Lorsque le sabbat fut passé, Marie-Madeleine, Marie (mère) de Jacques et Salomé achetèrent des aromates, afin d'aller embaumer Jésus. Le premier jour de la semaine, elles se rendirent à la tombe très tôt au lever du soleil. Elles disaient entre elles : Qui nous roulera la pierre de l'entrée du tombeau ? Elles levèrent les yeux et s'aperçurent que la pierre, qui était très grande, avait été roulée. Elles entrèrent dans le tombeau, virent un jeune homme assis à droite, vêtu d'une robe blanche, et elles furent épouvantées. Il leur dit : Ne vous épouvantez pas ; vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié ; il est ressuscité, il n'est pas ici ; voici l'endroit où on l'avait déposé. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu'il vous précède en Galilée : C'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit. 

Que dirons-nous donc à ce sujet ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas aussi tout avec lui, par grâce ? Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? C'est Dieu qui justifie ! Qui condamnera ? C'est Jésus-Christ qui est mort ! Bien plus, il s'est réveillé, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous ! Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La détresse, l'angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le péril, ou l'épée ? Ainsi qu'il est écrit : A cause de toi, on nous met à mort constamment. On nous considère comme des moutons qu'on égorge. Mais dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. Car je suis persuadé que ni mort, ni vie, ni anges, ni principats, ni présent, ni avenir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre création ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ, notre Seigneur.

lob170422 1Marc 16 : 1-7; Romains 8 : 31-37  (traduction LSG) 

1. Aujourd’hui, jour de Pâques, parlons d’espérance ! 

 Pour cela, laissons-nous être inspirés par les propos de l’apôtre Paul,  quelque peu mis à jour : 

« Qui nous séparera de l'amour du Christ ? 

La détresse d’être confronté à une guerre ravageuse en Ukraine ? L’angoisse face au dérèglement climatique ? La faim à cause d’une hausse immaîtrisable des prix ? Le péril d’un échec de la démocratie à produire des réponses collectives qui soient à la hauteur des circonstances difficiles que nous vivons ? (…) 

Mais dans toutes ces choses, je suis persuadé que ni mort, ni vie, ni présent, ni avenir (…) rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu. » Pour Paul, l’espérance qui lui permet d’affronter un présent lourd, c’est la conviction qu’une relation continuera d’exister.  L’espérance qui lui permet d’affronter un avenir inquiétant, c’est la conviction qu’en toute circonstance, un fil ne sera jamais coupé. Pour Paul, ce qui donne et redonne de l’espérance dans toutes les vicissitudes de l’existence, c’est le fait que rien ni personne ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu. 

2. Pour bien mettre en valeur la lumière qui rayonne de cette espérance, il me faut commencer par parler avec vous de la mort. Et notamment parler du fait qu’il y a de multiples façons d’aborder la mort. Par exemple, j’ai toujours été frappé par les similitudes qu’il y avait entre la mort de Socrate et la mort de Jésus. 

Les deux ont été condamnés à mort par des tribunaux officiels. 

  • Socrate parce qu’il était accusé de corrompre la jeunesse, de nier les dieux de la cité et d'introduire des divinités nouvelles à Athènes. 
  • Jésus parce qu’il était accusé de vouloir détruire le temple et de prendre le pouvoir. 

Une autre similitude

  • alors que ses proches le poussent à fuir la ville pour échapper à la sentence de boire un poison, la ciguë, Socrate fait le choix de rester ;
  • de même, alors que les proches de Jésus dormaient dans le jardin de Gesthémané le laissant seul, libre de fuir, Jésus choisit de rester. 
  • Les deux font le choix d’affronter la situation.  

Or, alors qu’ils sont tous les deux pris dans une situation tragique, je suis frappé par leur manière différente d’aborder la fin de leur existence.

3. Dans un livre dont le titre est Phédon, Platon décrit un Socrate imperturbable au moment où il subit la sentence du tribunal. Platon même décrit un Socrate qui demande à boire une seconde fois, une troisième fois le poison mortel ; un Socrate qui ordonne même pour finir qu’on sacrifie un coq à Asclépios, c’était à l’époque le geste que l’on faisait pour exprimer sa reconnaissance d’avoir été guéri d’une maladie. 

