Jésus leur dit encore : Qui d’entre vous aura un ami chez qui il se rendra au milieu de la nuit pour lui dire : « Mon ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir. » Si, de l’intérieur, l’autre lui répond : « Cesse de m’importuner ; la porte est déjà fermée, mes enfants et moi nous sommes au lit, je ne peux me lever pour te donner des pains », – je vous le dis, même s’il ne se lève pas pour les lui donner parce qu’il est son ami, il se lèvera à cause de son insistance effrontée et il lui donnera tout ce dont il a besoin. Eh bien, moi, je vous dis : Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira. Quel père parmi vous, si son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu d’un poisson ? Ou bien, s’il demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion ? Si donc vous, tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison le Père céleste donnera-t-il l’Esprit saint à ceux qui le lui demandent !

lob 300521 europeLuc 11, 5-13 (traduction LSG)  

1. Ce matin, j’aimerais parler avec vous de la prière. Car cette parabole en nous mettant dans la situation d’aller en pleine nuit réveiller un ami pour lui demander trois pains, afin de pouvoir accueillir un autre ami venant d’arriver à l’improviste, oui cette parabole nous parle  d’hospitalité, d’amitié, mais elle nous parle aussi et surtout de la prière. 

En substance, cette parabole nous donne la description suivante de Dieu :mMême endormi, même mécontent, Dieu ne repousse pas ceux qui viennent le déranger. Malgré toutes les réserves qu’il peut avoir, Dieu donne. Donc, puisque Dieu est décrit ainsi, cette parabole nous encourage à demander. 

Demandez, et l’on vous donnera […] Si donc vous, tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison le Père céleste donnera-t-il l’Esprit saint à ceux qui le lui demandent !

À la manière dont les choses nous sont racontées, ce récit oriente notre attention vers une dimension importante de la prière : prier, c’est demander. 

2. Si je souhaite parler avec vous ce matin de la prière, c’est parce que justement cette dimension de la demande n’est pas du tout évidente.  Même si ce passage de l’évangile apparait simple et accessible, le message qu’il véhicule peut apparaître profondément troublant. 

En effet, en affirmant « demandez et l’on vous donnera », est-ce qu’il n’entretient pas en nous la pensée magique ? Est-ce qu’il n’entretient pas en nous l’idée que la prière serait une sorte de rituel mystérieux capable comme dans le conte d’Aladin, de faire surgir de je ne sais quelle lampe un génie se mettant à notre service pour accomplir nos voeux ?  

Pour ne pas en rester à une telle interprétation, saisissons l’occasion pour préciser ensemble le sens de la prière. 

3. Convenons pour commencer que prier, ce n’est pas réciter des formules ou mouliner des rituels. 

Prier, c’est tout d’abord entrer dans une tranquillité et une détente profonde,  et ceci grâce à une musique, ou bien grâce à une ambiance belle et recueillie ou encore grâce à un magnifique paysage. A certains moments, le rituel peut être un facilitateur me permettant d’entrer dans cette tranquillité profonde ; mais à d’autres moments, il se peut bien que ce soit une expérience loin des sentiers battus, qui joue ce même rôle.  Peu importe ! Il n’y a pas une seule porte d’entrée dans l’état de prière. L’essentiel est d’entrer dans cette tranquillité profonde. 

Dans cette tranquillité, prier ne consiste pas à faire quelque chose. La prière démarre lorsque nous nous sentons simplement autorisés à être. 

Nous n’avons eu rien à faire pour exister ! Un jour nous sommes venus au monde, sans que nous l’ayons demandé ; et depuis nous sommes là !  

C’est une réalité donnée. Et ça nous porte. Comme cette respiration qui se fait en nous à chaque instant, sans que nous la commandions, de même nous existons sans que nous ayons eu à faire quoi que ce soit. 

Ainsi prier, c’est peu à peu laisser se décrisper chaque muscle de notre corps, et communier à  cette vie qui nous porte, à cette respiration qui nous porte, sentir combien cette respiration n’est pas quelque chose de normal, banal ; mais combien elle est forte et fragile à la fois, combien elle ressemble à une respiration que nous entendons lorsque nous nous baladons au bord de la mer :  la respiration puissante des vagues.

