Seigneur, toi, tu as été pour nous un refuge, de génération en génération. Avant que les montagnes soient nées, et que tu aies donné le jour à la terre et au monde, depuis toujours et pour toujours tu es Dieu.Tu fais retourner l'homme à la poussière, et tu dis : Etres humains, retournez ! Car mille ans sont, à tes yeux, comme le jour d'hier, quand il passe, et comme une veille de la nuit. Tu les emportes ; ils sont comme un instant de sommeil, qui, au matin, passe comme l'herbe : elle fleurit au matin et elle passe, on la coupe le soir, et elle se dessèche. Nous défaillons à cause de ta colère, ta fureur nous épouvante. Tu mets devant toi nos fautes et à la lumière de ta face ce que nous dissimulons. Car tous nos jours déclinent à cause de ton courroux ; nous achevons nos années comme un murmure.

La durée de nos jours s'élève à soixante-dix ans ; — pour les plus vigoureux, à quatre-vingts ans —et leur agitation n'est qu'oppression et mal, car cela passe vite, et nous nous envolons. Qui connaît la force de ta colère et le courroux qui te fait craindre ? Enseigne-nous à bien compter nos jours, que nous conduisions notre cœur avec sagesse. Reviens, SEIGNEUR ! Jusqu'à quand... ? Aie pitié de nous, tes serviteurs ! Rassasie-nous dès le matin de ta fidélité,  nous crierons de joie durant tous nos jours. Réjouis-nous autant de jours que tu nous as affligés,  autant d'années que nous avons vu le malheur. Que ton action nous apparaisse, à nous, tes serviteurs, et ta magnificence sur nos fils !

Que la beauté du Seigneur, notre Dieu, soit sur nous ! Affermis pour nous l'œuvre de nos mains, oui, affermis l'œuvre de nos mains ! Enseigne-nous à bien compter nos jours, que nous conduisions notre cœur avec sagesse. 

Psaume 90 (traduction LSG) 

lob 160122 11. Ce matin, je vous propose de méditer cette expression biblique : « bien compter nos jours » 

Que veut-elle dire ? Compter ici ne signifie pas calculer le nombre de jours que nous avons déjà vécu. Ce n’est pas de savoir pour ma part, que je suis en train de vivre aujourd’hui, ma 18108 ème journée. Que j’ai donc déjà vécu 2586 semaines, ou bien 595 mois. 

Connaître tous ces chiffres, pour le psalmiste, cela peut être intéressant. Mais ce n’est pas l’essentiel. Si la connaissance de ces chiffres n’engendre aucune prise de conscience qui nous implique, alors cette connaissance est vaine !  

Car plus que savoir que je suis en train de vivre ma 18108e journée, le psalmiste m’invite à obtenir par cette connaissance un coeur sage. 

2. De même, bien compter nos jours, ce n’est pas lister tout ce que nous avons déjà fait, de manière à montrer que finalement nous avons été  productifs, voir même plus productifs que d’autres qui dans le même laps de temps que nous, ont fait moins de choses. 

Oui, l’enjeu de bien compter ses jours n’est pas de justifier que nous avons été productifs ou rentables, mais là aussi, c’est d’obtenir un coeur sage. Donc, si ce n’est pas simplement calculer le nombre de jours que nous avons  vécu, si ce n’est pas faire la liste de tout ce que nous avons produit, que signifie l’expression « bien compter ses jours »  ?

Voilà la question que je vous propose de méditer ce matin, en espérant que cela nous permette d’acquérir un peu plus un cœur sage ..   

3. Que signifie « bien compter ses jours » ? 

Une première réponse, mais qui à mon avis est insuffisante, serait de dire : bien compter nos jours, c’est réaliser que nos jours sont comptés. C’est réaliser que la durée de notre passage sur terre n’est pas infinie. Mais  qu’elle est limitée. 

Dans le psaume, notre écrivain biblique parle de cette prise de conscience lorsqu’il affirme que sa durée s’élève à « soixante-dix ans ; — pour les plus vigoureux, à quatre-vingts ans ». Même si aujourd’hui notre espérance de vie s’est allongée, le sentiment qu’exprime ici le psalmiste, nous le comprenons très bien : c’est le sentiment de la brièveté de notre existence. C’est le sentiment que nos jours « sont plus rapides que la navette d'un tisserand » pour reprendre une autre métaphore tirée du livre de Job ( Job 7:6).

Afin de ne pas oublier que leurs jours étaient comptés, certains érudits médiévaux plaçaient un crâne humain sur une étagère et l’observaient régulièrement pendant qu'ils étudiaient. S’ils faisaient cela, c’était pour qui ils se rappellent  constamment  que leurs jours étaient comptés.

