Parole qui parvint à Jérémie de la part du Seigneur : Descends chez le potier ; là, je te ferai entendre mes paroles. Je descendis chez le potier ; il faisait un ouvrage sur le tour. La poterie qu’il faisait fut manquée, comme il arrive avec l’argile dans la main du potier. Il en refit une autre poterie, telle qu’il lui plut de la faire. La parole du Seigneur me parvint : Ne puis-je pas agir envers vous comme ce potier, maison d’Israël ? – déclaration du Seigneur. Comme l’argile dans la main du potier, ainsi vous êtes dans ma main, maison d’Israël ! Tantôt je parle, à propos d’une nation ou d’un royaume, de déraciner, de démolir et de faire disparaître ; 8mais si cette nation contre laquelle j’ai parlé revient du mal qu’elle a fait, je renonce au mal que je pensais lui faire. Et tantôt je parle, à propos d’une nation ou d’un royaume, de bâtir et de planter ; mais si cette nation fait ce qui me déplaît, sans m’écouter, je renonce au bien que j’avais parlé de lui faire. Maintenant, je te prie, dis aux hommes de Juda et aux habitants de Jérusalem : Ainsi parle le Seigneur : Je façonne un malheur pour vous, je prépare un plan contre vous. Que chacun de vous revienne de sa voie mauvaise ! Réformez vos voies et vos agissements ! Mais ils disent : À quoi bon ? Nous suivrons nos pensées, chacun de nous agira selon l’obstination de son cœur mauvais.

lob 160521 1Jérémie 18, 1-12 (traduction LSG)

1. « Déclaration du Seigneur : Comme l’argile dans la main du potier, ainsi vous êtes dans ma main, maison d’Israël »

Par cette métaphore, le prophète Jérémie pointe une dimension importante de nos vies. Nous ne sommes pas des blocs de granite, destinés à demeurer identiques d’un bout à l’autre de la traversée des ans. Nous sommes plutôt comme de l’argile, façonnés par tout ce que nous vivons. Les événements qui nous arrivent forment notre personnalité et marquent notre caractère.

Notre perception n’est pas de l’ordre du granite. Elle n’est pas intangible.  Bien plus, elle est comme de l’argile, c’est à dire qu’au fil des ans, elle évolue, travaillée par les circonstances. Comme la perception que nous avons aujourd’hui a été façonnée par l’histoire que nous avons vécue; de même plus du temps nous est donné, plus cette perception continue d’être façonnée par toutes les interactions que nous vivons.    

Il n’y a rien de statique et de rigide dans l’aventure de l’existence humaine. Tant que nous vivons, notre perception et notre personnalité sont toujours en cours d’élaboration. Nous sommes de l’argile entre les mains du potier.

2. Au début, lorsque nous sommes arrivés au monde, ne ressemblions-nous pas à un morceau de glaise semblable à de multiples morceaux de glaise ? 

Cependant, de la pâte informe de notre individualité, a émergé au fil du temps une personnalité unique et particulière. Et plus le temps passe, plus cette personnalité continue d’émerger. 

L’émergence de notre personnalité n’est pas que l’oeuvre de notre décision ou de notre volonté. Une multitude d’interactions, de rencontres, d’influences, d’expériences, de projets réalisés, de responsabilités assumées, mais aussi un tempérament intérieur, un caractère… L’ensemble de tout cela nous a façonné et a fait émerger de la pâte informe la personnalité que nous sommes aujourd’hui. 

3. Un potier vous le dira. Il ne peut pas faire n’importe quel vase avec un morceau de glaise. La forme de vase qui émerge sous ses mains est le fruit d’une interaction particulière entre lui et la glaise. Le potier ne cherche pas à appliquer par tous les moyens sur la glaise la forme exacte qu’il a au préalable en tête. 

Au contraire, sur son tour, il apprend à rencontrer la glaise, à faire connaissance avec elle, à identifier ses caractéristiques et ses particularités, puis à partir de là, il essaie de faire advenir la forme la plus adéquate. La dextérité du potier se mesure à sa capacité à faire advenir cette forme adéquate. En nous rappelant que nous sommes de l’argile entre les mains du potier, le prophète Jérémie ne nous rappelle-t-il pas cette aventure-là ? 

Oui, nous sommes comme un morceau d’argile et de glaise ; et le temps qui passe devient un temps plein, s’il devient comme ce temps que la glaise passe dans l’atelier du potier, un temps qui permet à la pâte informe que nous sommes de trouver sa personnalité particulière…  

lob 160521 24. Certains parmi vous trouveront qu’en parlant comme je viens de le faire que je m’emballe. Certes à notre époque encore visiter un atelier de potier peut être intéressant, cependant, comparer l’humain à de l’argile, n’est-ce pas un peu réducteur ? 