Puis quand nous sommes établis dans ce calme, prier, c’est accueillir les pensées qui nous traversent. 

Cela peut être des pensées lumineuses de gratitude qui éclosent en prière de louange lorsque nous revisitons les rencontres vécues, les réussites accomplies ou tout simplement un bon moment tout simple du quotidien. Dans ces moments-là, nous n’éprouvons pas le besoin de demander quoi que ce soit. Nous avons plutôt envie de simplement dire merci.  

lob 300521 america4. Cependant quand nous sommes établis dans ce calme profond et que nous prions, nous ne sommes pas que traversés par des pensées lumineuses. Il nous arrive aussi d’être saisis par des pensées sombres, faites d’inquiétudes et de soucis, tant parfois les épreuves nous bousculent, tant parfois les complications de l’existence nous troublent et nous épuisent. 

Précisément, c’est dans ces moments-là que nous éprouvons le besoin de demander quelque chose à Dieu. Mais demander quoi ? Spontanément, nous aurions envie de dire la résolution de l’épreuve, la guérison de la maladie, la levée des complications, la réussite de l’examen. Cependant, de là où nous en sommes arrivés dans l’existence, nous sentons que c’est une pente glissante.

En effet, n’avons-nous pas vécu de ces situations où alors que nous étions en pleine nuit, saisis par les ténèbres de l’angoisse et de la solitude, nous avons demandé la résolution de l’épreuve, où nous avons supplié pour obtenir la guérison de la maladie, où nous avons imploré la réussite de l’examen, … sans obtenir le moindre succès ? 

Dans ce cas, comment interpréter ce non-exhaussement de notre prière ? Ici toutes les réponses affirmant que c’est parce que nous aurions mal prié ou pas assez prié nous apparaissent comme révoltantes. 

À celles et ceux qui nous les assènent, nous répondons avec fougue que c’est facile de nous faire ainsi porter la faute : non seulement nous n’avons pas été exhaussés, mais en plus, nous sommes culpabilisés de ne pas avoir été à la hauteur. C’est double peine ! 

Si la prière de demande nous enferme dans un tel labyrinthe de culpabilisation et de grincement de dents, ne vaut-il pas mieux l’abandonner tout de suite ? 

Ainsi malgré ses apparences simples, ce passage de l’évangile nous amène dans des abîmes de perplexité. Il nous exhorte à prier en demandant. Mais que pouvons-nous demander qui ne fasse pas monter en nous une colère froide ou un sentiment d’injustice profond ? Que pouvons-nous demander qui ne nous laisse pas amer et révolté ? Que pouvons-nous demander qui n’entretiennent pas en nous la pensée magique et la superstition ?

Oui, que pouvons-nous demander ? 

5. En étant habité par ce questionnement, j’ai relu le passage de l’évangile. Et là, mon attention a été attirée par un bout de phrase où apparaît également le verbe demander, un bout de phrase qui jusque là était passé hors des radars de ma conscience. 

Ce bout de phrase est le suivant : Si donc vous, tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison le Père céleste donnera-t-il l’Esprit saint à ceux qui le lui demandent !

Ainsi ce passage n’en reste pas à la formule : « demandez et l’on vous donnera », mais il éclaire la question de la demande dans la prière, par cette promesse : Le père céleste donnera l’esprit saint à ceux qui le lui demandent. 

La promesse qui retentit dans ce passage n’est pas une promesse qui entretiendrait la pensée magique, Il n’est pas fait miroiter que Dieu, grâce à un rituel ou une formule choc, nous accorderait nos souhaits et satisferait nos désirs. La promesse qui retentit dans ce passage est que Dieu donne l’Esprit saint à ceux qui le lui demande. 

Que signifie cette promesse ? Qu’est-ce que cela veut dire demander l’esprit saint ?  

6. Face à chaque situation dans laquelle nous nous retrouvons, que ce soit une situation positive et joyeuse, ou une situation compliquée et éprouvante, force nous est de reconnaître que nous cherchons. Nous cherchons à comprendre ce qui nous arrive. Nous réfléchissons afin de trouver la manière la plus adéquate d’aborder les choses et surtout d’y répondre. 