« Memento mori » (Souviens-toi que tu vas mourir) était leur devise. Une devise qui invitait à relativiser tout ce qui pouvait être vécu durant cette vie terrestre, voir même parfois qui visait à en révéler la vanité pour induire une éthique du détachement, de l’ascèse. Pour ces érudits du Moyen-Âge, une vie bonne, c’était une vie qui s’exerçait à cet art de mourir. 

Cette méthode est radicale ! Certes, elle est  lucide et courageuse. Mais, elle n’est pas sans risque ! Car à force de rappeler que nous sommes placés face à une limite, cette méthode peut engendrer en nous une attitude malsaine. 

Au lieu de nous encourager à célébrer la vie, ce « memento mori » entretient en nous une obnubilation de la mort. Elle fait de la mort une ombre qui rode et plane sur toute notre existence. 

lob 160122 24. Or ce n'est pas ce que souhaite le psalmiste ! Lorsqu’il écrit : « Enseigne-nous à bien compter nos jours », je crois que son désir profond est que  certes nous réalisions que nos jours sont comptés, mais que cela n’engendre pas une attitude peureuse, angoissée et morbide. Au contraire ! Son désir est que cette prise de conscience devienne une occasion qui nous bonifie. 

Que cela nous aide à faire un bon usage du temps qui nous est donné ! Il y a une manière de réaliser la brièveté de notre existence qui alimente en nous l’angoisse et la peur. Et il y a aussi une autre manière de réaliser la brièveté de l’existence qui engendre en nous une capacité à savourer profondément et à nous engager  plus pleinement dans la vie. Or c’est à cette manière-là que le psalmiste nous invite ! 

Bien compter nos jours, faire bon usage du temps qui nous est donné, ce n’est pas le passer entièrement à s’exercer à l’art de mourir.

Mais, bien compter nos jours c’est les vivre comme une occasion de découvrir les multiples facettes de ce qu’est la vie humaine consciente et personnelle et réaliser durant ce temps donné quelques unes des multiples possibilités qu’offrent cette vie humaine consciente et personnelle.  

5. En ce sens-là, bien compter nos jours, c’est ne pas les passer à craindre la mort. C’est ne pas  finalement gâcher notre existence, perdre notre temps, à cause de cette angoisse qui nous tenaille face à la mort. 

Pour faire bon usage des jours qui nous sont donnés, il nous faut être délivré d’une vision de la mort qui est une malédiction. Il nous faut être délivré d’une vision où nous comprenons la limite QUE comme un manque contre lequel il faudrait nous révolter si nous voulons être pleinement nous-mêmes. Mais alors, cette délivrance, comment advient-elle ? 

Cette délivrance advient lorsque peu à peu au travers de tout ce que nous vivons, nous découvrons que nous ne sommes pas des êtres qui peuvent vivre en autarcie, mais que nous sommes des êtres de relations. 

Nous n’avons pas un jour décidé de nous-mêmes, de venir au monde. Mais nous sommes venus au monde, parce que nous sommes le fruit d’un désir et d’une relation. 

De même, nous avons pu évoluer et grandir, parce que nous avons été au bénéfice de relations, qui nous ont nourri, porté, soigné ; jusqu’à ce qu’un jour, nous puissions voler de nos propres ailes. Et même voler de nos propres ailes, nous ne pouvons le faire que parce que nous avons appris à compter sur quelque chose d’autre que nous-mêmes. 

lob 160122 36. Ainsi les jours qui passent seront bien comptés, s’ils  me permettent de réaliser que je suis un être de relation. 

Les jours qui passent seront bien comptés, s’ils me permettent de réaliser combien le fait d’être confronté à des limites n’est pas quelque chose de mauvais en soi, mais que c’est une occasion de m’ouvrir à une relation. Les jours qui passent ne seront pas vains, mais seront bien comptés, s’ils me permettent à d’apprendre que je n’existe pas par moi-même, que je ne me suffis pas à moi-même, mais que je vis pleinement lorsque je cultive des relations saines avec mes semblables, avec le milieu qui m’entoure. Les jours qui passent seront bien comptés, s’ils me permettent d’apprendre à compter sur les autres pour qu’avec ces derniers nous nous entraidions à vivre chacun nos propres limites. 

Les jours qui passent ne seront pas vains, s’ils nous permettent de trouver des autres qui nous aident à venir au monde, à explorer et apaiser notre besoin d’être aimé, qui nous aident également à apprivoiser avec confiance cette limite qu’est la mort. 

