Il dit ensuite à ses disciples : C'est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez ni, pour votre corps, de ce dont vous serez vêtus. Car la vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement. Considérez les corbeaux : ils ne sèment pas, ils ne moissonnent pas, ils n'ont ni cellier, ni grange ; et Dieu les nourrit. Or vous valez plus que les oiseaux, combien plus ! 

Qui de vous peut, par ses inquiétudes, rallonger tant soit peu la durée de sa vie ? Si donc vous ne pouvez pas même la moindre chose, pourquoi vous inquiétez-vous du reste ? Considérez comment poussent les lis : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas ; cependant je vous dis que pas même Salomon, dans toute sa gloire, n'a pas été vêtu comme l'un d'eux. Si Dieu habille ainsi l'herbe qui est aujourd'hui dans les champs et qui demain sera jetée au four, à combien plus forte raison le fera-t-il pour vous, gens de peu de foi ! Et vous, ne cherchez pas ce que vous allez manger ou ce que vous allez boire, et ne vous tourmentez pas. Tout cela, en effet, c'est ce que les gens de toutes les nations du monde recherchent sans relâche ; votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez plutôt son règne, et cela vous sera donné par surcroît. N'aie pas peur, petit troupeau ; car il a plu à votre Père de vous donner le Royaume.

merimna 060222 1Luc 12  22-32 (traduction LSG) 

1. Commençons par mettre les points sur les ‘i’ !  Nous sommes tous d’accord pour affirmer que la nourriture et les vêtements font partie des besoins fondamentaux. Nous ne pouvons pas mener une vie digne, s’il ne nous est pas possible de manger à notre faim. Nous ne pouvons pas mener une vie digne, si nous ne pouvons pas  nous vêtir décemment. 

Tant que ces besoins ne sont pas pris en compte, nous n’aurons pas l’esprit libre pour penser à autre chose. Aujourd’hui, en France, de nombreuses personnes font la vaisselle à l’eau froide, se chauffent au minimum. Et ceci pour faire face à l’augmentation des coûts de l’électricité, et économiser ce qui peut l’être pour avoir jusqu’à la fin du mois de quoi s’acheter la nourriture nécessaire. 

C’est pourquoi, d’entrée de jeu, que les choses soient claires entre nous. 

En affirmant, « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez ni pour votre corps, de ce dont vous serez vêtus. » L’évangile n’est pas en train de banaliser ses besoins fondamentaux. Il n’est pas en train de dire qu’il faudrait les négliger. 

L’évangile n’est pas en train de faire une petite morale à ceux qui peinent à joindre les deux bouts à la fin du mois pour couvrir leur besoin fondamentaux en leur disant : « pourquoi vous faites vous du souci pour ces choses bassement matérielles ? » 

Au contraire ! 

Au lieu de banaliser ces besoins et de faire une petite morale insupportable, l’évangile reconnait l’importance de ces besoins quand il affirme : « votre Père sait que vous en avez besoin. » Pour que vous puissiez mener une vie digne, Dieu sait que vous avez besoin de pouvoir manger décemment et vous vêtir correctement.  Ces besoins fondamentaux sont à respecter pour qu’une vie digne puisse être menée.  Donc là n’est pas la pointe de ce que cherche à dire ce passage d’évangile. Si là n’est pas la pointe, que cherche à nous dire ce passage de l’évangile ? 

En affirmant  « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez ni pour votre corps, de ce dont vous serez vêtus. » Quel message cherche-t-il à nous faire passer ?  

2. Si nous dressons l’oreille en écoutant ce texte, nous remarquons qu’une idée revient souvent, même si elle s’exprime de différente manière. 

Cette idée, c’est : « ne vous inquiétez pas, ne vous tourmentez pas, ne soyez pas ballotés dans tous les sens par les soucis. Qui de vous peut, par ses inquiétudes, rallonger tant soit peu la durée de sa vie ? »

Derrière chacune de ces expressions, il y a en grec un même mot : MERIMNO. 

