Culte du 28 novembre 2020 de l'Église Protestante Unie de Montpellier & Agglomération enregistré au Centre Œcuménique à Jacou. 

 

ed 281120 1Vous pouvez voir le culte ici (le texte de la prédication suit sous la vidéo)

 

Mais en ces jours-là, après cette détresse-là, le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera plus sa clarté, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l'homme venant sur les nuées avec beaucoup de puissance, avec gloire. Alors il enverra les anges et rassemblera des quatre vents, de l'extrémité de la terre jusqu'à l'extrémité du ciel, ceux qu'il a choisis.

Il en sera comme d'un homme qui, partant en voyage, laisse sa maison, donne autorité à ses esclaves, à chacun sa tâche, et commande au gardien de la porte de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand viendra le maître de maison : le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou au matin ; craignez qu'il n'arrive à l'improviste et ne vous trouve endormis. Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez. 

Marc 13, 24-27, 33-37 (traduction Nouvelle Bible Segond)  

 

« Veillez, car vous ne savez pas quand sera le moment ». Voici ce que déclare Jésus à ses disciples, voici à quoi il les encourage. À veiller.

Dans ce passage de l’évangile selon Marc, l’enseignement de Jésus est apocalyptique, à l’image des remous de son temps. À l’époque de la rédaction, la Judée est traversée par des crises profondes : guerre, famine, tremblements de terre, massacres. Ce temps de crises atteindra s3on paroxysme lors de la destruction de Jérusalem et de son Temple.

Dans ce contexte, les uns appellent au soulèvement du peuple, à sa révolte ; les autres voient dans ces évènements les signes de la fin, fin des temps, fin du monde ; d’autres tentent de sauver les pierres qui restent. Certainement le sujet est sur toutes les lèvres, dans toutes les bouches, certainement que la question de ce qu’il y aura « après », la question de ce qu’il « se passe » occupe les maisons, on discute de si « le temps dernier est venu ». Et c’est en toute logique que nous retrouvons ces questionnements dans les paroles rapportées des disciples lorsqu’ils questionnent aussi Jésus sur les évènements.

« Veillez, car vous ne savez pas quand sera le moment ».

Le décalage : renouvellement

Et comme le fait presque à chaque fois, Jésus leur répond en décalant la question. Non, contrairement à d’autres personnalités de son époque, contrairement à d’autres courants, il ne convoque aucune référence précise à des faits présents ou à venir. Il ne formule pas de prophétie, ne donne ni date, ni heure. Ce qu’il décrit-là ne ressemble à rien d’autre que l’histoire propre de l’humanité qui bégaie, qui se répète, l’histoire de cette humanité marquée par la détresse et le malheur.

La réponse de Jésus ne relève pas de l’Histoire des humains. Elle n’est pas une transfiguration du monde provoquée par les êtres humains. Elle est renouvellement du monde amorcé par le Fils de l’Homme.

ed 281120 2Les différents temps : la veille du kaïros

Dans la Bible et principalement dans le Nouveau Testament, lorsqu’il est question du temps, le texte utilise trois mots grecs différents là où le français n’a qu’un seul mot : « le temps » :

  • Il y a le temps chronos. Il s’agit de la durée, de la période, au sens technique du terme. Le temps chronos, c’est le temps qui passe, le temps de nos montres, de nos calendriers, le temps chronologique.
  • Il y a le temps aïon. Il s’agit d’un cycle, d’une phase. C’est le temps des saisons, des générations.
  • Et puis il y a le temps kaïros, littéralement le « moment favorable, le moment opportun ». C’est l’instant où tout bascule, où la situation change du tout au tout. Ou l’on passe du sombre à la lumière, du désespoir à la joie. C’est le moment où l’issue saute aux yeux.

Alors que le chronos et l’aïon font références à une quantité de temps, le kaïros parle de qualité de l’instant. Le kaïros surgit dans le temps, dans la chronologie de nos existences.

Lorsque les disciples interrogent Jésus sur le temps qu’ils vivent, les disciples veulent savoir si le cycle se termine, si la chronologie va s’arrêter…. Et Jésus, dans sa réponse, souligne qu’ils ne pourront jamais savoir quand le moment du basculement arrivera, quand le kaïros entrera dans leur vie. Au lieu de répondre en donnant un jour et une heure précise, il les invite à veiller, à chasser le sommeil, il les invite à guetter à chaque instant cet évènement du basculement qui pourrait surgir, ce kaïros dans la nuit qui apporte l’espérance.

