Sur l’amour fraternel, vous n’avez pas besoin qu’on vous écrive, car vous avez appris vous-mêmes de Dieu à vous aimer les uns les autres, et vous le faites d’ailleurs à l’égard de tous les frères, dans la Macédoine entière ; nous vous exhortons, frères, à faire encore de nouveaux progrès : ayez à cœur de vivre dans le calme, de vous occuper de vos propres affaires, et de travailler de vos mains, comme nous vous l’avons ordonné, pour que votre conduite soit honorable au regard des gens du dehors, et que vous n’ayez besoin de personne.

1 Thessaloniciens 4, 9 (traduction LSG)

lob01 08 21 11. « Sur l’amour fraternel, vous n’avez pas besoin qu’on vous écrive, car vous avez appris vous-mêmes de Dieu à vous aimer les uns les autres »

Vous aimer les uns les autres. La formule est belle. Elle sonne bien. Elle exprime ce que l’on peut attendre d’une communauté spirituelle. Que ce soit le lieu où nous nous laissons guider, non pas par la loi de la jungle, mais sous l’inspiration de l’amour fraternel. Et pourtant s’aimer les uns les autres, c’est la chose la plus délicate et la plus subtile qui soit ! C’est un art très exigeant, très profond qui pour sa mise en pratique convoque toutes les ressources de notre intelligence, de notre  expérience, de notre réflexion, bref toutes les ressources et de notre tête, et de notre coeur. 

Pour nous familiariser avec la subtilité de cet art, une formation sérieuse et approfondie ne semblerait pas de trop. Et pourtant, dans l’exercice de cet art, trop de conseils, trop de recommandations étouffe notre élan et notre maturation. 

Il vaut mieux avancer en expérimentant, en testant le peu de ce que nous avons compris, ce qui nous fera découvrir sûrement de nouvelles choses ;  puis fort de ce que nous aurons ainsi découvert dans la pratique, nous serons à nouveau réceptif pour entendre d’autres conseils, que nous testerons avant de pouvoir entendre d’autres recommandations. 

2. L’amour fraternel est un art très délicat. Se sentant responsable que ses lecteurs deviennent apte à l’exercice de cet art, l’apôtre Paul aurait pu dans cette lettre déployer moult moyens pour leur transmettre un bagage de connaissances pour qu’ils deviennent plus à l’aise. 

Or au lieu de cela, Paul au contraire relâche la pression. Voyant comment ses amis se comportent déjà,  il affirme :   « Sur l’amour fraternel, vous n’avez pas besoin qu’on vous écrive, car vous avez appris vous-mêmes de Dieu à vous aimer les uns les autres »

Ayant appris comment les membres de la première église chrétienne de la ville de Thessalonique avaient accueilli chaleureusement les frères d’une église de Macédoine lorsque ces derniers étaient de passage dans leur ville, Paul a compris que ses amis étaient déjà conscients de ce que signifie l’hospitalité au nom du Christ. 

Par la manière dont ils agissaient, les amis en question démontraient qu’ils avaient été saisi intimement par le souffle de l’évangile. Ils démontraient que l’évangile n’était pas une lettre morte, mais une parole vivante. Que la grâce de Dieu à laquelle Jésus fait constamment référence dans l’évangile, cette grâce n’était pas pour eux une théorie, mais une nourriture alimentant leur désir de vivre, et inspirant leurs actions.  

C’est pourquoi, en leur écrivant, Paul ne se sent pas de les lester de moult conseils. Il les invite plutôt à continuer sur cette voie. Il les invite à devenir toujours plus théodidacte.  

3.  Que signifie devenir théodidacte ? 

Vous connaissez l’expression : « être autodidacte » ? Une personne est autodidacte lorsqu’elle s’instruit par elle-même. Elle n’a pas besoin de recommandations écrites, ou moult conseils, elle s’instruit par elle-même dans un cadre qui lui est propre, et cela sans professeur, d’une façon plus ou moins éloignée des institutions enseignantes. 

