Le premier jour de la semaine, Marie-Madeleine vient au tombeau dès le matin, alors qu’il fait encore sombre, et elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court trouver Simon Pierre et l’autre disciple, l’ami de Jésus, et elle leur dit : On a enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où on l’a mis ! Pierre et l’autre disciple sortirent donc pour venir au tombeau. Ils couraient tous deux ensemble. Mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau ; il se baisse, voit les bandelettes qui gisent là ; pourtant il n’entra pas. Simon Pierre, qui le suivait, arrive. Entrant dans le tombeau, il voit les bandelettes qui gisent là et le linge qui était sur la tête de Jésus ; ce linge ne gisait pas avec les bandelettes, mais il était roulé à part, dans un autre lieu. Alors l’autre disciple, qui était arrivé le premier au tombeau, entra aussi ; il vit et il crut. Car ils n’avaient pas encore compris l’Ecriture, selon laquelle il devait se relever d’entre les morts. Les disciples s’en retournèrent donc chez eux.

lob 040421 1Jean 12, 1-10 (traduction Nouvelle Bible Segond)  

1. « Alors l’autre disciple entra lui aussi dans le tombeau ;  Il vit et il crut »

Cette phrase est splendide par sa simplicité. En effet, elle ne dit pas : il vit et il crut en la résurrection de la chair ou bien, il vit et il crut au paradis, aux enfers et aux limbes. C’est à dire que cette phrase ne vient pas charger le verbe croire de tout un arsenal de croyances ou de dogmes.

Au contraire, si cette phrase est splendide, c’est justement parce qu’elle reste dans la simplicité. Elle n’ajoute aucun compléments au verbe croire : il vit et il crut. Dans la lumière qui se dégage de cette simplicité, nous comprenons que croire, c’est moins adhérer à un dogme, que d’être dans une disponibilité attentive et étonnée, à la réalité telle qu’elle se présente.  

L’expérience qui suscite la foi est moins la récitation d’un catéchisme, qu’une manière d’être présent au présent. La foi dont il est ici question exprime une disponibilité, une façon attentive et étonnée d’être présent au présent.  

Quand je parle ainsi de la foi, les poètes savent ici très bien de quoi je parle, eux qui par leur perception affutée, sont sensibles et perméables à la belle présence de la réalité.  Ainsi dans ce récit de l’évangile selon Jean qui nous raconte le matin de Pâques, qui essaie de nous transmettre la bonne nouvelle de la résurrection du crucifié, je trouve splendide que la foi ne soit pas décrite comme une adhésion au dogme de la résurrection de la chair,  mais qu’ici, tout simplement, la foi est décrite comme ce qu’éprouve le disciple lorsqu’il s’est décidé à entrer dans le tombeau, c'est à dire la foi comme cette présence au présent qui éveille en lui une perception fine, large et profonde de la réalité.  

En restant auprès de la simplicité de cette phrase, « il vit et il crut », nous serons orientés vers une bonne et juste direction. Nous n’allons pas parler de la résurrection du crucifié comme si c’était un une information surnaturelle et exclusive que nous n’aurions plus qu’à acquiescer. Aborder la résurrection de cette manière ne nous emmènerait que dans des débats stériles et compliqués. 

En restant auprès de la simplicité de cette phrase, nous allons pouvoir parler de la foi en la résurrection comme d’une expérience poétique, c’est à dire une expérience intime, riche et variée, qui au contact du vide,  nous permet d'être lumineusement présent au présent.

Intéressons-nous à cette expérience poétique, en reprenant une à une chacune de ces dimensions :  

  • une expérience intime
  • une expérience riche et variée
  • une expérience du vide

2. La foi est une expérience intime.

Dans tout le nouveau testament, le disciple bien aimé est un cas unique. Il est le seul dont on nous dit qu’il croit, sans que des messagers ou que le Ressuscité ne lui apparaissent. Sa foi n’a pas été suscitée par des paroles d’autorité venant de plus loin que sa conscience; sa foi n’a pas été suscitée par des annonces impressionnantes, faites par des messages étincelants…

Sa foi ne surgit pas parce que, de l’extérieur de lui-même, on lui aurait demandé de croire. Au contraire ! Sa foi est comme une éclosion intime, surgissant de l’intérieur de lui-même, au moment où il s’est décidé d’entrer dans le tombeau vide. 

Dans ce récit d’ailleurs, il nous est raconté que le disciple bien aimé n’est pas le seul à être allé au tombeau. Marie de Magdala, Pierre y sont allés aussi. Tous les trois ont vu la pierre roulée, Pierre est même entré dans le sépulcre pour observer et constater avec précision l’état des lieux. 

Cependant, à ce stade du récit, il n’est pas mentionné que Marie ou Pierre accèdent à la foi. Non pas qu’ils n’y accéderont jamais. Ils y accéderont ! Mais plus tard, après avoir vécu d’autres rencontres et expériences qui leur auront permis de cheminer. Pour l’instant, seul le disciple bien aimé expérimente cette éclosion intérieure. N’en est-il pas de même dans nos vies ? L’éclosion de la foi n’est pas une évidence qui s’impose de l’extérieure, mais plutôt une évidence qui surgit de l’intérieur de soi ; une évidence qui survient selon une histoire unique où se sont combinés de manière unique, une multitude de facteurs. 

