Un spécialiste de la loi se leva et lui dit, pour le mettre à l'épreuve : Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? Jésus lui dit : Qu'est-il écrit dans la Loi ? Comment lis-tu ? Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain, comme toi-même. Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela, et tu vivras. Mais lui voulut se justifier et dit à Jésus : Et qui est mon prochain ? Jésus reprit : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba aux mains de bandits qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s'en allèrent en le laissant à demi-mort. Par hasard, un prêtre descendait par le même chemin ; il le vit et passa à distance. Un lévite arriva de même à cet endroit ; il le vit et passa à distance. Mais un Samaritain qui voyageait arriva près de lui et fut ému lorsqu'il le vit. Il s'approcha et banda ses plaies, en y versant de l'huile et du vin ; puis il le plaça sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il sortit deux deniers, les donna à l'hôtelier et dit : « Prends soin de lui, et ce que tu dépenseras en plus, je te le paierai moi-même à mon retour. » Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé aux mains des bandits ? Il répondit : C'est celui qui a montré de la compassion envers lui. Jésus lui dit : Va, et toi aussi, fais de même.

lob170422 1Luc 10 : 25-37  (traduction LSG) 

1. « Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » 

Au fond cet homme qui s’approche de Jésus se pose une question que tous un jour nous nous sommes posé : Quelle décision me faut-il prendre pour que mon existence ait plus de sens ? Que me faut-il ajuster dans ma manière de vivre pour qu’à la fin je puisse me dire, « ah ça c’était vraiment une vie bonne » ?

2. Là dans notre récit évangélique, la personne qui se pose cette question nous est décrite comme étant un spécialiste de la loi. C’est à dire une personne qui a été à la pointe de sa formation. Une personne qui a développé des compétences, des aptitudes jusqu’à être reconnue comme spécialiste et expert. Socialement, cette personne est éduquée et reconnue. Elle a les diplômes pour tenir une belle place dans la société. Une voie royale s’ouvre devant elle. 

Or cette personne n’est pas satisfaite. Quelque chose lui manque. Du sens, de l’envie, du souffle. Lorsqu’elle se lève le matin, au lieu d’avoir de l’élan, elle s’interroge : Que pourrais-je faire de nouveau, de différent pour qu’à la fin de la journée, de la semaine, du mois, je me dise : c’était une bonne journée, une bonne semaine, un bon mois ? Que dois-je faire pour vivre vraiment une existence qui n’ait pas une saveur éphémère et futile, mais une saveur d’éternité ? Bref, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ?

3. En ce sens, ce spécialiste de la loi me fait penser à ces personnes autour de nous qui étaient banquiers, ingénieurs, communicants… 

Ces hommes et femmes diplômés, bien intégrés dans leurs milieux professionnel et souvent bien rémunérés. Mais des personnes qui, après quelques années sur l’autoroute que leurs formations initiales leur avaient ouverte, des personnes qui bifurquent sur un chemin de traverse. 

De la banque, les voilà qu’elles se mettent à travailler par exemple dans une boulangerie ; du secteur privé, les voilà qu’elles passent au service public; quittant le travail dans une agence de communication, les voilà qu’elles se lancent dans la musique… Je pense ici à toutes ces personnes qui un jour  ont quitté des activités prestigieuses ou rémunératrices et qui ont réorienté leur vie en choisissant de nouvelles activités qui à leurs yeux avaient plus de sens.   

Quand nous écoutons leur témoignage, nous les entendons nous raconter que si elles ont fait ce choix, c’est parce qu’à un moment donné, elles se sont dites : « Finalement, qu’est-ce que je veux vraiment faire ? A la fin, qu’est-ce que je veux laisser comme trace  ? »  Accumuler des savoirs, des biens ou des postes ne les satisfaisaient pas. Elles avaient besoin de situer leur engagement sous un horizon plus vaste. Et non seulement, elles se posaient des questions, mais finalement, elles ont trouvé une façon personnelle d’y répondre. Leur réorientation est le signe qu’elles ont été jusqu’au bout de leur quête. 

Et leur parcours de vie nous interroge. Peut-être qu’en les écoutant, à notre tour, nous nous demandons : finalement, moi aussi, quelles décisions dois-je prendre pour que je puisse un jour me dire : « j’ai fait des choses qui ont du sens » ? que dois-je faire pour savourer une vie bonne qui a goût d’éternité ?

lob 080522 24. Pas besoin d’être bardés de diplômes, d’être expert ou spécialiste pour qu’un jour, ce questionnement nous taraude. 

Je crois que tous un jour ou l’autre, dans notre vie personnelle, nous nous retrouvons confrontés à des temps d’essoufflement. Vous savez de ces  temps où nous manquons de souffle pour savoir comment gérer les insatisfactions qui surgissent dans notre vie. 

