vielle Thuringe, le Brandebourg, futur royaume de Prusse et les cités hanséatiques, de Hambourg à Magdebourg et Berlin, tout ce qu'aujourd'hui on peut nommer l'Allemagne du Centre et du Nord. »

Pour véritablement créer une nouvelle pratique cultuelle du christianisme Luther veut créer une nouvelle pratique culturelle, permettant au peuple d'acquérir la connaissance réelle des textes sacrés. Pour cela il faut que ces textes soient accessibles au plus grand nombre, c'est-à-dire, avant tout écrits et chantés en langue allemande. En moins de 12 mois Martin Luther s'attaque à la traduction du Nouveau Testament, puis entouré de ce que l'on nomme aujourd'hui un collectif, à la traduction de l'Ancien Testament, mettant ainsi à la portée d'un large public la connaissance des Saintes Ecritures. Ainsi est publiée en 1534 la Bible Allemande permettant aux diverses populations de l'Empire d'utiliser une langue littéraire unique. Martin Luther déclare : "« J'ai l'intention de créer des poèmes allemands pour le peuple, c'est-à-dire des cantiques spirituels, afin que la parole de Dieu demeure parmi eux grâce au chant. Je désirerais aussi que nous ayons le plus possible de cantiques en langue vernaculaire que le peuple puisse chanter à la messe. » Au prix d'un labeur acharné, Luther pose les fondations théologiques de la Réforme lui donnant sa nourriture musicale et suscite la création et le développement d'un enseignement de l'allemand, de la religion et du chant, car les deux sont liés, aux cotés des matières traditionnelles telles la lecture, l'écriture, ou la grammaire. Dès 1524 Luther publie les premiers chorals de la nouvelle liturgie dont il est à la fois l'auteur des textes et de la musique. Le cantique le plus connu de Luther est : « Ein feste Burg ist unser Gott », « C'est un rempart que notre Dieu ». Il s'agit d'un des Hymnes les plus aimés des traditions luthériennes et protestantes dont les paroles, simples et compréhensibles par tous sont essentiellement une paraphrase du Psaume 46.

Le succès est immédiat, les plus grands poètes et les plus grands musiciens vont y abonder. De nombreux cantiques seront réservés à la pratique familiale, ou on chante en toute circonstance lors des fêtes : anniversaires, mariages, baptêmes, mais aussi pour la communauté des fidèles à l'Eglise ; par la suite l'accompagnement de l'orgue y tiendra une place prépondérante. Important animateur de cette nouvelle pratique musicale, Johann Walter, né en 1496 à Kahla en Thuringe noue très tôt des liens étroits avec la Réforme. En 1524 Luther écrira la préface de son premier ouvrage. Dans ses compositions à l'écriture simple et efficace, il reste toujours soucieux de la pureté de l'héritage de Luther, comme dans l'hymne : « Vater unser im Himmelreich», « Notre Père qui es au Cieux».

Texte par : Jean-Pierre Cauquil (Temple de la Rue Magueleone, Montpellier, le 28 février 2015)