Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie. CCar la vie s’est manifestée, et nous avons vu et nous rendons témoignage et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était tournée vers le Père et s’est manifestée à nous, ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. Et nous vous écrivons cela pour que notre joie soit complète. Et voici le message que nous avons entendu de lui et que nous vous dévoilons : Dieu est lumière, et de ténèbres, il n’y a pas trace en lui. Si nous disons : « Nous sommes en communion avec lui », tout en marchant dans les ténèbres, nous mentons et nous ne faisons pas la vérité. Mais si nous marchons dans la lumière comme lui-même est dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres, et le sang de Jésus, son Fils, nous purifie de tout péché. Si nous disons : « Nous n’avons pas de péché », nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, fidèle et juste comme il est, il nous pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité. Si nous disons : « Nous ne sommes pas pécheurs », nous faisons de lui un menteur, et sa parole n’est pas en nous.

lob 171021 11 Jean 1, 1-10 (traduction LSG) 

1. Marcher dans les ténèbres, marcher dans la lumière …

Comment comprendre ces métaphores ? Ici dans cette première lettre de Jean, que représentent les ténèbres ? Que représente la lumière ? Comprendre ces métaphores n’est pas qu’une démarche intellectuelle. Cela concerne l’attitude que nous adoptons face à la vie. 

Marcher dans les ténèbres, marcher dans la lumière…

2. Au premier abord, nous serions tentés d’affirmer que les ténèbres représentent tout ce qui est de l’ordre de la débauche et du péché ; et donc que la lumière représente une vie morale et vertueuse. Cependant, quand nous re-situons ces métaphores dans les différents écrits bibliques du nouveau testament attribué à Jean, nous faisons une découverte intéressante. 

Au lieu que la lumière soit référée à un agir moral et vertueux, elle est référée à la vie. En effet, dans le premier chapitre de l’évangile selon Jean, au verset 4, il est écrit : « Dans le verbe était la vie, et la vie était la lumière des hommes ». 

La lumière est en lien avec la vie…

3. La vie dont il est ici question, n’est pas quelque chose d’abstrait. La vie, c’est la manière concrète d’être en relation avec Dieu et avec le prochain, telle qu’elle a été incarnée par Jésus de Nazareth. Cette manière d’être en relation est vie, parce qu’elle ne compartimente pas nos existences entre d’un côté la relation à Dieu, et de l’autre la relation aux prochains.  

En faisant tomber les cloisons, elle injecte de la vie entre ces deux dimensions. Elle empêche que chacune de ces relations ne se sclérosent et ne se  replient sur elles-mêmes. Elle empêche que la relation avec Dieu sente la sacristie, ou que la relation au prochain devienne une technique froide et instrumentalisante. 

En mettant en interaction ces deux dimensions (celle d’aimer Dieu et celle d’aimer son prochain), l’attitude de Jésus de Nazareth apporte des frottements dans nos existences.  Alors que nous passons notre temps à ranger chaque chose dans sa case,  (d’un côté ce qui concerne Dieu, et de l’autre ce qui concerne mon travail, puis ma famille, puis mon prochain), cette attitude bouscule et met du désordre. Cette attitude injecte de la vie en nous rappelant combien la relation avec Dieu gagne à être bousculée par les relations que nous tissons avec nos prochains. De même elle rappelle combien la relation avec nos prochains peut être affinée grâce à la relation que nous cultivons avec la transcendance. 

La vie qui est la lumière des hommes et qui a été incarnée par Jésus de Nazareth, c’est celle qui laisse toutes ces différentes dimensions de nos existences interagir en elles, des interactions qui ne sont pas toujours harmonieuses, qui provoquent des tensions, des grincements, des étincelles, des déstabilisations. 

Mais qu’importe, mieux vaut cela  qu’un ensemble bien posé et équilibré, mais qui est tellement segmenté qu’il en meurt, car rien ne circule entre les différentes dimensions.  La vie que Jésus apporte, c’est celle qui surgit lorsque nous arrêtons de segmenter et parcelliser, pour conjuguer et articuler.