Veiller activement

Veiller, guetter, faire le guet, veiller, non pas de manière passive, mais veiller activement, tout de suite. Voilà ce à quoi Jésus les invite, voilà ce à quoi il nous invite encore aujourd’hui, ici et maintenant.

Il ne s’agit pas d’avoir peur de ce qui pourrait se passer, il s’agit de ne pas craindre l’Histoire avec un grand H. Il ne s’agit pas non plus de réveiller les autres, de les forcer à changer. Non, il s’agit avant tout et pour tout, qu’individuellement, nous ne soyons pas celui ou celle qui dort, celui ou celle qui n’attend plus rien du monde et de la vie, celui ou celle qui est abattu·e, sans plus aucune espérance en l’avenir.

Le Christ nous invite individuellement à veiller, à rester éveillé·e·s, à garder espoir fasse aux turpitudes du monde. A garder les yeux ouverts, à chercher la lumière dans l’obscurité, quand bien même la nuit semblerait très sombre. A garder les yeux ouverts, à scruter le monde et les évènements pour capter ce temps, ce kaïros, ce moment qui comme un éclair illumine tout, bouleverse tout, change tout.

Les kairos de nos vies

A l’époque de Jésus, à l’époque où le texte fut rédigé, la Judée vivait un temps de crise. Aujourd’hui aussi, nous en vivons un. Un temps de crise qui ne cesse de durer. A chaque fois que l’on se dit qu’elle va se terminer, que le cycle, l’aïon va se terminer, voilà qu’elle repart de plus belle. Au point que finalement, nous aimerions bien connaître la date et l’heure de la fin de cette crise qui dure.

Alors, comment ne pas se retrouver dans ces disciples qui demandent à Jésus quand cela se terminera ?

Pour nous aussi, aujourd’hui, il est bien difficile de ne pas se faire engloutir par ce chronos, par ce temps chronologique. Tout s’enchaîne, nous courrons après les tâches, nous subissons le temps et les évènements. Tout s’enchaîne à tel point que parfois l’espoir semble s’échapper, disparaître, lui aussi, du tableau de la situation.

Et pourtant, à regarder de plus près, qui dans sa vie n’a jamais expérimenté ce fameux kaïros ? En relisant les évènements de nos vies, en regardant en arrière, il y a toujours la possibilité de voir sa vie autrement, de voir les évènements sous un autre regard. Et c’est alors que le kaïros, le moment d’espérance, nous apparaît comme une évidence. Cet instant charnière où notre quotidien a basculé : cela peut être une rencontre, un évènement, un livre, une musique ; cela peut être une pensée, un sentiment. Des kaïros, chers amis, nos vies en sont remplies. Ils ne demandent qu’à être vus, à être savourés. Pour les voir, il nous faut les chercher. Pour ne pas les manquer, il nous faut les guetter car nul ne sait ni le jour, ni l’heure. Cela pourrait être le matin, l’après-midi, le soir et même la nuit.

Les kaïros à partager

Ainsi, le Christ nous appelle à écouter, à discerner, à ouvrir grand les yeux pour ne pas en rater. Il nous appelle aussi à les partager ces kaïros pour que nul ne soit tenté d’arrêter de les guetter dans sa propre vie.

Veiller activement est un acte de foi chers amis… ou peut être, en premier lieu, un acte de confiance en l’autre, qu’il soit humain ou divin. Car qui se mettrait à la fenêtre pour guetter une lumière dans la nuit si au fond de lui-même il n’avait pas, ne serait-ce qu’un peu l’intuition, que oui, une lumière pourrait apparaître ? C’est un peu comme la poule et l’œuf finalement : faut-il croire pour se mettre à guetter ce kaïros, ou bien, c’est en captant un kaïros que l’on se met à croire ? Ou encore parce que cet autre nous en a raconté un de sa vie ? Pour relire les évènements de nos vies, faut-il déjà savoir qu’il y a un kaïros à trouver ou le kaïros peut-il s’imposer à notre relecture et nous pousser à en chercher encore et encore ?

