Achab raconta à Jézabel tout ce qu’avait fait Elie, et comment il avait tué par l’épée tous les prophètes. Jézabel envoya un messager à Elie, pour lui dire : Que les dieux fassent ceci et qu’ils y ajoutent cela, si demain, à cette heure-ci, je ne fais de ta vie ce que tu as fait de la vie de chacun d’eux !  Elie, voyant cela, s’en alla pour sauver sa vie. Il arriva à Bersabée, qui appartient à Juda, et il laissa là son serviteur. Quant à lui, il alla dans le désert, à une journée de marche ; il s’assit sous un genêt et demanda la mort en disant : Cela suffit ! Maintenant, Seigneur, prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères. Il se coucha et s’endormit sous un genêt. Soudain, un messager le toucha et lui dit : Lève-toi, mange ! Il regarda : il y avait à côté de lui une galette cuite sur des pierres chaudes et une cruche d’eau. Il mangea et but, puis se recoucha. Le messager du Seigneur vint une seconde fois, le toucha et dit : Lève-toi, mange, car le chemin serait trop long pour toi. 8Il se leva, mangea et but ; avec la force que lui donna cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb. Là-bas, il entra dans la grotte et y passa la nuit. Soudain la parole du Seigneur lui parvint, qui lui disait : Que fais-tu ici, Elie ? Il répondit : J’ai montré une passion jalouse pour le Seigneur, le Dieu des Armées ; car les Israélites ont abandonné ton alliance, ils ont rasé tes autels, ils ont tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis resté, seul, et ils cherchent à me prendre la vie ! Il reprit : Sors et tiens-toi dans la montagne, devant le Seigneur. Or le Seigneur va passer. Un grand vent, violent, arrachait les montagnes et brisait les rochers devant le Seigneur : le Seigneur n’était pas dans le vent. Après le vent, ce fut un tremblement de terre : le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre. Après le tremblement de terre, un feu : le Seigneur n’était pas dans le feu. Enfin, après le feu, le son d’un silence subtil. Quand Elie l’entendit, il s’enveloppa le visage de son manteau, sortit et se tint à l’entrée de la grotte.

1 Roi 19 (nouvelle bible Segond)

CM2020 11. « Le Seigneur n’était pas dans le vent, Le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre, Le Seigneur n’était pas dans le feu… »

Dans l’Ancien Testament, plus précisément dans les livres des Rois, le cycle qui nous raconte la saga du prophète Elie est un récit haut en couleurs. 

Dans ce récit, on découvre les relations compliquées, voir même le rapport de force qu’Elie entretient avec Achab et surtout  avec la reine Jésabelle qui veulent promouvoir le culte de la divinité Baal dans tout le pays. Un rapport de force où Elie n’hésite pas à invoquer son dieu pour que la sécheresse s’abatte sur ce pays. Poursuivi par la reine,  Elie  entre en résistance, il se réfugie comme si c’était un maquis,  au bord d’un oued nommé Kérith où il est nourrit par des corbeaux.

Puis la grande confrontation arrive. Elle a lieu au sommet du Mont Carmel. D’un côté la cohorte des prophètes de Baal. De l’autre, Elie seul et fidèle serviteur du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.  Or  bien que seul contre tous, Elie remporte la confrontation. La cohorte des prophètes de Baal  a eu beau invoquer  sa divinité,  rien ne s’est passé. Le feu de leur sacrifice ne s’est pas allumé. Tandis que, à la moindre invocation d’Elie, le feu du ciel est descendu pour embraser l’autre autel où se trouvait un sacrifice préparé pour  Adonaï. 

Si je vous raconte cela, c’est parce qu’au sommet du Mont Carmel, Elie savait où était Dieu. Oui, c’était évident que  Dieu se manifeste dans le feu. Cette conviction remplissait Elie d’un zèle ardent, d’un zèle puissant, d’un zèle qui était comme une passion brûlante, comme un feu. 