Quand nous découvrons la beauté de telles relations, alors nous découvrons des ressources qui nous aident à aborder nos limites avec confiance. Ces limites ne sont pas vue négativement, parce que nous avons compris que nous pouvions compter sur des ressources venant de plus loin que nous-même pour les assumer. 

Quand le psalmiste invite à bien compter ses jours, il n’encourage pas à cultiver de manière morbide ce sentiment qui nous tenaille tous, à savoir le fait que nos jours sont comptés. Il nous encourage à faire de ces jours qui passent, une occasion de tisser des relations qui nous aident à vivre. 

7. Que la prise de conscience que notre vie est limitée soit une occasion de tisser des relations qui aident à vivre, cela n’est pas une évidence ! Pour que cela advienne, nous avons besoin d’être enseignés. Là où la pédagogie du psalmiste diffère de celle des érudits du moyen-âge, c’est lorsqu’elle nous apprend à nous ouvrir à un au-delà de nous-mêmes. 

Pour que nous apprenions à bien compter nos jours, sa pédagogie à lui n’est pas de nous demander de mettre un crâne sur une étagère de notre salon et de faire l’effort de méditer. Non, sa pédagogie à lui est de nous apprendre à prier. 

« Enseigne-nous à bien compter nos jours » Que cette phrase du psaume soit  formulée sous forme d’une prière, ce n’est pas anodin !  

Le psalmiste ne nous donne pas une injonction « souviens-toi que tu vas mourir ». Il ne plante pas  dans notre cerveau un petit « il faut ». Il ne nous apprend pas à soliloquer en nous disant à nous-mêmes :  «  il faut que je médite sur le fait que mes jours sont comptés, même si j’en ai pas envie… »

Non, il n’est pas en train de pousser à nous dire « il faut », mais plutôt il nous apprend à nous ouvrir à quelqu’un d’autre pour lui demander :  « enseigne-moi ». Ce faisant, le psalmiste ne nous invite pas à redoubler d’efforts personnels, mais à nous ouvrir à une relation. 

Il nous apprend à nous tourner vers un au-delà de nous-mêmes pour, grâce à la relation qui nous tricotons avec lui, nous puissions recevoir la lumière et l’intelligence dont nous avons besoin pour tisser une relation saine avec notre limite. 

En fait ce que le psalmiste nous dit, et là je trouve que c’est une vraie ressource pour accéder à la sagesse du coeur, ce n’est pas :  « grâce à tes efforts personnels,», mais « c’est en t’ouvrant à une relation » que tu recevras les ressources pour bien compter tes jours.  

8. Ici dans cette prière, la relation dont il est question, c’est la relation à Dieu. 

Si la durée de mes jours m’apprend peu à peu à m’ouvrir à cette relation à Dieu, alors même le fait d’être confronté à cette limite qu’est la mort ne sera pas vu comme un combat avec une puissance qui projette son ombre sur toute ma vie. Mais la confrontation avec cette limite qu’est la mort, sera une occasion de découvrir comment même là où je suis le plus passif, même là, cette relation peut m’apporter de la vie. Dans la perspective de la foi, je peux accepter d’être confronté à cette limite qu’est la mort, si la durée de mes jours me permet de m’approprier à l’intime une certitude que Martin Luther décrivait ainsi : 

 « Au milieu de la vie, nous sommes cernés par la mort. Voilà l’expérience que nous vivons tous. Cependant inverse les termes, car c’est ainsi que parle et croit le chrétien : au milieu de la mort, nous sommes cernés par la vie ». 

Si la durée de mes jours me permet de réaliser intimement qu’au milieu de la mort, je suis cerné par la vie, qu’au milieu des ténèbres, il y a un Dieu qui s’engage pour me faire entrer dans la vie, il y a  une grâce étonnante capable en toutes circonstances de récréer la relation, alors de cette nouvelle vision du monde, je recevrai des ressources me permettant d’aborder la mort avec confiance. 

Où que je sois, quoi que je fasse, je suis cerné par la vie !  Chaque jour qui passe ne sera pas vain, s’il devient une nouvelle occasion de me laisser rejoindre par cette  Vie. 

9. Au milieu de la mort, nous sommes cernés par la vie ! Cette nouvelle compréhension de l’existence rend notre coeur sage. Car elle nous apprend que bien compter nos jours, ce n’est pas pratiquer l’art de mourir.

Au contraire !  Bien compter nos jours, c’est réaliser combien chaque jour qui passe est une occasion nouvelle de célébrer la Vie, de célébrer toutes ces relations grâce auxquelles nous sommes en vie ! 

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 16 janvier 2022 au temple de Cournonterral
Crédit images: AvdL (août 2021)