Nous avons fait des choix de vie en pensant que ces choix seraient les bons, qu’ils allaient nous permettre d’avoir des ressources pour que nous soyons en bonne posture au moment des questions allaient surgir. 

Et voilà que les questions surgissent et qu’au lieu d’être vif et alerte pour y faire face, nous nous sentons intérieurement sec et manquant de souffle pour répondre. De même, Un jour ou l’autre, dans notre vie collective, nous pouvons nous retrouver confrontés à des temps d’essoufflement. 

Comme ces temps où les valeurs fondamentales, choisies comme boussole pour conduire notre société à bon port, eh bien ces valeurs au lieu de briller comme l'étoile polaire dans le ciel pour guider notre traversée, ces valeurs résonnent comme des principes creux. 

Face aux urgences devant lesquelles l’actualité nous place, ces grands principes semblent inopérants pour inventer une réponse à la hauteur de la situation.  Nous ne trouvons pas en eux le souffle dont nous avons besoin pour affronter les 40ième rugissants et franchir le cap de bonne espérance.  

Depuis le temps que nous vivons en démocratie, bien des principes et des grandes idées se sont essoufflés. Des commentaires en boucle nous le ressassent. Or précisément, c’est dans ces moments où nous manquons de souffle, que nous ressentons le besoin de nous ressaisir. 

Au-delà des griefs et des insatisfactions que nous pouvons avoir face à ce que cette vie démocratique nous apporte, avec quoi nous faut-il renouer pour que nous retrouvions le sens de la nuance, le parler vrai dans le débat et une claire hiérarchie des risques ? Que devons-nous faire pour renouer avec une perception de la vie bonne qui ensuite nous permet ensuite de nous engager avec une conscience lucide et aiguisée ? 

Donc, hier comme aujourd’hui « que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle » n’est pas une question anodine. Quand les choses dans notre vie personnelle ou notre vie collective sont à bout de souffle, c’est la question qui ouvre notre horizon et nous redonne de l’élan. 

5. Or dans l’évangile, il est très intéressant de constater que notre spécialiste de la loi retrouve du souffle, non pas en méditant tout seul dans son coin, mais grâce à une conversation exigeante avec un vis-à-vis qui là dans le récit, se trouve être le Christ. 

Le message que j’entends dans ce récit de l’évangile, c’est le suivant : pour retrouver du souffle, rien de tel qu’une bonne conversation ! 

En ce sens, ce récit évangélique est dans la droite ligne d’une longue tradition de pensée. 

Que ce soit le dialogue chez les philosophes grecs, parfois teinté d’ironie comme c’est le cas chez Socrate, ou bien que ce soit la controverse (machloket) des rabbins juifs pouvant déboucher sur des disputes interminables, ou bien encore la disputatio argumentée des réformateurs…,  à chaque fois, ces différents courants nous le rappelle : lorsque la question existentielle surgit, ce qui donne du souffle, ce n’est pas d’éteindre le débat en plaquant une réponse toute faite.  

Au contraire, ce qui donne du souffle, c’est de saisir la question, de prendre à bras le corps les remous qu’elle soulève, et de discuter ! De discuter en se laissant être traversé par la parole de l’autre (c’est le sens du mot dialogue), en prenant le contrepied de l’autre (c’est le sens de la mahloket), en argumentant face à l’autre (c’est le sens de la disputatio). 

Ce qui redonne du souffle, c’est de discuter non pas pour prouver que l’on a raison en assénant le dernier mot, mais de discuter parce que l’on est convaincu que c’est de la discussion que jaillit la lumière. 

Notre récit évangélique est intéressant car il met en scène quelqu’un qui n’est pas du même bord que Jésus et qui pourtant cherche le contact avec lui. Bien sûr au début, c’est pour le tester, pour voir ce qu’il a dans le ventre et ferrailler quelque peu avec lui. Il n’empêche en se frottant à un tel vis-à-vis, notre spécialiste de la loi a trouvé un partenaire grâce à qui, il va évoluer. Et c’est cette évolution qui lui apportera du souffle. 

6. Regardons d’ailleurs de plus près cette évolution ! 

Au départ, la question était « que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? ».  Or, une fois que la discussion s’amorce, cette question de départ enfante une autre question : « Qu'est-il écrit dans la Loi ? Comment lis-tu ? » Une autre question invitant à aller rechercher une boussole dans la mémoire commune. Mais le rappel des grands principes de la mémoire commune, les valeurs d’aimer le Seigneur Dieu de toute son âme et son prochain comme soi-même ne suffisent pas juste par leur énonciation à redonner du souffle. 