Avent

En cette fin d’année civile, en ce début d’année liturgique, nous entrons dans le temps de l’Avent. C’est un temps où nous sommes appelés à nous préparer à Noël. Il est le temps de l’attente, l’attente de la naissance du Christ. Car finalement, cette naissance, n’est-elle pas un kaïros dans l’histoire de l’humanité ? Cette naissance, n’est-elle pas ce moment de basculement où l’espérance entre un monde de détresse ?

Le Messie était attendu mais nul ne connaissait ni le lieu, ni le jour, ni l’heure de sa naissance. Et nul ne connaissait non plus l’ampleur, le bouleversement de sa tâche pour l’humanité. Mais certains ont veillé, ont vu et ont témoigné. Peut-être pas le jour J, certainement bien après avoir relu les évènements mais, n’empêche, le kaïros, ils l’ont vu. Le kaïros, on nous l’a raconté.

Et c’est là tout le paradoxe de l’Avent pour nous aujourd’hui : préparer la fête d’une naissance dont nous connaissons déjà la date. Voici un autre paradoxe : fêter l’Avent, c’est entrer dans un temps pour nous mettre, nous remettre à veiller, à guetter les kaïros dans nos vies. Entrer dans ce processus, c’est déjà veiller. Alors quoi faire ? Quoi faire de plus ? Quoi faire d’autres ?

Couronne de l’Avent

Ambre et Jonas ont allumé pour nous la première bougie de la couronne de l’Avent. Il est difficile de déterminer l’origine de cette tradition. Mais ce qui est certain, c’est qu’elle convoque plusieurs symboles. Regardons de plus près la couronne :

  • Une couronne, symbole de la victoire à venir. La couronne d’épine s’est transformée en couronne de vie, de résurrection.
  • Le vert, couleur de l’espérance à venir. Le rouge couleur de la vie.
  • Les bougies allumées une à une, la lumière qui augmente au fur et à mesure, symbole de la lumière que le Christ apporte au monde lors de sa venue. Symbole de l’espérance qui gagne sur l’obscurité.
  • Quatre bougies, pour quatre semaines d’attente et de préparation. Quatre bougies pour quatre évangiles, quatre manières différentes de raconter l’histoire de Jésus Christ. Quatre points cardinaux pour rappeler que son œuvre touche toute la terre.

ed 281120 3Par sa symbolique, cette couronne annonce l’évènement à venir, son attente, autant qu’elle raconte ce qu’il s’est passé. L’Avent signifie « ce qui doit venir ou ce qui est en train de venir ».

Le Christ est venu une fois, il y a 2000 ans. Mais le Christ continue aussi de venir dans nos vies aujourd’hui. Il entre dans nos quotidiens par ces temps d’exceptions, ces kaïros. Il y a autant de manières de parler de ces temps d’espérances aujourd’hui, qu’il y a de témoins. Hier, 4 quatre évangiles témoignaient de l’œuvre du Christ. Aujourd’hui, ceux sont des millions qui témoignent de ce que le Christ est, et fait pour eux ici et maintenant.

Le temps de l’Avent nous appelle à rester éveillé·e·s, à guetter, non plus une naissance, mais ce kaïros dans nos vies. Nous sommes comme des enfants qui apprennent à marcher : nous n’avons jamais fini de savoir comment veiller. Et parce que l’être humain oublie peut-être trop facilement, parce que l’être humain a besoin de rite, le temps de l’Avent est là, année après année, pour nous rappeler l’importance de la veille active.

Il est bon de connaître l’Histoire de Jésus. Et même cela est certainement nécessaire pour nous aider à veiller. Mais il est bon aussi de se tourner vers le présent et l’avenir pour scruter ces moments d’espérances. Il ne s’agit pas d’attendre simplement mais plutôt d’échanger les uns avec les autres, de discerner seul et ensemble, d’observer, bref de rester actifs dans la veille pour ne pas s’endormir sur ce que l’on sait déjà.

L’Avent entraîne notre regard vers l’arrière, vers les traces laissées sur le chemin. L’Avent entraîne aussi notre regard vers ce qui vient au-delà, pour que nos cœurs se réjouissent et que l’espérance nous porte. Alors ne restons pas bloqués dans l’avant-veille mais veillions au devant.

Amen.

Emline Daudé, le 28 novembre  2020 à Jacou.
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