Sur certains points, nous pouvons agir, sur d’autres, nous ne pouvons qu’accepter. A nous de discerner et faire la part des choses… Vu qu’il n’y a pas une seule et unique façon d’interpréter et de répondre, nous avons une marge de manoeuvre, où nous pouvons exercer notre liberté. Alors nous cherchons comment exercer cette liberté ! 

Dans ces moments-là, demander l’éclairage de l’esprit saint, c’est demander un peu de lumière. Ce n’est pas chercher à faire entrer Dieu dans mes projets ou mes désirs. Ce n’est pas demander à Dieu de rendre la situation comme je voudrai qu’elle soit. 

Mais demander l’esprit saint,  c’est demander de la lumière. C’est demander un peu de lucidité, de conscience, d’intelligence, toutes ces ressources de l’esprit qui permettent que mon discernement ne soit pas étroit et étriqué. 

Demander l’esprit saint, c’est aussi demander une lumière particulière, la lumière de la grâce. C’est demander qu’au moment où j’aborde la situation, je sois animé par un état d’esprit qui me fait voir chaque situation à la lumière de la grâce. 

Demander l’éclairage de l’esprit saint, c’est demander que l’Esprit commence par me rappeler au plus intime de moi-même la lumière de la grâce :  oui, dans cette nouvelle situation qui me trouble, qui m’interpelle ou qui me réjouit, que l’Esprit rappelle à mon esprit cette volonté créatrice qui est comme le soubassement qui porte le monde : la grâce. 

C’est quoi la grâce ? C’est cette parole qui, en toutes circonstances te rappelle que, qui que tu sois, quoi que tu aies fait, Dieu t’appelle à la vie, il t’invite à devenir une personne unique, étant en relation apaisée et réconciliée avec Lui qui est unique, comme avec d’autres personnes tout aussi uniques. 

La grâce, c’est cela : si tu existes, ce n’est pas parce que tu l’aurais choisi, mais c’est parce que de plus loin que toi, quelqu’un a désiré que tu viennes au monde ; et ce désir quoi qu’il puisse arriver demeure ;  tu n’es pas voué à être rejeté, abandonné, oublié ; en venant au monde, tu as été introduit dans une communion de vie qui te dépasse ; tu n’as pas demandé à venir au monde et pourtant tu es là. 

Et si tu es là, c’est parce que ce désir créateur souhaite tisser une relation de personne à personne avec toi.  Comme chacun des êtres humains qui est là, tu es  appelé à devenir, au sein de cette communion de vie qui te dépasse, tu es appelé à devenir une personne unique, en relation apaisée et réconciliée avec d’autres personnes uniques.  

lob 300521 africa7. Quand j’ai ce goût de la grâce sur le bout de la langue, demander l’Esprit Saint, c’est demander des trésors de lucidité, de confiance et d’espérance afin que je puisse discerner au coeur de la situation que je suis en train de vivre où est la grâce, comment renouer avec elle afin de recevoir d’elle la force d’affronter l’épreuve. 

Non pas que toute la situation en elle-même soit de l’ordre de la grâce. Pas du tout. Au contraire, chaque situation demeure toujours ambivalente. Le bon grain reste toujours mélangé avec de l’ivraie. L’enjeu est plutôt de discerner où se trouve le bon grain de la grâce et de le cultiver afin qu’il s’épanouisse et qu’il puisse nous apporter une nourriture de qualité. 

Demander l’esprit saint, c’est demander la lumière pour que ce que je suis en train de vivre  devienne une occasion de communier plus profondément avec la grâce qui m’a appelé à la vie.

8. Ainsi, au lieu de réduire la prière de demande à n’être qu’une liste au père Noël, ce passage de l’évangile nous place devant une question qui si nous y réfléchissons nous fera de plus en plus devenir des personnes uniques : 

Qu’est-ce qui, dans la situation que je suis en train de vivre est de l’ordre de la grâce ? Pour trouver la réponse adéquate à cette question, établissons-nous dans le calme profond de la prière et demandons l’éclairage de l’esprit saint. 

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 30 mai 2021 au temple de Cournonterral
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