Un sujet l’intéresse, alors cette personne fait par elle-même les démarches pour se familiariser avec ce sujet. Un peu hors des sentiers battus, elle expérimente, elle teste, elle cherche, elle creuse, et ce faisant elle se cultive, se forme et acquiert une certaine aisance dans le sujet. Ici dans sa lettre, l’apôtre Paul utilise une expression qui est basée sur la même racine grecque que le mot autodidacte. C’est l’expression : théodidacte.  

« Sur l’amour fraternel, vous n’avez pas besoin qu’on vous écrive, car vous avez appris vous-mêmes de Dieu à vous aimer les uns les autres » 

Qu’est-ce qu’un  théodidacte ? C’est une personne qui apprend un peu hors des sentiers battus. C’est une personne qui lorsqu’elle exerce l’amour fraternel, ne cherche pas à appliquer de manière pointilleuse des méthodes, ni à suivre scrupuleusement des recommandations, ni à suivre rigoureusement un devoir ou un idéal. 

Et si elle met en pratique l’amour fraternel quelque peu à distance des méthodes, des recommandations, des devoirs, c’est parce que dans l’amour fraternel, quelque chose l’a intimement saisi. Elle a été gagnée par une grâce  pleine de lumière et de souffle. Une grâce qui l’a profondément régénérée.

S’il fallait décrire Dieu, aujourd’hui, je le décrirai ainsi : c’est une grâce pleine de lumière et de souffle qui nous aère, qui nous alimente, qui nous régénère. Du coup, quand une personne théodidacte se met à exercer l’amour fraternel, ce qu’elle cherche, c’est continuer à communier à cette grâce. 

Être théodidacte, c’est donc pratiquer l’amour fraternel, en nous donnant toute la liberté et la latitude nécessaire pour que cette pratique ne devienne pas sèche, ennuyeuse et stérile, mais qu’elle nous permette de plus en plus de communier à cette grâce régénératrice. 

lob01 08 21 24. Ainsi en encourageant chacun à être théodidacte, Paul rappelle une vérité profonde. Pour mettre en pratique l’amour fraternel, il ne nous suffit pas de suivre un plan de montage comme nous le faisons lorsque nous assemblons les meubles que nous avons achetés.

Par exemple, pour mettre en pratique l’amour fraternel, à certains moments, il nous faut ne pas insister, secouer la poussière de nos sandales et passer notre chemin; et à d’autres moments, il nous faut au contraire ne pas passer notre chemin, mais rester et apprendre à aimer nos ennemis. 

Or ces deux attitudes se trouvent dans les Écritures bibliques. En prenant appuis sur une instruction écrite, la Bible, nous pourrions ainsi tout aussi bien justifier une attitude ou bien son contraire. Quand je disais que l’amour fraternel est un art subtile, c’est justement cela que je voulais pointer !  

Pour discerner l’attitude mettant ici et maintenant adéquatement en pratique l’amour fraternel, je ne peux pas simplement me réfugier derrière ce qui est écrit. Je suis appelé à  exercer ma liberté. 

Oui, il me faut exercer ma liberté en prenant le temps d’écouter mes émotions. La colère comme la paix peuvent être porteuses de Dieu ; à moi de discerner dans la situation précise que je suis en train de vivre, laquelle de ces émotions a le plus le goût de la grâce. 

Et c’est ainsi qu’en cherchant toujours et à nouveau, dans mes émotions, dans mes lectures, dans mes observations de la situation, en cherchant dans tout cela où se trouve le goût subtile de la grâce, que peu à peu, je deviens théodidacte.  

5. Que nous devenions peu à peu théodidacte, cela est très important pour la vie de la communauté ecclésiale que nous formons ici à Montpellier.

Pourquoi est-ce que c’est important ? Une communauté spirituelle comme celle que nous cherchons à former est une communauté où l’on parle d’amour, de fraternité, de liberté, vous savez de ces grands idéaux qui nous élèvent et nous donne à espérer. 

Cependant, force nous est aussi de reconnaître, que la communauté ecclésiale que nous formons, comme toutes les communautés auxquelles nous appartenons dans notre vie familiale, associative ou professionnelle, cette communauté est formée de personnes humaines, faites de chair et sang. 

