J’ai mis un point d’honneur à annoncer la bonne nouvelle là où le Christ n’avait pas été nommé, pour ne pas construire sur les fondations d’autrui ; mais, ainsi qu’il est écrit, ceux à qui il n’avait pas été annoncé verront, et ceux qui n’en avaient pas entendu parler comprendront. C’est ce qui m’a souvent empêché de venir vous voir.  Mais maintenant, je n’ai plus de champ d’action dans ces contrées, et depuis de nombreuses années je souhaite vivement venir vous voir, quand j’irai en Espagne ; j’espère vous voir en passant et recevoir de vous ce dont j’aurai besoin pour le voyage, non sans m’être d’abord rassasié, au moins en partie, de votre compagnie.
 
Je vous recommande Phœbé, notre sœur, qui est ministre de l’Eglise de Cenchrées, afin que vous la receviez dans le Seigneur d’une manière digne des saints. Mettez-vous à sa disposition pour toute affaire où elle pourrait avoir besoin de vous, car elle a été une protectrice pour beaucoup, y compris pour moi-même. Saluez Prisca et Aquilas, mes collaborateurs en Jésus-Christ, qui ont risqué leur tête pour sauver ma vie ; ce n’est pas moi seul qui leur rends grâce, ce sont encore toutes les Eglises des non-Juifs ; saluez aussi l’Eglise qui est dans leur maison.  Saluez Epaïnète, mon bien-aimé, qui est les prémices de l’Asie pour le Christ.  Saluez Marie, qui s’est donné beaucoup de peine pour vous.  Saluez Andronicos et Junias, qui sont de ma parenté et qui sont aussi mes compagnons de captivité ; ils sont très estimés parmi les apôtres, ils étaient même dans le Christ avant moi. 

Saluez Ampliatus, mon bien-aimé dans le Seigneur. Saluez Urbain, notre collaborateur dans le Christ, et Stachys, mon bien-aimé.Saluez Apellès, qui a fait ses preuves dans le Christ. Saluez ceux de la maison d’Aristobule. Saluez Hérodion, qui est de ma parenté. Saluez ceux de la maison de Narcisse qui sont dans le Seigneur. Saluez Tryphène et Tryphose, elles qui se sont donné de la peine dans le Seigneur. Saluez Perside, la bien-aimée, qui s’est donné beaucoup de peine dans le Seigneur. Saluez Rufus, celui qui, dans le Seigneur, a été choisi, et sa mère, qui est aussi la mienne. Saluez Asyncrite, Phlégon, Hermès, Patrobas, Hermas, et les frères qui sont avec eux. Saluez Philologue et Julie, Nérée et sa sœur, ainsi qu’Olympas et tous les saints qui sont avec eux. Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser.Toutes les Eglises du Christ vous saluent.

Romains 15, 20-24, puis  16, 1-16 (nouvelle bible Segond)

  • lob 260120 11. Un parfum de fraternité ! Voilà pourquoi ce passage d’une lettre de Paul mérite que nous lui accordions ce matin toute notre attention.
  • S’il nous faut être attentifs à ce passage biblique, ce n’est pas parce que nous serions aux prises avec de la grande littérature !   Au contraire, dans ces quelques versets, nous n’avons aucune métaphore ciselée, aucune argumentation lumineuse, aucune  narration haletante, aucun de ces éléments dignes des bons romans, capables de tenir le lecteur éveillé.  

    Au contraire, l’enfilade de prénoms bizarres, la répétition monotone du verbe « saluez », tout cela peut rapidement créer une écoute distraite, s’il ne se dégageait pas de ces versets un admirable parfum de fraternité. Ce que je vous propose à présent, c’est de humer ce parfum, de le laisser nous rejoindre et nous réjouir de ces fragrances ! 

    2. Alors que depuis plusieurs années, nous cheminons avec une devise qui porte en son coeur la fraternité : « Devenons des passeurs d’espoir en vivant avec tous la fraternité de Jésus » Alors qu’aujourd’hui, nous nous sommes rappelés les moments fraternels vécus tout au long de l’année 2019…et alors que nous nous sommes projetés sur l’année 2020 avec notre désir de creuser le sillon, de continuer à vivre avec tous, sous de multiples formes, cette fraternité de Jésus…

    Il est bon à présent, de faire une pause auprès de ce passage des Écritures bibliques d’où se dégage un tel parfum de fraternité. 

    Car cela nous fait méditer sur ce qu’est la fraternité.  À force d’utiliser ce mot, comme toute chose, il s’use et si nous ne faisons pas attention, il perd de sa saveur. Il se décharge, il se vide de son énergie, de sa substance. Il devient comme une formule incantatoire ou un voeux pieux. 

    Quand c’est le cas, il est bon de faire une halte. Il est bon d’arrêter de simplement utiliser ce mot, de le convoquer dans nos propos  pour  faire le point et nous demander : mais, au fond, de quoi parlons-nous quand nous disons signons à la fin de nos différents emails «  bien fraternellement » ? Oui de quoi parlons-nous quand nous racontons à d’autres notre soirée d’étude biblique ou de groupe de maison et nous disons : il  y avait une ambiance fraternelle ? Oui de quoi parlons-nous quand nous affichons dans nos temples cette devise «  vivre avec tous la fraternité de Jésus » ? 