4. Ainsi, dans ce contexte, marcher dans la lumière, c’est accepter cette non-compartimentation de notre existence. Au lieu de vouloir à tout prix que nos vies soient bien rangées, marcher dans la lumière, c’est donc nous ouvrir aux différentes bousculades que cette interaction entre Dieu et notre prochain provoque.  

C’est accepter que ces bousculades nous déstabilisent et nous poussent à prendre la route, jusqu’à ce que, sans rien rogner des exigences de l’amour, nous en arrivions, non pas à aimer Dieu aux dépens de mon prochain, ou bien à aimer notre prochain aux dépens de Dieu,  mais à aimer et l’un et l’autre vraiment, tout en aimant notre prochain comme nous-mêmes.

Marcher dans la lumière, c’est accepter les bousculades provoquées par les interactions. 

lob 171021 25. Dans ce contexte également, marcher dans les ténèbres ne signifie pas que nous nous épanchions dans la débauche, mais plutôt que nous nous fermons à ces bousculades. Marcher dans les ténèbres, signifie que nous préférons aux interférences nos rangements et nos classements. 

Marcher dans les ténèbres signifie qu’au lieu de nous interroger sur les frottements que nous percevons entre ces deux dimensions, nous détournons le regard. Circulez, il n’y a rien à voir ! 

Dans l’obscurité, alors que nous dormons, nous pouvons être réveillés en entendant des bruits. Cependant, parce que nous sommes dans l’obscurité, nous avons de la peine à bien identifier la cause de ces bruits. Pour en avoir le coeur net, il nous faut nous réveiller et en allumant la lumière, chercher… 

Marcher dans les ténèbres, c’est quand un frottement nous réveille, préférer notre sommeil à l’envie d’en avoir le coeur net. C’est préférer nous retourner dans notre lit et mettre notre tête sous l’oreiller, plutôt que d’allumer la lumière et chercher ce qui provoque le grincement. 

Dans l’allégorie de la caverne racontée par Platon, il est justement question de ces personnes qui, lorsqu’elles entendent le philosophe leur raconter comment les choses sont à la lumière du jour, ces personnes qui préfèrent en rester à ce qu’elles connaissent, aux ombres qu’elles perçoivent projetées sur un mur,  au fond de leur caverne, plutôt que d’aller voir les choses dehors, sous un autre éclairage. 

C’est une chose d’être dans la caverne, c’en est une autre de préférer y rester !  Quand l’auteur biblique parle de marcher dans les ténèbres, il   ne cherche pas à décrire une vie dans la débauche. Il ne fait que souligner ce refus de s’ouvrir à ce que le frottement peut apporter.

6. Par exemple, pour l’auteur biblique auprès duquel nous nous arrêtons ce matin, marcher dans les ténèbres, c’est dresser une cloison étanche entre la relation avec Dieu et la relation au prochain, et ceci pour que les problèmes de la relation au prochain ne viennent surtout pas interférer dans la communion avec Dieu. 

Dans la première communauté à laquelle s’adresse notre écrivain de ce matin, il y avait des personnes qui étaient profondément en conflit avec d’autres, tout en affirmant qu’elles étaient, malgré ce conflit, en pleine communion avec Dieu. Or en parlant ainsi, elles cloisonnent. 

Sur le fond, nous pouvons tout à fait les comprendre, car si nous devions toujours attendre d’être en paix avec tout le monde pour pouvoir être en relation avec Dieu, il n’y aurait plus personne au culte le dimanche matin. Cependant, l’auteur de la première lettre de Jean invite ses lecteurs à ne pas se satisfaire de ce cloisonnement. 

 « Celui qui prétend vivre dans la lumière, tout en haïssant son frère ou sa sœur, se trouve encore dans l’obscurité. » ( 1 Jn 2,9) 

S’il parle ainsi, ce n’est pas pour leur faire la morale et pointer combien ses lecteurs sont en-dessous des exigences de l’évangile. Non, s’il leur parle ainsi, c’est parce qu’ils courent le risque suivant. 