Des humains qui ont des histoires de vie particulières, qui charrient avec elles des blessures, des besoins de reconnaissance, des désirs d’être valorisés. Ainsi, tous ensemble, nous formons une communauté qui se veut très spirituelle, qui a une sincère envie de pratiquer l’amour fraternel,  mais qui dans le fond demeure très humaine. Nous sommes là parce nous avons été touché un jour ou l’autre par la grâce, par une saveur d’ailleurs qui sent bon l’amour fraternel simple et authentique. Et voilà que, en venant ici, en nous engageant dans cette communauté, voilà que nous entrons dans des jeux relationnels où parfois nous alimentons, parfois nous subissons des luttes de pouvoirs. 

Nous avons été touchés par la grâce, et voilà qu’en venant ici, nous entrons dans des jeux relationnels que parfois nous alimentons, parfois nous subissons,  où nous allons vers les autres, non pas pour être à leur écoute, mais pour prendre auprès d’eux la reconnaissance dont nous avons besoin pour exister.

lob01 08 21 36. Que faire face à ces luttes de pouvoirs, à ces jeux relationnels, qui nous empêchent de vivre pleinement une fraternité authentique ? En nous appelant à être théodidacte, l’apôtre Paul ne nous invite pas à les  négliger en les balayant d’un revers de la main.  Car qui veut faire l’ange, fait la bête ! 

Être théodidacte, au contraire, c’est regarder tranquillement, lucidement ces luttes, ces jeux ; en les jugeant, non pas à l’aune de nos attentes et de nos idéaux, mais à l’aune de la grâce. Car c’est cette communauté concrète, particulière,  traversée par des jeux relationnels de séduction ou de pouvoir, qui est aimée de Dieu, et pas une autre. C’est cette personne concrète, animée par un fort besoin de reconnaissance, marquées par ses blessures, qui est aimée de Dieu, et pas une autre.  

La grâce de Dieu n’a pas attendu que nous soyons pleinement matures et réalisés pour commencer d’agir et de se déployer. Ce qui veut dire que même dans cette communauté humaine, trop humaine, même dans cette personne humaine, trop humaine, la grâce de Dieu  est là, agissante. 

7. Être théodidacte, c’est de prendre appui sur cette grâce qui est là, et la laisser nous instruire. Être théodidacte, ce n’est pas mettre au centre nos idéaux, nos attentes, ce que nous arrivons ou pas à réaliser

Être théodidacte, c’est mettre en centre de notre attention la grâce et laisser cette grâce nous enseigner, nous convertir, nous renouveler. Être théodidacte, c’est chercher, chercher, chercher au coeur de cette communauté concrète, au coeur de cette personne concrète, au coeur de mon existence concrète, où et comment la grâce est en train d’agir. 

8. Quand cette grâce agissante nous est révélée, il n’y a pas lieu de nous précipiter à l’étape suivante. Il y a lieu de la savourer, de laisser cette grâce nous éclairer, nous révéler ce que nous n’avions pas encore compris, il y a lieu de s’arrêter et rendre grâce.  Quand cette grâce agissante nous est révélée, être théodidacte, c’est apprendre de Dieu la capacité de nous arrêter au seuil de chaque journée,  et comme dans le récit de la création, prendre le temps d’apprécier ce qui est bon ! Au soir de chaque journée, en regardant cette communauté concrète, cette personne concrète, en regardant aussi ce qui a été découvert, apprécier ce qui s’est révélé et nous dire : vraiment dans tout cela, il y a du bon !

9. Pour que s’épanouisse notre capacité d’accueillir avec calme et lucidité cette communauté comme elle est, ce prochain comme il est, avec ses aspérités, ses incohérences, ses étrangetés, devenons chaque jour un peu plus théodidactes ! 

Amen 

Luc-Olivier Bosset, le 1er août 2021 au temple de la rue Maguelone et le 5 septembre 2021 au temple de Cournonterral
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