    De quelle fraternité parlons-nous ? Quelle saveur ? Quelle substance lui donnons-nous ? 

    C’est pourquoi, ce matin, il est bon de reprendre un de nos mots fondateurs et, en nous exposant au parfum qui se dégage d’un passage biblique, de recharger ce mot, de le réinvestir d’une sève, d’un contenu substantiel. Pour recharger ce mot, je vous propose de méditer autour de 3 fragrances parmi toutes les fragrances possibles qui se dégagent de ce texte

    lob 260120 33. Première fragrance ! 

    Pour Paul, l’église de Rome n’est pas une entité spirituelle abstraite, mais ce sont des noms, des individus uniques, des frères et des soeurs. Il ne termine pas sa lettre en disant : «  saluez l’assemblée ». Non, il prend le temps de nommer différentes personnes de cette assemblée. Il dit  : « saluez Phoebé, Prisca, Aquilas, Epaïnète, Andronicus et Junias, Ampliatus, Stachys, Apelles, Hérodion. »  

    Par cette longue énumération, Paul nous apprend à éviter de penser par généralité. Il s’inscrit dans la lignée de l’Évangile pour qui nous ne devons pas aimer toute l’humanité, mais aimer notre prochain. Nous ne sommes pas appelés à aimer de manière générale et abstraite, mais de manière concrète et personnelle. 

    Cette longue liste de prénoms est une mine qui nous révèle le visage particulier, unique de cette communauté. En étant attentif à ces prénoms, nous quittons les généralités et les représentations que nous pouvions avoir de ce qu’était une première communauté chrétienne. 

    Dans cette communauté, il y a des femmes qui ont des fonctions importantes, puisque Phébé, est qualifiée comme protectrice et ministre, ( diaconesse, c’est la seule mention dans NT où une femme a exercé la fonction importante de diaconesse  ) ; il y a aussi Junia, une femme qui est venue à la foi antérieurement à Paul et  est  même qualifiée d’apôtre  (le terme d’apôtre n’était pas réservé aux Douze ; une vision des ministères qui n’était pas fermée, limitée. Apôtre = les envoyés).  

    Dans cette communauté, il y a des prénoms connus, que nous retrouvons à d’autres endroits des lettres de Paul. Par exemple, Priscille et Aquila, un couple judo chrétien qui avait fui Rome à la suite de l’édit de l’empereur Claude chassant les juifs; Paul les avait rencontré à Corinthe. Un même métier devait les rapprocher, peut-être même que Paul trouva de l’embauche chez eux ; nous ne savons pas ce qui les amena à la foi, mais ils suivirent Paul à Ephèse où ils ont travaillé à l’oeuvre du Seigneur. 

    Cependant, dans cette communauté, il y a aussi des personnes qui restent pour nous des illustres inconnus, enrobés de mystère,  comme par exemple Epaïnète. Nous ignorons totalement pourquoi Paul le chérit si particulièrement.

    Dans cette communauté, il y a des personnes qui portent des prénoms très aristocratiques, comme Aristobule ( prénom très courant à l’époque parmi les notables juifs, il y avait beaucoup d’Aristobule dans la famille du roi Hérode par exemple).  Il y a aussi des personnes qui portent des prénoms que l’on donnait souvent aux esclaves : Amphiatus, Stachys. 

    Il y a des prénoms rares qui font qu’aujourd’hui, nous avons peu de moyens pour en extraire des infos : Asyncrite,  Patrobas, Phlégon ( prénom qui était aussi donné aux chiens) ; il y a aussi des prénoms courants : Hermes.

    Ainsi en méditant, ces listes de prénoms, voilà que cette communauté prend du relief. Nous quittons les généralités pour approcher un peu sa particularité.  

    La première fragrance qui se dégage de cette liste de prénoms nous rappelle combien la fraternité ne se nourrit pas de généralités, mais de visages. 

    Il est bon de nous imprégner de cette fragrance. Car la devise que nous nous sommes donnée pour notre secteur comporte le risque de la généralité. 

    Quand elle dit : vivre avec tous la fraternité de Jésus, elle pourrait nous faire croire qu’il nous faut, de manière générale et abstraite, vivre avec tout le monde la fraternité. 

    Si c’était le cas, rappelons ces salutations de Paul ! Alors nous traduirons le « avec tous » comme il faut le traduire : c’est à dire  « avec chacun ».  C’est à dire avec toi, toi et toi ; et avec chacun de celles et ceux qui au hasard des rencontres deviennent notre prochain.

    4. Deuxième fragrance ! Avez-vous remarqué  ?  À aucun moment de  ce passage biblique, Paul n’articule de chiffres. Quand il parle de l’église qui se réunit chez Priscille et Aquila, il ne dit pas saluez les 46 personnes qui se réunissent chez vous. Non, aucun chiffre n’est donné.  Au lieu de compter, Paul ne fait que nommer. Il y a dans cette attitude, une pratique tout à fait intéressante qui m’interroge. 