Ce n’est que rétrospectivement que nous comprenons cette histoire, ce n’est que rétrospectivement que nous comprenons le rôle et l’importance de chacun de ces facteurs pour que le processus débouche sur l’éclosion de la foi. Ainsi une même situation ne provoque pas une même éclosion. Chaque éclosion est unique, et intime. Et parce qu’elle est unique et intime, chaque éclosion est porteuse d’une beauté qui mérite respect et attention.  

Comme un poète cueille et recueille chaque éclosion que la réalité provoque en lui pour en faire une gerbe, un poème, de même le croyant ! 

La foi est une succession d’éclosion intimes qui se combinent les unes et les autres pour permettre par la suite d’autres éclosions. Et c’est ainsi que, quand la foi a gagné en profondeur et en maturité, elle peut surgir, même dans les situations les plus éprouvantes et les plus complexes.

Même l’entrée dans le froid et le vide d’un tombeau peut provoquer à l’intime une éclosion de foi.  Voilà pour la foi comme une expérience poétique intime. Venons-en à présent à une autre dimension de l’expérience de la foi. 

3. Nous disions aussi que la foi est  une expérience riche, car très variée. Que voulions-nous dire par cela ? 

Le récit nous raconte que, arrivé en premier au tombeau, il commence par se baisser, par voir les bandelettes, pourtant, il n’entre pas. Il fait une halte. Etonnante cette retenue, non ?  

Que nous révèle-t-elle ? Peut-être ceci. Que le disciple n’est pas mu que par le seule curiosité de savoir comment et pourquoi le corps en question n’est plus dans le tombeau. Il ne cherche pas seulement à emmagasiner, analyser et à expliquer, mais il cherche aussi à comprendre. 

C’est pourquoi, il n’entre pas de suite, il ne fonce pas. Il fait une halte pour prendre le temps de digérer ce qu’il a vu, de réaliser l’écho que cela provoque en lui. Lui qui sait aller vite, au moment opportun, il sait aussi inverser le rythme. 

Il n’avance pas dans la vie en étant toujours sur le même mode (analyser et expliquer), il sait aussi renverser la vapeur (écouter, réfléchir, méditer). 

Car comprendre de manière adéquate une situation, cela est un processus lent, long et subtile. C’est un processus qui nous demande de vivre des variations de rythme (par moment il nous faut aller vite, par moment au contraire, il nous faut savoir aller lentement). Comprendre de manière adéquate une situation, c’est un processus subtile qui nous demande également de varier les attitudes (par moment il faut oser entrer, par moment il faut accepter de rester sur le seuil). 

Pour accéder à compréhension fine et profonde des situations, pour devenir de plus en plus présent au présent, le poète n’est-il pas celui qui s’autorise des haltes ? qui s’autorise des changements de rythmes, et cela pour mieux accueillir ce qui dérange, ce qui est étrange et qui cherche à se dire. 

De même pour accéder à la foi, il faut oser nous autoriser des changements de rythme. Par moment il nous faut oser sortir de notre paresse et nos bonnes excuses pour en revenir à des pratiques porteuses;  il nous faut oser nous coltiner à la lecture régulière des Écritures bibliques, il nous faut oser rejoindre une communauté avec laquelle chanter, prier et croiser nos lectures. 

Et par moment pour accéder à la foi, il nous faut aussi oser faire une halte, c’est à dire rompre nos habitudes, changer notre manière de nous investir dans de bonnes pratiques. Et ceci pour que nos fidélités ne deviennent pas des liens dépourvus de vitalité et de sève, mais qu’elles nous aident à avancer en accueillant le mieux possible ce qui dérange, ce qui est étrange et qui cherche à se dire. 

Oui, pour que, comme le disciple qui a attendu avant d’entrer, nous puissions vivre une éclosion de la foi quand nous entrons de plein pied dans une situation, il nous faut oser varier les rythmes. Il nous faut être libre et vivant dans notre manière d’habiter nos bonnes pratiques.    

Voilà pour la foi comme une expérience riche et variée. Venons-en à présent à une autre dimension de la foi, l’expérience du vide. 

lob 040421 24. C’est peut-être grâce à la variété de ses expériences antérieures, que le disciple bien aimé vit le vide du tombeau comme une expérience poétique qui élargit et affine sa perception. 

Ce que je trouve de tout à fait intéressant dans cette figure du disciple bien aimé, c’est que la vue du tombeau vide lui suffit pour accéder à la foi. Loin de le troubler, de le prostrer, le vide l’ouvre.

Là aussi le poète comprend très bien ce que je cherche à dire, lui qui n’a pas peur du vide, de la solitude, du silence, mais qui se laisse être travaillé et ouvert par eux !  

Mais ouvert à quoi ? Pour répondre à cette question, permettez-moi de rappeler ceci. 