Nous être humains, dotés d’une conscience qui nous permet de parler, de réfléchir, de décider et d’agir, ne nous sentons-nous pas quelque peu rabaissés à être ainsi comparés avec de la matière interne, impersonnelle, qui ne décide rien ?  

Dire que nous sommes de l’argile entre les mains du potier, est-ce affirmer qu’il nous faudrait face aux circonstances nous laisser faire ? Nous laisser être malaxés en absorbant tout, et en n’exprimant rien ? Ne sommes-nous vraiment que du mastic attendant bien sagement d’être façonnés ? 

C’est vrai qu’au cours de la longue histoire de l’interprétation des Écritures bibliques, cette métaphore qui compare l’humain à de l’argile entre les mains du potier a été utilisée pour renforcer cette idée qu’il fallait  nous laisser être façonné par une influence extérieure, Dieu. Et pour peu que nous identifions la main de Dieu derrière tel ou tel événement de notre histoire, alors cette image a renforcé l’idée que nous n’avions qu’à nous soumettre. 

5. Cependant, lorsque nous prenons appuis sur les vastes ressources offertes par les Écritures bibliques, nous découvrons d’autres façons d’utiliser cette métaphore. Loin de renforcer notre fatalisme, ces autres façons nous ancrent de plein pied dans l’aventure de l’existence humaine. 

Je m’explique. Dans le livre de la Genèse 2,7, il est écrit : « Le Seigneur Dieu façonna l’homme de la poussière de la terre ; il insuffla dans ses narines un souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. ». Si je vous cite ce passage, ce n’est pas par hasard. C’est parce que ici le verbe « façonner » employé pour décrire l’action de Dieu a la même racine en hébreu que le mot « potier ». 

Quand Dieu travaille la poussière du sol pour faire advenir l’humain, il fait oeuvre de potier. 

Comme le potier humidifie l’argile, c’est à dire qu’il apporte à l’argile ce qui lui est nécessaire pour la rendre malléable et ainsi en faire émerger une forme, de même dans ce récit, Dieu apporte ce qui est nécessaire pour que l’humain émerge de cette masse inerte tirée de la poussière de la terre. 

Ainsi à la lumière de ce récit, nous pouvons mieux comprendre la métaphore du prophète Jérémie : être comme de l’argile entre les mains de  ce potier qui est notre Créateur, ce n’est pas être une chiffe molle et laisser les circonstances décider à notre place, mais c’est nous laisser être façonné de manière à ce que l’humain émerge en nous. 

Percevez-vous tout ce qu’il y a de mobilisateur dans cette métaphore ? 

Être comme de l’argile entre les mains de ce potier-Créateur, c’est, au coeur des circonstances, nous laisser être rejoint par un souffle de vie, par l’esprit, qui façonne en nous notre humanité et la fait advenir de plus en plus. 

Si l’argile pour trouver sa forme a besoin d’un peu d’eau, nous humains pour que nous puissions nous épanouir dans notre humanité, nous avons aussi besoin d’une eau particulière, nous avons besoin d’esprit. Nous avons besoin de ce souffle de bienveillance qui éveille en nous notre esprit. Nous avons besoin de recevoir d’au-delà de nous-même ce souffle pour passer d’un tas de poussière inerte à un être vivant. Nous avons besoin de recevoir l’esprit. 

lob 160521 36. Comment recevoir de l’esprit ? En une phrase comme en cent, je dirai : en nous laissant être touché par la beauté qui se révèle au travers de tout ce que nous vivons. Nous recevons de l’esprit lorsque nous voyons, grâce à la peinture, de la beauté, 

Nous recevons de l’esprit lorsque nous entendons, grâce à la musique,  de la beauté, nous recevons de l’esprit lorsque nous goûtons, grâce à une cuisine délicate, de la beauté. Nous recevons de l’esprit lorsque, grâce à une spiritualité, nous apprenons à devenir sensible et vulnérable à ce qui se révèle être beau dans notre quotidien, et même nous recevons de l’esprit lorsque, grâce à une spiritualité, nous apprenons à  discerner ce qui se révèle être une beauté de qualité. 