Dévoré par l’ardeur de son zèle, Elie n’hésite pas à se moquer du silence de la divinité des prophètes de Baal. Au sommet du mont Carmel, le silence pour notre Elie n’est pas quelque chose digne d’intérêt. Le silence n’est pas une expérience à vivre. Au contraire, si Dieu doit être présent, ce n’est pas dans quelque chose  aussi fade et creux que le silence. Si Dieu doit être présent, il doit l’être de manière puissante et bruyante : dans le feu de l’éclair qui surgit du ciel pour venir embraser et faire crépiter l’autel où se trouve le sacrifice.  

2. Or le récit biblique est haut en couleur, parce que, quelques versets plus loin, nous retrouvons notre prophète Elie en train de faire une toute autre expérience : 

« Le Seigneur n’était pas dans le vent, Le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre, Le Seigneur n’était pas dans le feu… »

À nouveau, Elie est confronté à des manifestations de puissance. Le vent, le tremblement de terre, le feu. Au sommet du mont Carmel face à la cohorte des prophètes de Baal, de telles manifestions de puissance aurait galvanisé son zèle. Or là, le temps a passé, de l’eau a coulé sous les ponts.  Depuis ce qui s’est passé au sommet du mont Carmel, Elie a vécu. Il a été confronté à de nouvelles réactions de Jézabel. Alors qu’il pensait que sa victoire éclatante face aux prophètes de Baal allait mettre un point final au rapport de force, c’est l’inverse qui s’est produit. Les tensions ont redoublé. Cette gue-guerre perpétuelle lasse Elie.  

Empli de désillusions, Elie se réfugie au fond d’une caverne loin, loin, loin des intrigues de la cours du roi d’Israël. Son zèle s’est éteint. Elie se sent aussi sec que le désert qui l’entoure. Il n’a plus goût à rien. 

C’est pourquoi quand le feu, puissant, se manifeste, Elie ne bouge pas du fond de sa caverne. Car le feu comme lieu de la manifestation de Dieu a perdu son sens. Toutes ces démonstrations de force ne le mobilisent plus, ne l’impressionnent plus, ne l’intéressent plus. 

Oui, à un autre moment de sa vie, Elie était convaincu que le feu pouvait être une manifestation de Dieu. Mais aujourd’hui cette conviction sonne creux. Le feu a beau rugir et crépiter, Elie ne bouge pas. Il reste au fond de sa caverne. 

Dieu n’est pas dans le feu. Dieu n’est plus dans le feu.

CM2020 23. Cette semaine, dans lisant l’actualité, je suis tombé sur le témoignage d’une femme trentenaire qui alors qu’elle avait grimpé les échelons pour atteindre un poste à responsabilité au sein d’une organisation humanitaire, a décidé de tout plaquer. 

Pleine de zèle et de convictions, cette femme avait été sur le terrain en Syrie et en Turquie, dans ces camps de réfugiés où les ONG se mobilisent pour que les conditions de vies soient le plus décentes possibles. Or sur le terrain, cette femme a aussi été confrontée à des rivalités entre ONG, à des rapports de force avec les instances politiques… Des rivalités et des rapports de force qui l’ont désillusionnée.  

Pour expliquer son choix de quitter ses responsabilités, cette femme écrivait : « Je ne critique pas l’idée de fond derrière l’humanitaire ; je remets en cause certaines dynamiques nuisibles. Tout cela m’a laissée avec du vide et une question angoissante : si pour moi l’humanitaire a perdu son sens, où est-ce que je vais en trouver ? Comment faire quelque chose qui aide vraiment les gens, dans un environnement respectueux et bienveillant, sans repartir dans une course ambitieuse et déshumanisante ? »

Au fond, les contextes ont beau être totalement différents. Cette femme fait la même expérience que le prophète Elie. Celle de la perte de sens de ce qui a été le moteur de leur engagement. 

Le sens n’est plus dans l’humanitaire. Le sens n’est plus dans le zèle et le feu

4. Mais alors où est-il ce sens ? Comment le retrouver ? Pour répondre à ces questions essentielles, intéressons-nous à la suite du récit biblique d’Elie. 