Le grand temple de Jérusalem avait ceci de particulier dans son architecture que son coeur était vide. Non pas complètement vide. Sa salle principale était partagée en deux par un rideau (parokhet). D'un côté, le Saint, où le public pouvait pénétrer, et de l'autre côté, le Saint des Saints, où seul le grand prêtre pouvait une fois l’an y aller. 

Et dans le Saint des Saints, qu'y avait-il ? L'arche d'alliance avec son tabernacle fermé par un couvercle. Sur le couvercle étaient sculptés des chérubins. Et qu'y a-t-il dans le tabernacle? Rien. Le temple n'avait pas d'autre secret : c'était un lieu vide. 

Comme le tombeau du matin de Pâques où il ne restait que des bandelettes et un linge, de même il y avait dans le temple de Jérusalem qu’un rideau, qu’une arche vide. L’essentiel était ailleurs. 

Pour les pèlerins qui entraient dans ce temple, ce vide pouvait être perçu comme quelque chose de très décevant. Eux qui avaient fait une longue route pour arriver jusqu’à cet endroit emblématique, eux qui avaient fait une longue route pour voir de leurs propres yeux la splendeur architecturale de ce bâtiment, toucher les pierres, admirer les ornements raffinés de la façade… que toute cette quête ne débouche que sur du vide, oui, cela pouvait être perçu comme quelque chose de très décevant. 

Cependant, si le temple était ainsi construit, n’était-ce pas pour que ces pèlerins vivent une expérience particulière ? N’était-ce pas pour qu’ils apprennent à voir plus loin, plus profond que ce qu’ils avaient jusque là l’habitude de voir ? N’était-ce pas pour que ces pèlerins n’en restent pas à la beauté des pierres, mais qu’ils apprennent à devenir sensible à Celui qui parle au-delà des pierres ?

Ainsi quand le récit nous dit que le disciple croit en entrant dans le tombeau vide, nous pouvons entendre qu’au contact de ce vide, il fait une expérience du même ordre que celle qui était offerte à tout pèlerin.  

Au contact du vide, il apprend à voir plus loin et plus profond que ce qu’il voyait jusqu’à présent. Cette expérience ne le fait pas revenir dans son monde d’avant ; bien plus, sans rien gommer de la réalité de la crucifixion, elle lui permet d’aborder son présent en y voyant autre chose que de l’absence et du vide. 

Oui Jésus est mort. Oui il a été crucifié. Oui, la vie du disciple a été appauvrie par cette mort, bousculée par cette crucifixion. Et pourtant, tout n’est pas dit lorsque cela est dit. Il est en train de se passer quelque chose qui peut emmener au-delà de cette désolation. 

Face au vide du tombeau, le disciple réalise imperceptiblement que ce vide n’est pas un vide creux et sec, mais que c’est un vide plein, un vide qui, comme celui du temple de Jérusalem, renvoie au-delà de lui-même. 

Face à ce vide, le disciple réalise qu’il n’est pas au bout de ses surprises. Que l’amour qui animait Jésus n’est pas inerte, mais que cet amour est encore capable de le surprendre. 

La foi en la résurrection ne repose pas sur aucune certitude que sur cette expérience que pouvait faire les pèlerins, que peuvent faire aussi les poètes : 

tous nos pèlerinages, toutes nos quêtes sont confrontés à un moment ou à un autre à du vide ; à ce moment-là, avoir foi en la résurrection, c’est accueillir ce vide comme un vide plein qui nous rappelle que nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! 

lob 040421 35. Si nous méditons ce récit aujourd’hui, c’est peut-être pour que nous aussi, nous puissions aborder avec la foi du pèlerin et du poète les vides auxquels l’existence nous confronte.

Aborder la réalité de la mort avec une telle foi, ce n’est pas nous réfugier dans un imaginaire rassurant, ce n’est pas recourir à un opium nous permettant de nous évader à bon compte et esquiver cette douleur qui nous tenaille jusqu’aux entrailles. 

Comme nous le rappelle le récit. Le disciple crut non pas avant d’être entré, mais après

Pour croire, il faut d’abord entrer. Entrer dans le tombeau, c’est à dire accepter l’épreuve et le vide. L’entrée commence par accepter que ces vides nous angoissent, nous révoltent, nous agacent. 

Cependant aborder ces vides dans la foi, c’est aussi oser à un moment donné, renverser la vapeur, c’est à dire ne pas chercher continuellement à les tenir à distance ces vides, mais accepter d’y entrer vraiment, c’est à dire accepter vraiment le diagnostic et entrer vraiment dans la maladie, ne pas se raconter des histoires comme si de rien n’était ; 

Et là, vivre ces vides dans la foi, c’est avoir confiance que nous ne sommes pas au bout de nos surprises, un jour à l’intime des ressources vont éclore. 

Oui, un jour qui sera notre troisième jour, surgira du fond de nous-mêmes un poème  rempli de lumière et de foi. En effet, en vivant le vide comme le vit le poète ou le pèlerin, peut-être qu’en ce troisième jour, nous nous mettrons à dire comme le psalmiste :  je ne mourrai pas, je vivrai et je raconterai les merveilles du Seigneur ( Ps 118,17)  

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 4 avril 2021, dimanche de Päques (Maurin).
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