Percevez-vous la vision de la mort qui est sous-jacente à cette attitude ?  Même dans une situation tragique comme celle de Socrate, la mort au lieu d’être révoltante, la mort est vue comme une délivrance. Si la mort est vue comme une délivrance, c’est parce que la vie, avec ses hauts et ses bas, ses limites et ses lourdeurs, ses épreuves et ses joies est vue au fond comme une maladie dont finalement, il faudrait être guéri. 

Si la mort est une délivrance, c’est parce qu’elle est enfin le moment permettant à l’âme d’être détachée du corps, d’être extraite de toutes les pesanteurs de l’existence pour pouvoir accomplir sa véritable activité consistant en la connaissance des idées.

4. À la différence d'un Socrate imperturbable, les évangiles nous décrivent un Jésus qui meurt dans un cri. La mort ne se laisse pas être domestiquée. La mort quelle qu’elle soit demeure une épreuve redoutable. Jésus meurt dans un cri. 

À la différence d’un Socrate qui redemande du poison, Jésus ne cherche pas à hâter son passage dans l’au-delà, car même si cette vie est remplie d’épreuves, elle n’est pas une maladie dont il faudrait être guéri. 

Dans les évangiles, la mort de Jésus n’est pas présentée comme un moment où le Christ ne se laisse pas être troublé par les événements et domine la situation. La mort de Jésus est racontée de manière à mettre en avant la radicale passivité que le Christ doit endurer. Plutôt que de mettre en avant un Jésus qui maîtrise tout, les évangiles nous présentent un Jésus qui endure patiemment son incapacité à inverser le cours des choses. Le symbole même de cette radicale passivité qu’endure Jésus, c’est le fait qu’il se retrouve cloué sur une croix, qu’il se retrouve fixé par le tragique des circonstances. 

Or dans ces moments-là, que fait Jésus ? Les évangiles nous racontent qu’il prend soin des relations. Il prie. Il continue de s’adresser à Dieu. Dans ces moments-là, Jésus prend soin des relations,  il confie sa mère à un disciple afin que cette dernière ne se retrouve pas seule. Comme pour nous dire que, même au cœur du tragique mortifère, il n’y a pas lieu d’hâter le basculement dans l’inconnu qu’est la mort, il y a lieu encore et toujours de cultiver des relations qui nous nourrissent et nous portent.  

lob170422 25. Alors que retenir de cette comparaison qui puisse nous aider à donner du relief à l’espérance que chante l’apôtre Paul ? Que retenir de cette comparaison entre la manière de Socrate ou de Jésus d’appréhender la mort  ? Ceci : pour les écrivains bibliques, ce qui est important, essentiel, dans la vie comme dans la mort, ce sont les relations. 

6. Ainsi, dans cette optique biblique où la relation est importante, la mort n’est pas simplement caractérisée par un encéphalogramme plat. Nous faisons déjà l’expérience de ce qu’est la mort lorsque nous sommes coupés de tout un réseau porteur de relations ou bien lorsque nous ne sommes plus capables de tisser des relations ou bien lorsqu’on nous interdit de développer des relations.  

À l’inverse, pour les écrivains bibliques, vivre ce n’est pas simplement avoir un cœur qui bat et être en bonne santé. Mais Vivre, c’est aussi et avant être en relation. Parce que la Bible est pétrie de cette vision relationnelle de l’existence, elle affirme que des personnes dont les capacités relationnelles diminuent  à cause du grand âge par exemple, eh bien ces personnes expérimentent déjà ce qu’est la mort ;  la bible affirme que des personnes qui se voient couper de tout un réseau social de relations, des personnes exclues ou marginalisées de la société à cause d’un handicap ou d’une maladie contagieuse, ces personnes expérimentent déjà ce qu’est la mort. 

