Il y a un temps pour tout et un moment pour toute chose sous le ciel. Il y a un temps pour enfanter et un temps pour mourir, un temps pour planter, et un temps pour arracher le plant, un temps pour abattre et un temps pour soigner, un temps pour démolir et un temps pour construire. Il y a aussi un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser, un temps pour jeter des pierres et un temps pour en ramasser, un temps pour prendre dans ses bras et un temps pour s’éloigner de ceux que l’on prend dans ses bras. Il y a un temps pour chercher et un temps pour perdre, un temps pour conserver et un temps pour jeter, un temps pour déchirer et un temps pour coudre, un temps pour garder le silence et un temps pour parler, 8un temps pour aimer et un temps pour haïr, un temps de guerre et un temps de paix. Quel avantage celui qui travaille retire-t-il de la peine qu’il se donne ? J’ai considéré les occupations auxquelles Dieu impose aux hommes de s’appliquer. Dieu fait toute chose belle en son temps.Il a implanté au tréfonds de l’être humain le sens de l’éternité, sans toutefois que l’homme puisse appréhender l’œuvre que Dieu accomplit du commencement à la fin.Je sais qu’il n’y a rien de bon pour l’homme hormis se réjouir et se donner du bon temps durant sa vie. Et aussi que si quelqu’un peut manger et boire et jouir du bonheur au milieu de son dur labeur, c’est un don de Dieu. Je sais que tout ce que Dieu fait durera toujours : il n’y a rien à y ajouter, et rien à en retrancher. Et Dieu agit en sorte qu’on le craigne. Ce qui est aujourd’hui a déjà été dans le passé, et ce qui sera dans l’avenir a déjà été dans le passé. Oui, Dieu fait se reproduire ce qui appartient au passé.

 

Qohélet 3, 1-15 (traduction LSG)

lob 25721 11. Ce passage du livre du Qohélet est bien connu. Ces différents binômes faits d'oppositions décrivent les multiples saisons de l’existence humaine depuis son commencement, la naissance, jusqu’à son au-revoir, la mort. 

L’expression centrale  de ce passage est devenue proverbiale :  « il y a un temps pour tout sous le ciel ». Aujourd’hui encore, nous la méditons,  lorsque nous cherchons à mieux habiter la cohue disparate de notre quotidien, lorsque nous nous demandons quelle place accorder à ce qui survient dans notre existence.  

2. Cependant, que cherche à dire le Qohélet lorsqu’il affirme qu’il y a un temps pour tout ? Est-ce qu’il serait en train de nous dire que chaque événement qui survient serait tellement déterminant, que nous ne pourrions que l’accepter comme une fatalité ? 

Dans le tableau qu’il brosse, Qohélet affirme qu’il y a un temps pour planter et un temps pour arracher. Planter et arracher, sont des gestes liés au cycle des saisons et que nous ne pouvons qu’accepter d’accomplir chacun en leur temps. 

De même, quand il est question d’un temps pour la guerre et un temps pour la paix. Les membres d'une petite nation comme l’était le peuple d’Israël, ont pu percevoir le déclenchement de la guerre ou bien la conclusion de la paix comme des coups du sort, auxquels ils ne pouvaient que se plier tant ils étaient éloignés des sphères d’influence et voir ils se sentaient  n’être que le jouet des grandes puissances. Donc, cette affirmation « il y a un temps pour tout », ne nous invite-t-elle qu’à cela  : nous incliner devant le cycle de l’existence ? 

Je ne le crois pas ! Quand nous méditons le large tableau que Qohélet nous offre de l’existence humaine, nous découvrons une autre musique que celle de l’acceptation passive, voir la résignation face à la fatalité. Et c’est cette autre musique que j’aimerai partager avec vous à présent. 

3. Par exemple, en parlant d’un temps pour jeter des pierres et d’un temps pour ramasser des pierres, Qohélet est peut être en train de faire référence à un jeu de société très populaire de l’époque où il fallait justement discerner quand serait le bon moment soit pour jeter, soit pour ramasser ses pions.

Cet exemple du jeu est peut-être là pour mettre en lumière toutes ces facettes de la vie quotidienne ouvertes aux choix humains, vous savez ces moments où justement nous ne sommes pas des marionnettes du destin, mais où nous avons à exercer notre liberté, pour discerner la bonne chose à faire, au bon moment. 