En grec, ce mot MERIMNO signifie le souci. Voilà l’idée centrale de ce passage : le souci.  En fait, ce passage met en lumière quelque chose qui nous taraude tous : le souci. Tous, un jour ou l’autre, nous nous sommes sentis soucieux vis à vis de quelqu’un ou bien vis à vis d’un contrôle. Tous, jour après jours, nous nous faisons du souci. 

Or ce passage, nous invite à ne pas simplement subir cela. Mais ce passage, en mettant en lumière que nous nous faisons tous du souci, nous interroge :  au lieu de simplement nous résigner face à nos soucis, n’y aurait-il pas une autre manière de les aborder ? Au lieu de banaliser nos besoins fondamentaux, voilà la question importante qu’il nous pose : Au lieu de simplement nous résigner face à nos soucis, n’y aurait-il pas une autre manière de les aborder ?  

3. Le souci qui nous taraude, il exprime quoi ? Le souci dit toute l’attention que nous portons à quelqu’un. Quand nous nous faisons du souci pour un ami, un proche, un enfant, cela signifie que nous ne sommes pas indifférents à ce qu’il vit, mais que nous nous sentons concerné, impliqué; donc le souci exprime une attention. 

Quand nous disons que nous avons le souci de quelque chose, cela exprime également le soin que nous accordons à cela. Aujourd’hui avoir le souci de la Création, cela peut nous conduire à faire des choix dans notre manière de consommer, à réduire notre impact carbonne, à trier et réduire nos déchets. 

Donc, le souci dit toute l’attention et le soin que nous portons à quelqu’un ou à quelque chose. Cependant, le souci  exprime aussi et surtout que, au coeur de cette attention et de ce soin que nous portons à l’autre, il y a une anxiété. 

merimna 060222 24. Savez-vous la différence entre la peur et l’anxiété ? 

La peur est une émotion que je ressens lorsque je me retrouve devant un danger réel et concret. Par exemple, pour qualifier l’émotion que j’aurai pu ressentir si en venant ici, tout à coup, un sanglier avait surgit et traversé la route juste devant ma voiture, là devant cet événement précis qui peut déboucher sur un accident, j’aurai tout à fait pu vous raconter l’incident et vous  dire: j’ai eu peur ! 

L’anxiété quand à elle est une sensation que je ressens sans raison apparente. Le matin, je peux me réveiller et alors qu’il fait beau et que c’est le week-end, je peux, sans danger apparent, avoir l’estomac noué et me sentir crispé et tendu. 

Nous sommes anxieux lorsque nous nous inquiétons pour quelque chose qui n’est pas précis, que nous avons du mal à exprimer. Par exemple, un étudiant alors que ses études se passent bien, peut se mettre à éprouver de l’anxiété, justement parce que les examens qu’il vient de réussir le rapproche de la fin de ses études et qu’il va devoir trouver un travail. Or parce que cet avenir est flou et inconnu, cela peut lui provoquer un grand stress. Du coup, il n’arrive pas à se réjouir d’avoir réussi ses examens parce qu’il se pose 500 milles questions à propos de son avenir et qu’il ne sait pas comment apporter des réponses à toutes ces questions.  

Tout va bien pour lui, et pourtant il est anxieux. De même en tant que parents, nous pouvons aussi éprouver ces mêmes sensations vis à vis de nos enfants. Tout va bien pour eux, ils évoluent bien à l’école. Et pourtant, sans trop que nous puissions dire précisément pourquoi, une certaine anxiété nous tenaille, nous faisons du souci pour eux quand nous pensons à leur avenir.   

5. Donc voilà la pointe de notre passage de l’évangile. Au lieu de banaliser des besoins essentiels, ce passage attire notre attention sur cette anxiété qui nous tenaille tous dans le quotidien que nous vivons. 