Et à l’inverse, la Bible ose affirmer que dans ces situations où rôdent la mort, l’humain peut aussi vivre des moments de vraie vie, si au cœur de ces situations mortifères, des liens perdurent, se resserrent ou s’approfondissent.  

Oui, la Bible affirme que dans des situations extrêmes, nous pouvons rester vivants, si là au cœur de l’épreuve se révèle une relation grâce à qui nous recevons de la vie.  

7.  Peut-être que vous ne l’avez pas remarqué, mais là, je viens de vous parler de la résurrection. Je viens de vous parler de la raison d’être profonde de l’espérance qui anime Paul. 

Rappelez-vous ce qui a déclenché le chant lumineux de Paul, c’est cette conviction : rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu.  Or réaliser que rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu, c’est faire l’expérience de la résurrection. 

Si faire l’expérience de la mort, c’est vivre la rupture de liens, alors faire l’expérience de la résurrection, c’est découvrir, contre toute attente, qu’au cœur de toutes les situations mortifères que nous pouvons traverser, un lien subsiste ! 

8. Cette façon d’aborder les choses a l’immense avantage d’éviter que nous nous prenions les pieds dans le tapis, au moment où nous ouvrons les Écritures et que nous lisons les récits de Pâques. Car souvent quand nous lisons ces récits où il nous est raconté que le crucifié ressuscité traverse les murs, surgit au détour d’un chemin, nous nous perdons dans un abîme de question : mais comment concrètement et physiquement cela est-il possible ? 

Or, au lieu de nous livrer les précisions qui nous permettraient d’éteindre ce questionnement, les récits évangéliques nous laissent complètement sur notre faim.  Et s’ils nous laissent sur notre faim, c’est parce que le but des récits bibliques n’est pas de nous expliquer et fournir les preuves concrètes d’un phénomène paranormal. Non ! Leur but est plutôt de témoigner de cette espérance : les premiers chrétiens ont cru que l’épreuve que la crucifixion où ils avaient abandonné le Christ à son triste sort avait définitivement coupé les ponts ;  que désormais, ils étaient rejetés de la société car considérés comme traîtres, exclus de la communion avec Dieu car considérés comme lâches ; or voilà que contre toute attente, ils réalisent que même dans cette épreuve l’amour de Dieu ne s’est pas séparé d’eux.  

9. Quand les récits évangéliques parlent de la résurrection, ils ne décrivent pas un phénomène paranormal. Ils nous décrivent simplement ceci : 

Tout avait été mis en place pour trancher tous les liens qui permettaient à Jésus de vivre. A la fin de son existence, Jésus n’est pas seulement mort physiquement, mais parce qu’il s’est retrouvé harcelé, isolé, abandonné et rejeté, il est aussi quelqu’un de  mort socialement.  

Au moment de la crucifixion, les forces de mort, les forces du mensonge qui falsifient et tordent les liens, les forces coupant de toutes relations sociales sont dominatrices et toutes puissantes. Elles broient Jésus. Elles enserrent également les disciples. Elles déshumanisent également les bourreaux. 

Or, alors que Jésus était totalement passif et ne pouvait plus rien faire pour renverser la tendance, alors que les disciples eux aussi étaient passifs et subissaient la pression, voilà que de plus loin que cette situation sordide, une lumière se lève. Dieu prend en charge les choses pour que la vie du Christ soit reconnue, appréciée à sa juste valeur. Les autorités en place avaient élaboré un plan pour que Jésus se retrouve au ban de la société, parce qu’elles avaient jugé qu’il blasphémait. 

Eh bien, face à cela, la résurrection, c’est ce coup de théâtre qui vient abattre les cartes. La résurrection, cette parole qui vient de plus loin que toute autorité terrestre et qui en prend le contrepied pour affirmer : vous avez tout fait pour décrédibiliser cet homme; mais la vérité, c’est que cet homme ne blasphémait pas, il parlait vrai ! Il parlait authentiquement de la volonté divine.