Alors effectivement, nous n’avons pas la possibilité de choisir de manière absolue ! Nous sommes engagés dans un jeu qui a des règles que nous n’avons pas décidées ! Nous nous retrouvons dans une partie qui a déjà commencé. Il n’empêche, à nous de voir comment la continuer !

Si nous ne pouvons pas déterminer à notre bon souhait la plupart des choses importantes de notre existence, si nous ne pouvons pas toujours choisir les affaires dont nous devons nous occuper, néanmoins, nous pouvons décider quelle sera notre attitude au coeur de cette partie. 

Serons-nous récalcitrant ou bien accepterons-nous d’entrer dans la situation qui nous est donnée, et de faire ce que nous pouvons faire pour la vivre en restant vivant ? Allons-nous lutter avec opiniâtreté jusqu’à l’épuisement, contre les rythmes toujours changeants de la vie ?  Ou bien allons-nous trouver le moyen de rester vivant, en apprenant à converser, voir même parfois à danser avec ces rythmes ?  

Quand il affirme qu’il y a un temps pour tout, Qohélet ne nous invite pas à une simple acceptation passive. Bien plus, il nous invite à entrer dans chacune des situations qui nous sont imposées et là, de cultiver les ressources qui nous permettent de rester vivant. 

lob 25721 24. Que peut bien signifier rester vivant à chaque temps de notre existence ? 

Pour proposer une réponse à cette question, prenons d’autres exemples dans la liste fournie par Qohélet. 

Il y a un temps pour se taire et un temps pour parler, 
un temps pour pleurer et un temps pour rire.

Nous connaissons tous des silences éloquents. Cependant, dans une conversation, celui qui écoute ne peut pas parler en même temps. De même, nous pouvons rire avec des yeux qui pleurent ( ou pleurer avec des yeux qui rient), cependant un profond chagrin et une joie débordante ne peuvent que s’exclure mutuellement. Celui qui rit ne peut pas pleurer en même temps. 

Dans l’absolu, rire ou pleure sont deux attitudes tout à fait possibles. Mais ce que cherche à nous dire Qohélet, c’est :  lorsque je vis une attitude, je ne peux pas en même temps vivre pleinement l’autre. 

Pour vivre bien, il me faut accepter de ne pas en rester à un mélange confus. Pour vivre bien tant la joie que la tristesse, il ne faut pas me contenter de rester toujours dans un état émotionnel mélangé, certains diraient médiocre. 

Je vivrai mieux la tristesse, si à un moment j’ai vécu pleinement  la joie. Non pas une joie médiocre et mélangée, mais La JOIE. De même, je crois que je vivrai mieux la joie, si j’ai pris le temps non pas de me protéger de la tristesse, de la refouler, mais de vraiment y entrer dans la tristesse, de vraiment la visiter et la traverser.  

Pour être vivant à chaque saison de l’existence, il nous faut  apprendre à entrer pleinement dans le temps qui se présente à nous.  

5. A propos de ne pas nous protéger des temps sombres et creux, Qohélet va même jusqu’à dire qu’il y a un temps pour aimer et un temps pour haïr. 

En parlant ainsi, Qohélet n’est pas en train de renverser l’échelle des valeurs morales pour dire que la haine serait bien, et qu’il faudrait la cultiver. 

Son message est plutôt le suivant :  Au lieu de nous draper dans notre vertu et de  juger que la haine n’a pas le droit de cité dans notre existence, au lieu de juger qu’il n’y a pas le moindre temps à consacrer à cette mauvaise herbe, mieux vaut parfois s’occuper de la haine afin de pouvoir ne plus s’en préoccuper, mieux vaut parfois sonder et explorer la haine afin de pouvoir s’en détacher.

Bien sûr, dans notre existence, toujours nous nous efforçons d’aimer. Cependant, si à un moment surgit en nous de la haine, il ne sert à rien de nous en offusquer en cherchant par tous les moyens à la remettre sous le tapis ; il ne sert à rien de nous  décourager en  nous  disant que cet émergence de la haine  nous révèle n’être qu’une bien-piètre personne. 