En nous  en disant : « ne vous inquiétez pas », « ne vous tourmentez pas », « ne soyez pas ballotés dans tous les sens par les soucis ». « Qui de vous peut, par ses inquiétudes, rallonger tant soit peu la durée de sa vie ? », ce passage de l’évangile nous invite à ne pas nous résigner face à cette anxiété, ni à la laisser envahir et pourrir notre vie.  Mais ce passage nous invite à la questionner pour l’apprivoiser et l’apaiser. 

6. Quand nous nous faisons du souci pour quelque chose ou quelqu’un, notre première réaction, c’est de penser que nous viendrons à bout de notre anxiété en étant actifs. 

C’est en bougeant et en faisant quelque chose, et non pas en procrastinant dans sa chambre que peu à peu les choses se clarifieront. Si l’avenir nous rend anxieux, c’est en bougeant, en rencontrant d’autres gens, en cherchant,  en discutant que peu à peu, les choses se clarifieront. 

Dans le fond, c’est vrai, être actif est une bonne thérapie pour notre anxiété.  L’avenir nous rend anxieux, eh bien faisons de cette anxiété un moteur pour notre action. Mettons-nous en route pour organiser notre avenir, faire des choix sur la suite de nos études. 

Cependant pour calmer notre anxiété, cette thérapie par l’action peut aussi  avoir ses limites. Car l’anxiété qui nous tenaille peut aussi nous pousser dans un débordement d’activité. Nous remplissons notre journée de plein de choses à faire, sans que ces choses soient essentielles et importantes. Mais c’est pas grave, l’essentiel c’est de faire. Au lieu que nous prenions le temps d’écouter notre anxiété, et que nous réfléchissions à ce qu’elle nous dit, nous bondissons sur la première chose à faire. Cependant, en nous comportant ainsi, au lieu que nous agissions, nous nous agitons. Ce débordement d’activité finalement nous disperse et nous perd. Nous avons fait plein de choses, sans que cela nous mène nulle part. 

Dans un autre passage de l’évangile, il nous est raconté l’attitude de Marthe. Ayant chevillé au corps le souci de bien recevoir Jésus, elle s’active dans tous les sens pour que son hospitalité soit réussie. En ce sens, Marthe a vraiment le souci de l’autre. Et pour apaiser son souci, elle fait des choses biens puisqu’elle s’active à mettre les petits plats dans les grands afin de vraiment honorer son invité. 

Cependant, ses bonnes intentions et son souci de bien faire la rendent incapable d’apprécier la rencontre avec le Christ. Son invité qu’elle se réjouissait tant de bien l’accueillir est là. Et pourtant elle passe complètement à côté de la rencontre. 

Voilà où peut donc nous conduire l’activisme qui cherche à apaiser notre souci anxieux : à un débordement d’activités qui nous fait passer à côté de l’essentiel. Nous nous activons, mais nous passons à côté des vrais enjeux. C’est pourquoi, je pense que la thérapie qui consiste à guérir notre anxiété par l’action a ses limites. 

merimna 060222 37. Or là où ce passage d’évangile devient très, très intéressant, c’est lorsqu’il nous propose une autre manière d’apaiser l’anxiété qui nous tenaille tous. Nous disions que l’enjeu de ce passage de l’évangile est de nous aider à sortir de cet état intérieur anxieux, de sortir des soucis. 

Pour cela que nous propose-t-il ? Il ne nous demande pas de faire un effort supplémentaire, d’essayer d’être encore plus actif. Non ! Il nous invite à réaliser que nous ne sommes pas seuls au monde. Alors que le souci nous replie sur nous-mêmes et nous rend solitaire, Jésus dans ce passage de l’évangile, nous invite à lever la tête et à nous laisser rejoindre par toute la vie qui palpite et qui germe autour de nous. 

Dans ce passage, Jésus ne nous dit pas : fais ceci, mais observe… Regarde autour comment la vie se passe. 

Observez comment poussent les lis : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas ; cependant je vous dis que pas même Salomon, dans toute sa gloire, n'a été vêtu comme l'un d’eux.  Observez  comment poussent les lis » 

(en m’adressant aux ados : ) avez-vous déjà observé des lys ? Savez-vous à quoi ressemble un lys ? 