    Car souvent, nous agissons à l’inverse de Paul.  Dans nos réunions du Conseil de secteur, quand nous faisons le point sur une activité passée, une des premières questions qui surgit est : combien étions-nous ? Après chacun de nos cultes, nous remplissons un cahier où nous inscrivons le montant de l’offrande et aussi le nombre des présents. 

    Parfois même sur nos affiches, pour annoncer une soirée, nous écrivons : « venez nombreux ». Eh bien, par sa longue énumération de prénoms où à aucun moment il n’est question de chiffres, je crois que Paul nous fait prendre le contre-pied de cette logique. 

    Au lieu de compter, Paul prend soin de nommer. Au lieu de nous donner des indications chiffrées sur la taille de l’assemblée qui se réunissait à Rome ou dans la maison de Priscille et Aquilla, Paul prend soin de nommer une à une les personnes qu’il connaît et de rappeler une particularité du lien qui s’est tissé avec chacune. 

    Il ne fait pas que rappeler le prénom d’ Epaïnète, mais il prend le temps de souligner :  « mon bien-aimé, qui est les prémices de l’Asie pour le Christ. » 

    Et si nous nous inspirions de cette bonne pratique ? Après nos rencontres, au lieu de nous demander combien nous étions, prendre le temps de nommer les personnes qui étaient là et prendre conscience du lien qui s’est tissé, approfondit, resserré au cours de cette rencontre… 

    Si cette pratique est une bonne pratique, c’est parce qu’elle évite que la fraternité devienne une formule creuse. En prenant le temps de nommer et non de compter, nous rechargeons  le mot fraternité de toute une sève savoureuse, la sève de notre vécu.  Prendre le temps de nommer, ce n’est pas du temps perdu, c’est  entendre l’autre nous raconter comment le mot «  fraternité » a pris chair dans sa vie, comment le mot «  fraternité s’est incarné dans ces instants de rencontre. 

    lob 260120 25. Troisième et dernière fragrance ! Si le verbe « saluez » revient souvent, une autre expression se répète abondamment. C’est celle qui dit : «  Dans le Seigneur » ou   «  dans le Christ ».  

    Au lieu de terminer sa lettre en rappelant des objectifs à atteindre, Paul termine sa lettre en soulignant combien tout ce qui a été vécu jusqu’à maintenant, les réussites comme les échecs, combien les relations qui se sont tissées, combien tout ce qui a été vécu et reçu l’a été  « dans le Seigneur ».  

    Aujourd’hui, à nos oreilles, cette expression peut sonner comme quelque chose de pieux, de très spirituel, c’est à dire un peu décalé par rapport à notre quotidien.

    Il y a quelques années, en arrivant dans cette paroisse, j’avais l’habitude de signer mes emails par la formule suivante : « cordialement en Christ ». Ce qui m’a valu à plusieurs reprises, des remarques dubitatives sur le bien fondé de cette expression. Pourquoi vouloir rajouter « en christ » à chaque salutation ? Au lieu que ce soit du parfum, il s’en dégageait plutôt une odeur de sacristie  et naphtaline !

    Effectivement, à quoi cela peut-il servir de toujours et encore rappeler « en Christ », ou « dans le Seigneur »  ? 

    A cette question, je répondrai ceci : à nous rappeler que notre objectif d’église, bien sûr, c’est de proposer des réunions de maison, des rencontres d’études bibliques ou du groupe Source. Bien sûr, c’est proposer des conférences qui nous font réfléchir, des concerts qui par leur beauté nous élèvent… 

    Mais plus fondamentalement, notre objectif d’église, c’est de nous apprendre à vivre tout ce qui nous est donné de vivre, les joies comme les peines, les hauts comme les creux de la vie, vivre tout cela dans le Seigneur. C’est à dire, de vivre tout ce que nous avons à vivre en nous laissant être rejoint par de la vie qui vient de plus loin, de plus profond que notre vécu et qui se donne pourtant au travers de ce vécu. 

    De vivre toutes nos réussites comme nos échecs en ancrant ce vécu dans le Seigneur, en apprenant au travers d’eux à nous relier à Dieu, en apprenant à ancrer ce vécu dans un amour plus vaste et plus profond que notre manière d’aimer. 

    Car l’essentiel dans une vie d’église n’est pas d’accomplir de grandes oeuvres, de déployer tout azimut de multiples actions,  mais d’apprendre à  vivre tout ce que nous avons à vivre en étant relié au Seigneur. Car c’est dans ce lien, c’est par ce lien que nos projets et  nos actions trouvent leurs vraies saveurs. 

    6. Ainsi ce qui recharge le mot fraternité de toute sa substance, ce qui recharge aussi nos vies en leur donnant de la sève, c’est :

    • quitter les abstractions 
    • de prendre conscience de tous les visages, de les nommer
    • vivre tout ce qu’il nous est donné de vivre dans cette traversée de la vie,  en apprenant à nous relier à un amour qui vient de plus loin que nous. 

    Amen,

    Luc-Olivier Bosset, le 26 janvier 2020 à Cournonterral
    Crédit images : https://unsplash.com