Quand la haine est là, autant entrer dans le temps qu’elle nous propose. Autant vivre une vraie et franche discussion avec elle ! Car son émergence est peut-être le signe que le temps est venu de nous frotter à elle !

lob 25721 36. En effet, nous ne pouvons pas traverser l’existence en planant toujours avec aisance au-dessus des ronces et des aspérités de la vie, bien au chaud dans la bulle de notre vertu. 

A un moment donné, la bulle éclate. Nous tombons peut-être de haut. Oui, je peux ressentir de la haine, oui je peux être envahi par une poussée de violence et avoir envie de détruire et déchirer. Il n’empêche Qohélet nous invite, au lieu de nous abandonner à ces élans destructeurs,  à prendre le temps de regarder cette réalité en face.  

7. En parlant comme il le fait, Qohélet nous rappelle que nous n’avons pas à nous ériger en juge de ce qui vaut la peine d’être vécu ou pas. Nous n’avons pas à évaluer ce qui nous arrive en classifiant les choses entre : c’est sensé donc, je le vis ; ce n’est pas sensé, donc je ne le vis pas. 

Nous avons plutôt à accueillir chaque événement comme il vient, qu’il soit sensé ou non selon notre première appréciation ; puis une fois que nous sommes entré dans cet événement, nous avons à chercher le moyen pour le vivre le mieux possible, le plus adéquatement possible.

Pour Qohélet, une bonne vie, ce n’est pas nécessairement la vie la plus longue possible et la plus gorgée d’années. C’est plutôt une vie où  la grande variété des expériences aura été explorée, où chaque temps aura été vécu en appréciant ce qui vaut la peine d’être apprécié.  

8. La palette des expériences est si riche !   

Il y a un  temps pour  gémir et un temps pour  danser
Il y a un  temps pour étreindre et un temps pour s’éloigner de l’étreinte 
Il y a un temps pour chercher et un temps pour perdre
Il y a un temps pour garder et un temps pour  jeter
Il y a un  temps pour  déchirer et un temps pour coudre
Il y a un temps pour détruire et un temps pour bâtir

Et nous pourrions ajouter : il y a un temps pour être enfant, et il y a un temps pour être parents ; il y a un temps pour être filleul, et un temps pour être marraine et parrain. Si je me permets de faire cet ajout dans la liste de Qohélet, c’est pour éviter que nous imaginions que cette immense diversité d’expérience est un jeu à somme nulle. 

Vous savez un jeu où  la raison d’être du temps pour danser est simplement de pouvoir neutraliser le temps du gémissement. Que le temps de bâtir serait là uniquement pour contrebalancer le temps de détruire et permettre de revenir le plus rapidement possible à l’équilibre, pour pouvoir ensuite vite passer à autre chose.

Non, en vivant chaque temps, l’enjeu me semble-t-il est plutôt de nous laisser être enrichi par chaque temps vécu de manière ensuite à ce que nous puissions aborder l’autre temps qui vient, en étant devenu autre, en  ayant été  élargi par cette expérience.  

Vivre la danse non pas pour neutraliser le gémissement, mais apprécier intensément la beauté d’une danse, parce que nous savons la profondeur d’un gémissement. 

De même, parce que nous prenons le temps de pleinement vivre notre période d’enfance, parce que nous prenons le temps de revisiter régulièrement les périodes tourmentées comme les périodes joyeuses pour tisser avec chacune d’elle une relation apaisée et lucide, que nous serons  le mieux équipés pour  vivre pleinement le temps d’être parents. 

La succession des différents temps n’est pas un jeu à somme nulle. C’est une succession où chaque temps est en relation avec les autres, où chaque temps nourrit, enrichit et élargit la personne que nous n’avons pas fini de devenir.

8. Que retenir de ce poème du Qohélet ? 

Une invitation à accueillir chaque jour comme un temps qui nous est donné, pour explorer une nouvelle facette de l’existence. Puissions-nous entrer dans ce nouveau temps, l’esprit ouvert et curieux. 

Et dans cette exploration, laissons l’Esprit inspirer notre esprit afin que nous trouvions comment apprécier le temps nouveau, afin que nous trouvions en lui une nourriture qui vienne alimenter notre joie d’exister. 

Amen 

Luc-Olivier Bosset, le 25 juillet 2021 au temple de la rue Maguleone
Crédit images: AvdL - août 2021 Woerden/Den Haag/Prague