Ce n’est pas un hasard sur des maisons royales ont pris comme emblème cette fleur, car elle a beaucoup d’élégance. En plus quand elle s’épanouit, elle dégage un parfum fin. Dans la bible, il est plusieurs fois fait mention des lys. A chaque fois, c’est pour souligner la brièveté de l’existence. C’est pour nous dire que nous sommes comme un lys des champs qui pousse, fleurit et puis passe. 

Nous rappeler la brièveté de la vie… Avouez qu’au lieu de calmer notre anxiété, cela ne peut que la rendre plus intense. Or voilà que dans ce passage, c’est une des seules fois où dans la Bible le lys est pris en exemple pour dire autre chose. Jésus dit : regardez comment poussent les lys.  

Observez comment sans stress, sans agitation, sans épuisement, les lys prennent du temps pour s’épanouir. Observez combien cet épanouissement ne se fait pas en un jour. Mais qu’importe le temps est là pour leur permettre de déployer sans agitation leur splendeur. 

Jour après jour, ils reçoivent de plus loin que d’eux-mêmes, les ressources dont ils ont besoin pour s’épanouir et quand l’éclosion arrive, les lys s’élancent ! Avec grâce et joie, ils offrent pleinement leur parfum. 

Ils sont pleinement impliqués dans leur évolution, mais cette évolution s’opère sans stress ni efforts épuisants parce qu’ils prennent appui sur plus loin qu’eux-mêmes pour s’épanouir et embellir le monde, pour égayer ce monde leur parfum et de leur élégance. 

L’élégance qu’ils déploient n’est pas une élégance calculée ou artificielle. C’est une élégance naturelle qui vient du fond d’eux-mêmes. Jésus ne dit pas : devenez élégant ! Non, il dit : observez comment poussent les lys, apprenez comme eux à vivre le temps qui vous est donné comme une occasion de puiser de plus loin que vous-même des ressources pour que s’épanouisse votre beauté profonde, votre élégance naturelle.  

8. Sur les anciennes cartes topographiques, en haut à droite, vous retrouvez une fleur de lys indiquant le nord. C’est la raison pour laquelle, Baden-Powel lorsqu’il a créé le scoutisme l’a pris comme emblème. Une fleur qui nous donne le Nord, qui nous aide à nous orienter. 

D’ailleurs, c’est ce que fait Jésus. Quand nous sommes tenaillés par nos soucis et que nous ne savons plus où donner de la tête, retrouvons notre orientation en observant les lys. 

Il y a en nous une beauté cachée qui demande à se révéler. La raison d’être du temps qui nous est donné est de permettre à cette beauté cachée de s’épanouir, d’embellir par son élégance le monde où elle se trouve et d’égayer aussi ce monde par son parfum. (offrir un lys à chacun) 

C’est pourquoi je vous offre aujourd’hui cette fleur. Si à votre réveil, vous éprouvez de l’anxiété, prenez le temps d’observer comment s’épanouit un lys. Apprenez de lui à compter sur des ressources qui viennent de plus loin que vous-mêmes pour que le temps permette de révéler votre beauté cachée. 

9. Nous ne vaincrons pas les soucis en nous investissant à fond dans l’action.

Nous n’apaiserons pas cette anxiété qui nous tenaille en étant obnubilé par elle. En essayant de manière volontariste, à la force de notre poignet de nous convaincre : je ne suis pas anxieux, je ne suis pas anxieux. Non, le seul moyen de dépasser notre souci, c’est de contempler de la beauté. De nous ouvrir à ce qu’il y a de beau autour de nous. D’observer comment poussent cette beauté et cette élégance. 

Et ce faisant, de comprendre que de plus loin que nous-même, de Dieu, nous recevons toutes les ressources pour que cette beauté puisse éclore et s’épanouir en nous. Et cela pour notre plus grand bonheur, pour celui également de notre prochain et pour la plus grande gloire de Dieu. 

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 6 février 2022 à Maurin
Crédit images: AvdL (février 2022)