Quand durant sa vie terrestre, Jésus a lutté de toutes ses forces contre les tendances mortifères qui coupent les lépreux, les pécheurs, les miséreux du reste de la société, Jésus n’était pas en train de blasphémer, il  parlait vrai, il incarnait authentiquement la volonté divine. Car la volonté de Dieu, ce n’est pas de condamner et d’exclure. La volonté de Dieu, c’est d’être en lien avec l’humain quel qu’il soit. 

Si Dieu a créé chaque humain tel qu’il est, ce n’est pas pour le rejeter et l’exclure, mais c’est pour l’appeler à entrer dans une relation de personne à personne avec lui ; une relation libre et responsable. Tant que l’humain ne sera pas mûr pour une telle relation personnelle, Dieu l’appellera, l’interpellera, le questionnera, le rassurera. Bref, tant que l’humain ne sera pas mûr pour une telle relation, Dieu ne le laissera pas tranquille. Or Jésus a révélé mieux que quiconque cette volonté divine d’entrer en relation. 

Si le Dieu créateur appelle à l’existence quelqu’un qui n’existait pas, ce n’est pas pour qu’à un moment donné, Dieu retire la prise et abandonne cette personne dans le néant. Si Dieu appelle à l’existence celui ou celle qui n’existait pas, c’est pour qu’une relation unique de personne à personne se tisse avec lui, avec elle. 

lob170422 310. Souvent, quand nous voyons sur terre la violence, la guerre, la rivalité, la maladie malmener et couper les liens, quand sur terre, à cause de la guerre, de la maladie, nous voyons des personnes dont la capacité à être en lien diminue, voir même se retrouvent être en état de mort sociale, nous nous demandons : mais que fait Dieu face à cela ?

En observant Jésus, nous comprenons que dans ces moments où les relations s’éteignent ou sont rompues, Dieu, c’est cette énergie qui s’engage pour recréer du lien afin que personne ne meurt de désespoir.

11. Parce que Jésus a révélé cette volonté divine, infatigable à créer du lien, il faut que cette vie du Christ ne soit pas laissée dans les oubliettes de l’histoire. Il faut que cette vie soit mise en pleine lumière. 

Car c’est en méditant sur cette vie que nous serons éveillés à  l’espérance. C’est en méditant sur cette vie que  nous nous approprierons une vision de Dieu et du monde qui nous permettra en toute circonstance d’espérer contre toute espérance. 

12. Quelle espérance ? 

Non pas l’espérance de hâter le départ de cette vie, l’espérance de pouvoir enfin quitter les bruits, les larmes et la fureur de notre actualité et d’offrir à ce moment là un coq en sacrifice comme si nous étions enfin guéri d’une maladie ; 

Mais l’espérance portée par la résurrection du Christ. Une espérance qui nous permet de regarder lucidement en face les bruits, les larmes et les fureurs de notre actualité en ayant chevillé au corps la conviction que dans les moments où nous sommes totalement impuissants, Dieu est une autorité qui n’abuse pas de nous, Dieu se révèle être pour nous, là où nous ne pouvons plus rien. 

Oui, voilà où se fonde l’espérance qui s’éveille au matin de Pâques : Dans les moments où nous sommes totalement impuissants, Dieu se révèle être pour nous là où nous ne pouvons plus rien.

13. Au lieu de nous donner envie de quitter le navire et de nous détourner de l’actualité, cette espérance nous permet d’être en disposition de veille au moment où nous abordons notre  actualité. 

Car au cœur des crises et des dérèglements qui menacent de couper tous nos liens, comme nous l’a révélé Jésus de Nazareth, Dieu aujourd’hui encore s’engage pour faire advenir de la vie. Aujourd’hui, comme hier, Il est là pour nous là où nous ne pouvons plus rien. 

Grande est sa fidélité ! Insondable est son savoir-faire !  Alléluia ! 

Amen 

Luc-Olivier Bosset, le 17 avril 2022, dimanche de Pâques, Cournonterrral
Credit images: 1. École Biblique de Jacou, 2022; 2-3 AvdL, mars-avril 2022.