En cloisonnant les deux dimensions dans cette situation délicate, ils courent le risque que peu à peu leur agressivité prenne en eux le gouvernail, et leur fasse développer un discours religieux légitimant cette agressivité vis à vis du prochain.  

En restant cloisonnés, ils peuvent, sans le vouloir consciemment, intrumentaliser leur relation avec Dieu pour justifier leur médiocrité, ou  pour légitimer le conflit. C’est pourquoi, plutôt que de vivre compartimenté, l’écrivain les invite à marcher dans la lumière, c’est à dire à accepter les frottements que l’interaction entre ces deux dimensions provoquent dans cette situation conflictuelle. 

Ces frottements, il n’y a pas lieu de les esquiver. Il y a lieu de les prendre comme une occasion d’approfondir la relation avec Dieu et aussi comme une occasion d’affiner la relation avec le prochain.

7. Certains conflits nous bousculent tellement qu’ils viennent remettre en question bien des évidences de notre foi. Alors que nous sommes malmenés par l’épreuve, certains discours sur Dieu que nous entendons, des discours qui nous auraient satisfait avant l’épreuve, là, ces discours se révèlent être fades. Ces discours nous apparaissent comme inconsistants, tant ils se révèlent trop simplistes pour nous aider à aborder la complexité de la situation et la subtilité des émotions qui nous submergent. 

Dans ces moments-là, laisser la situation conflictuelle bousculer notre relation à Dieu, c’est reconnaître que le bagage de notre catéchisme ne suffit pas pour aborder de manière saine la complexité de la situation que nous traversons. Laisser cette situation bousculer notre relation à Dieu, c’est partir à la recherche de nouvelles ressources en sondant l’immense trésor de la spiritualité chrétienne. 

C’est ainsi qu’en étant renouvelée, notre relation à Dieu nous permettra de retravailler notre relation au prochain. C’est ainsi qu’en sondant l’immense trésor de la spiritualité chrétienne, nous recevrons de la transcendance un souffle d’ailleurs nous permettant d’endurer le conflit sans haine. 

Pour vivre, et non pas survivre, il y a lieu de laisser le conflit venir retravailler notre relation à Dieu, il y a lieu également de laisser la relation à Dieu venir retravailler notre relation au prochain.

lob 171021 38. Ainsi, quand nous sommes confrontés à une situation conflictuelle, au lieu de compartimenter les choses, essayer de conjuguer l’amour de Dieu avec l’amour du prochain peut nous aider à ne pas développer  une relation fusionnelle avec le conflit. 

Une relation fusionnelle avec le conflit, c’est une relation qui fait que le conflit nous absorbe complètement, au point que nous ne pensons qu’à lui, nous ne parlons plus que de lui.  Ainsi à cause de cette relation fusionnelle, au lieu que nous vivions notre existence en cultivant ce qu’il y a de meilleur en nous et en l’autre, nous sommes aspirés dans le mal-être que ce conflit exprime, et à force d’être au contact de ce mal-être, nous finissons par lui ressembler.

Eh bien, dans une situation conflictuelle difficile, injecter de la transcendance, cela peut nous permettre de prendre distance d’avec ce conflit. De ne pas l’endurer en ne prenant comme paramètre que la dimension horizontale. Mais de l’endurer, en cherchant ailleurs, dans la transcendance, notre souffle et notre inspiration. 

C’est peut-être parce que nous ne cherchons pas à vivre ce conflit que de manière horizontale, que nous trouverons les ressources pour l’endurer en restant vivants et patients.

9. Marcher dans la lumière, c’est nous ouvrir aux bousculades de l’existence. C’est laisser notre prochain  bousculer nos croyances. C’est laisser l’Évangile bousculer nos postures agressives.  

Marcher dans la lumière, c’est laisser chacune de ces relations interagir. Ainsi, éclairé par la grâce de Dieu, nous entrerons pleinement dans la vie. 

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 17 octobre 2021 à Maurin
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