Quand Jésus semble conclure l’échange en disant à son vis-à-vis « tu as bien répondu, fais cela et tu vivras », ce dernier rebondit. Parce que le problème, il est justement là. De trouver de la vie, de l’élan dans ces grands principes. Notre expert sait que aimer le Seigneur et son prochain sont des valeurs importantes. Comme nous, nous savons que la liberté, l’égalité et la fraternité sont des valeurs importantes. Mais est-ce que tout ce savoir nous fait vivre ? Est-ce qu’il nous oriente dans nos choix ? Est-ce qu’il nous aide à discerner que faire concrètement pour que notre vie soit bonne et ait une saveur d’éternité ?  

Dans le récit, notre spécialiste de la loi ne lâche pas le morceau !  Il a besoin de quitter les grands principes « aime ton prochain comme toi-même », pour comprendre ici et maintenant ce que cela signifie concrètement. C’est pourquoi, il poursuit la discussion. Il demande : « Qui est mon prochain ? » 

Et là, au lieu de retourner à la loi, au lieu de refaire ce qu’ils venaient de faire, Jésus change de méthode. Au lieu de rester dans le registre des commandements, au lieu de citer à nouveau d’autres préceptes, il raconte une parabole. Un changement d’attitude qui surprend. C’est grâce à ce genre de surprise qu’une discussion redonne du souffle !  

Quoi de mieux qu’une histoire parlant du quotidien pour préciser concrètement qui est mon prochain !   Une histoire qui décentre notre expert de sa préoccupation initiale. Lui qui se demandait ce qu’il pouvait faire pour lui-même, le voilà qu’il est invité à réfléchir à ce que font les autres. Lui qui se demandait qui est MON prochain, voilà qu’on lui demande qui s’est fait le prochain de l’autre. 

Je crois qu’une discussion redonne du souffle lorsqu’elle me décentre de MON questionnement, celui que j’estimais être de la plus haute importance, pour me placer devant d’autres interrogations.  Lorsque je me préoccupe de MA vie éternelle, une discussion redonne du souffle lorsqu’elle me pousse à me questionner : comment puis-je devenir le prochain de l’autre ? 

lob 080522 37. Je crois qu’une discussion redonne également du souffle, lorsqu’elle permet de dépasser les stéréotypes. Car dans la parabole de l’évangile, il y a vraiment un détail piquant. 

La figure positive, celui qui vient en aide à l’autre, c’est un Samaritain ! C’est un marginal, un méprisé, une silhouette négative de la société de l’époque. A l’époque de Luther, lorsque l’empire ottoman était au sommet de sa grandeur et aux portes de Viennes, une Bible illustrée offre un dessin où le Samaritain de cette parabole a les traits d’un Turc, l’ennemi du moment. 

Cette parabole ne dit pas : tous les samaritains en tant que groupe se seraient arrêtés; elle ne dit pas : tous les samaritains en tant que groupe sont des personnes altruistes et généreuses. 

Non, notre parabole ne pérore pas sur des généralités. Elle dit simplement : une personne s’est arrêtée et ô surprise, cette personne n’appartient pas à la classe sociale à laquelle on s’attendait. 

Dans cette parabole, j’entends le message suivant : notre vie gagnera en sens lorsque nous arrêterons de penser en terme de catégorie (les étrangers, les patriotes), de classe sociale (les pauvres, les riches), mais que nous nous laisserons surprendre par la personne en face de nous !

Notre vie gagnera en sens lorsque nous prendrons le temps de vraiment rencontrer la personne en face de nous, car qui sait ? Alors que nous errons au bord de la route, en quête de sens, cette personne bien qu’elle ne corresponde pas à nos catégories mentales, cette personne pourra peut-être être celle grâce à qui ma vie gagnera en saveur ? 

L’autre qui nous remet en selle et nous redonne du souffle n’est pas là où nous l’attendons. La discussion qui nous rappelle ce qu’il nous faut faire pour que notre vie retrouve du sens, cette discussion peut survenir avec un vis à vis auquel nous n’avions pas pensé. 

8. Pour retrouver de l’élan, ne restons donc pas trop centrés sur nos questions existentielles et urgentes. Ne réduisons pas les discussions à n’être que des moyens pour répondre aux questions que nous nous posons. 

Quittons les clichés ! Délaissons les stéréotypes ! Ouvrons-nous à la rencontre ! Engageons-nous dans des discussions exigeantes, car c’est par là que nous sera renouvelé notre inspiration ! 

Amen

Luc-Olivier Bosset, Cournonterral (24-4-2022), Montpellier (Maguelone, 8-5-2022)
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