La misère est vraiment grande, est je marche pourtant souvent, tard le soir, quand la journée s’est noyée derrière toi, le long d’un barbelé et alors ressort toujours de mon cœur cette idée que je ne peux rien y faire, que c’est ainsi, c’est d’une force élémentaire : cette vie est une chose magnifique et grande, nous devons encore reconstruire un tout nouveau monde plus tard et en face de chaque méfait ou atrocité nous avons à opposer un morceau d’amour que nous devons conquérir en nous même.

EH 1943 1

Nous avons le droit de souffrir, mais nous n’avons pas le droit de succomber sous ce poids. Et si nous survivons à cette période sans dommages, physiquement et psychologiquement, mais surtout psychologiquement, sans amertume, sans haine, alors nous aurons notre mot à dire après la guerre. Peut-être que je suis une femme ambitieuse : je voudrais pouvoir avoir mon tout petit mot à dire. Tu parles de suicide et de mères et d’enfants. Oui, bien sûr, je peux comprendre, mais je trouve que c’est un thème malsain. Il existe une frontière à toutes les souffrances, peut-être qu’un homme n’auras quand même pas à porter plus que ce qu’il ne peut porter, et lorsqu’une frontière à été atteinte, il mourra de lui-même. Il arrive de temps en temps que certaines personnes ici périssent d’une âme brisée , parce qu’ils ne saisissent plus le sens, ils son souvent jeunes. Les très vieilles racines qui sont encore dans un sol solide font face à leur destin fermement et sereinement. Ah, on voit ici toutes sortes de personnes et on les observe quant à leur réaction face aux questions les plus difficiles et existentielles. Je vais essayer de vous décrire comment je me sens, je ne sais pas si l’image est claire. Quand une araignée tisse sa toile, n’est-il pas qu’elle lance ses fils principaux en avant et puis qu’elle grimpe en avant sur celle-ci ? La route principale de ma vie s’étend déjà loin devant moi et atteint déjà un tout autre monde. C’est comme si tout ce qui se passe ici, et ce qui doit encre se passer, est déjà ?? quelque part en moi, je l’ai déjà digéré et vécu, et je contribue déjà à bâtir la société qui viendra après celle-ci.

Etty Hillesum, le 3 juillet 1943 (Lettres de Westerbork - camp d'internement aux Pays-Bas). Traduction AAvdL