« Enfin, après le feu, le son d’un silence subtil. Quand Elie l’entendit, il s’enveloppa le visage de son manteau, sortit et se tint à l’entrée de la grotte. »

L’expérience source qui remet Elie en route, c’est celle où il est rencontré par le  son d’un silence subtil. 

Le son d’un silence subtil… Percevez-vous l’oxymore dans cette expression ? 

Un oxymore est une figure littéraire comme par exemple «  une obscure clareté » , une figure littéraire qui  en mettant ensemble deux réalités au prime abord contradictoires nous permet de dépasser les conclusions habituelles et nous ouvre à de nouvelles perspectives.  

Ainsi mettre ensemble le mot hébreu «  col » qui veut dire la voix, le son, le bruit et le mot « demama » qui veut dire silence, c’est faire une alliance ingénieuse de mots contradictoires. Dans cet oxymore biblique, j’entends la nouvelle expérience surprenante qu’est en train de faire Élie. 

Au sommet du mont Carmel, Elie se moquait du silence et ne le percevait que comme quelque chose d’inutile, de creux et de vide. Or voilà que là, au fond de sa caverne, Élie vit une expérience qui lui fait réviser ses jugements fermes et tranchés. Le silence n’est pas que quelque chose d’inutile, de vide et de creux. Le silence peut être aussi par moment articulé à quelque chose de plein, de nourrissant, à de la parole. 

CM2020 3En étant rencontré par le son d’un silence, Elie revoit ses conclusions habituelles sur le silence. Le silence ne se résume pas à que ce qu’il en avait jusque là  pensé. Le silence peut être articulé à de la parole et devenir quelque chose de très subtil. 

Ce qui fait sortir Elie de sa caverne, ce qui vient le déloger de ses désillusions, c’est l’expérience de l’oxymore. Quand dans le récit, il est écrit « Dieu n’est pas dans le tremblement de terre, Dieu n’est pas dans le feu », entendez : Dieu n’est pas dans des jugements tranchés et massifs. Dieu peut être dans le feu, comme cela est raconté dans le récit de Moïse au buisson ardent, mais c’est un feu subtil. C’est un feu qui brûle sans consumer. 

Dieu peut être dans le tremblement de terre, comme cela est raconté dans l’Évangile de Matthieu au matin de Pâques, mais c’est un tremblement de  terre subtil qui fait rouler la pierre du tombeau, rouler la pierre du désespoir qui bouche l’horizon.

Ce qui nous fait sortir de la caverne de nos désillusions, c’est d’être rencontré par des expériences subtiles. Quand nous avons perdu le sens de ce qui était le moteur de notre engagement, ce qui nous remet en selle, c’est d’être rencontré par des oxymores qui viennent mettre de la subtilité, de la nuance et de la finesse  dans nos jugements. 

5. Dans l’obscure clarté de l’oxymore, notre moteur n’est plus alimenté par un zèle dévorant. Notre moteur se régénère, sans grande démonstration tonitruante, dans un silence qui parle, Notre moteur s’alimente auprès d’un feu qui brûle sans dévorer

Notre moteur, certes, peut être parfois bousculé par un tremblement de terre, mais c’est un tremblement de terre qui vient faire rouler les pierres  pesantes et lourdes de nos désillusions. 

6. Depuis le temps où il a été écrit, c’est à dire des milliers d’années, ce récit où Elie est rencontré par un oxymore, par le son d’un silence subtil, ce récit  nous murmure cette espérance : Dans les crises de la vie où tu perds le sens de ton engagement, garde confiance !  

Un jour, alors que tu seras prostré au fond de ta caverne, tu seras rencontré par un oxymore ! 

Amen 

Luc-Olivier Bosset, le dimanche 8 mars 2020, journée œcuménique à la cathédrale de Maguelone à Villeneuve-lès-Maguelone
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