Quand Dostoïevski fait dire à l’un de ses personnages de roman (le prince Mychkine dans l’Idiot) que c’est la beauté qui sauvera le monde, peut-être pointe-t-il cela ? La beauté et notamment la beauté de qualité qui se dégage du Christ, cette beauté accomplira le geste du potier créateur. Elle insufflera en nous de l’esprit et nous permettra de devenir pleinement un être vivant. 

Ainsi pour devenir un être pleinement vivant, nous avons besoin de voir de la beauté, d’entendre de la beauté, de goûter à de la beauté, de sentir de la beauté, car c’est ainsi que peu à peu l’esprit s’éveille en nous.

Etre comme l’argile dans la main du potier-Créateur, ce n’est pas se soumettre aux circonstances comme si toutes elles étaient un fatum imposé par Dieu. Cette métaphore nous invite plutôt à laisser jour après jour le Potier continuer son oeuvre créatrice au travers de tout ce qu’il nous est donné de vivre. Nous laisser être façonnés non pas par l’événement tel qu’il est, mais précisément par la beauté de qualité qui se révèle au travers de lui. 

Prendre conscience de cette beauté de qualité qui se donne à vivre au travers de ce qui nous arrive et faire alliance avec elle, la laisser nous façonner et éveiller notre esprit, ce n’est pas une démarche de chiffe molle, c’est une démarche ô combien active ! C’est une démarche qui mobilise toutes nos facultés et nous fait entrer de plein pied dans l’aventure de l’existence humaine. 

7. En quoi l’existence humaine est-elle une aventure ?  Dans le livre de la Genèse 1,26, nous avons une piste lorsqu’il est écrit : « Dieu dit : Faisons les humains à notre image, selon notre ressemblance, pour qu’ils dominent sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur toutes les bestioles qui fourmillent sur la terre. 27Dieu créa les humains à son image : il les créa à l’image de Dieu ; homme et femme il les créa. » 

Avez-vous remarqué ?  Au début, il est écrit que « Dieu dit : faisons les humains à notre image, selon notre ressemblance ». Puis quand le récit raconte que Dieu crée, ce récit ne fait mention que de l’image, il ne fait  plus du  tout mention de la ressemblance. 

Comme si le processus de création n’avait pas été jusqu’au bout de son accomplissement. Comme s’il manquait  la ressemblance. Cependant, si nous tendons l’oreille nous comprenons que dans la vision des écrivains, ce manque n’est pas perçu comme une défaillance. Au contraire ! Car ce manque donne sa raison d’être au temps qui passe. 

Je m’explique. Si le récit avait été symétrique (Dieu dit faisons les humains à notre image et selon notre ressemblance  et qu’en les créant, il les façonnent à son image et à sa ressemblance), que resterait-il à faire ? 

Tout le temps qui passe serait alors simplement un temps creux, vide et inutile, puisque tout a déjà été accompli. Or là, le fait qu’il ne soit pas fait mention de la ressemblance ouvre un espace qui donne un sens (une direction et une signification) au temps qui passe. À l’écoute de ce manque dans le récit, nous pouvons nous demander : et si  le but du temps qu’il nous est donné de vivre était justement qu’advienne au coeur de la pâte de notre personnalité « la ressemblance » ?  

8. Dans la logique des Écritures bibliques, laisser advenir la ressemblance, ce n’est pas vouloir devenir comme Dieu, vouloir prendre la place de Dieu et devenir les souverains qui gouvernent l’histoire comme ils veulent. 

Bien plus, laisser advenir la ressemblance, c’est laisser se façonner en nous une personne qui parle, qui pense et qui agit, à la ressemblance de  Dieu, Dieu vu comme un être personnel qui parle, pense et agit. 

Ainsi grâce à ce manque, le temps qui passe est un temps riche, porteur d’un projet à accomplir. Tout à l’heure, quand je disais que dans l’atelier du potier, le temps qui passe devient un temps plein, c’est justement cela que je souhaitais pointer !

Concevoir le temps qui nous donné comme étant un temps où nous sommes dans l’atelier d’un potier, c’est le concevoir comme un temps plein. Un temps où nous laissons l’esprit de Dieu nous façonner au point de faire émerger du fond de nous-mêmes la capacité à répondre de manière personnelle à ce qui nous arrive.

9. Avec chaque jour qui passe, puisse le potier Créateur accomplir son oeuvre en nous : par la beauté, qu’il éveille notre esprit et par sa grâce, qu’il fortifie en nous cette ressemblance, cette capacité de répondre de manière personnelle à ce qui nous arrive ! 

Amen

Luc-Olivier Bosset, temple de la rue Maguelone, Montpellier (16-5-2021)
Crédit images: Luc-Olivier Bosset via Youtube