Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, où les vers et la rouille détruisent et où les voleurs fracturent pour voler. Amassez-vous plutôt des trésors dans le ciel, là où ni vers ni rouille ne détruisent et où les voleurs ne fracturent ni ne volent. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.

Matthieu 6, 19-21  (traduction LSG) 

lob 300522 11. « Amassez-vous des trésors dans le ciel ! »

Qu’est-ce qu’un trésor dans le ciel ? Et pourquoi faudrait-il en amasser ?  Voilà les deux questions que j’aimerai méditer avec vous ce matin. Deux questions simples, de bon sens, mais qui je l’espère nous aideront vivre la traversée de notre vie  en savourant ce qui en fait le sel et le miel.  

2. Commençons par nous arrêter auprès du mot « trésor ». 

Bien sûr dans les Écritures bibliques, le mot hébreu « ozar » qui veut dire trésor, fait référence, comme dans notre langue quotidienne, à un amas d’or, à des sommes d’argents considérables, qui doivent être protégées de la convoitise, généralement en les cachant ou en les mettant dans des endroits sûrs. 

Et parce qu’on cache le trésor, il se peut qu’on perde l’accès à l’endroit exact où il est enfoui.  Donc, il se peut aussi que par hasard, un jour on tombe sur un trésor qui avait été caché par d’autres et qui a été oublié. Ainsi, le mot trésor est associé à cette idée de cachette, mais aussi à celle d’« heureuse surprise ». 

Toujours dans les Écritures bibliques, ce même mot désigne également des granges (Joël 1,17) ou des réserves de vivre (1 Ch 27,25). Autrement dit de ces endroits où l’on stocke des provisions comme le blé, l’huile ou le vin afin d’avoir une poire pour la soif lors des saisons creuses ou les sécheresses. 

Par son abondance, le trésor est donc une sorte de réservoir dans lequel je peux aller puiser pour avoir les ressources nécessaires pour traverser les moments creux. 

En continuant notre exploration biblique, nous découvrons que ce même mot ne fait pas que référence à des biens tangibles, à des espères sonnantes et trébuchantes. Le trésor n’est pas que quelque chose de matériel.La sagesse (Pr 2,4), le respect de Dieu (Es 33,6) ou un ami bon (Si 6,14) sont qualifiés de trésor. 

Car quand notre esprit est éclairé par la lumière qui rayonne de la sagesse ou du respect de Dieu, quand un ami nous permet d’avoir avec lui une bonne discussion, c’est comme si nous avions à notre disposition une ressource précieuse qui nous aide à mieux discerner les enjeux d’une situation et à prendre une décision juste. 

Donc, quand les écritures parlent de trésor, elles parlent tout à la fois : 

  • d’une richesse enfouie que l’on découvre par hasard
  • d’un réservoir abondant
  • d’une ressource immatérielle

3. Grâce à ces diverses évocations, nous pouvons mieux percevoir le sens de cette expression « un trésor dans le ciel ».  

Par le fait que le trésor dans le ciel est opposé au trésor sur la terre, nous comprenons  de suite que les écrivains bibliques veulent attirer notre attention non pas sur un bien concret et tangible, car à cela, l’expression « trésor sur la terre » aurait tout à fait suffit ;  mais qu’ils veulent attirer notre attention sur des ressources immatérielles. 

Quel genre de ressources immatérielles ?  

lob 300522 24. Juste avant de parler de « trésor dans le ciel », le texte biblique mentionne les pratiques de l’aumône, du jeûne et de la prière. Or ce détail n’est pas anodin. Si la mention de « trésor dans le ciel » se trouve à cette place-là, c’est parce que les écrivains bibliques veulent nous dire que le trésor, il est là, dans ces bonnes pratiques.

En pratiquant l’aumône, en vous exerçant au jeûne et à la prière, nous disent-il, vous emmagasinerez de précieuses expériences qui vous permettront de traverser l’existence en ne passant pas à côté de ce qui en fait le sel et le miel.

  • par aumône ici, il ne faut pas entendre une pratique condescendante, dégoulinante de bons sentiments, mais une disponibilité à se laisser arrêter et toucher par les besoins de l’autre aux prises avec la précarité ; par aumône, il nous faut entendre un geste franc et impliqué pour essayer de répondre concrètement à ces besoins.
  • par jeûne ici, il ne faut pas entendre des contraintes ascétiques qui nous seraient imposées de l’extérieur indépendamment de notre volonté, mais la pratique d'une sobriété qui nous ouvre à une autre qualité de relation aux autres et au milieu dans lequel nous vivons. 
  • par prière ici, il ne s’agit pas de réciter des formules liturgiques surannées, mais de nous ouvrir à un vis à vis plus grand que nous-même et d’engager avec ce vis à vis une conversation intime qui éveille et élève.

Qu’est-ce qu’un trésor dans le ciel ? C’est une bonne pratique ! 

Quand les écrivains bibliques nous encouragent d’être attirés par des trésors dans le ciel, ils nous invitent à trouver des bonnes pratiques, des pratiques nous rendent sensibles aux besoins des autres, des pratiques qui nous éveillent à une autre qualité de relation.  

5. Vous le savez comme moi ! Il nous arrive dans notre existence de traverser des périodes arides et creuses. De ces périodes où nous éprouvons au fond de nous même un manque, un ennui, un spleen profond. 

Si ces moments-là devaient nous arriver, au lieu de chercher à apaiser ce creux par un achat ou par de la nourriture, essayons de l’apaiser en nous exerçant à de bonnes pratiques.  Car ce faisant nous emmagasinerons des émotions, des expériences, des réflexions, des rencontres, bref nous emmagasinerons tout un trésor d’expériences et d’émotions qui va ainsi s’enfouir en nous. 

Sur le moment peut-être nous ne saurons pas à quoi ce trésor d’expériences et d’émotions va pouvoir nous servir. Mais, il se peut que plus tard, alors que nous serons dans une autre situation, il se peut que par hasard, ce trésor enfoui resurgisse du fond de notre mémoire et, à ce moment-là nous trouverons en lui les ressources dont nous aurons besoin pour traverser sans encombre cette nouvelle période de notre vie. 

C’est pourquoi, dans un temps creux et de manque, nous ne perdons pas notre temps si nous  amassons un trésor dans le ciel, si nous emmagasinons un trésor d’expériences en nous  exerçant à de bonnes pratiques !  

6. « Amassez»  

Vous êtes peut-être surpris d’entendre ce verbe dans l’évangile. Car d’habitude, l’évangile nous exhorte plutôt à vendre les trésors que nous avons, à les donner ou à les partager. C’est pourquoi nous pouvons être étonné par cet encouragement à l’accumulation. 

Comment comprendre cette idée qui ne paraît pas suffisamment critique vis à vis de cette tendance qui nous traverse tous, celle de vouloir posséder toujours plus ? Et c’est là que j’en viens à aborder ma deuxième question : pourquoi amasser des trésors dans le ciel ? 

7. D’entrée de jeu, je vous propose d’évacuer une réponse : celle qui dirait qu’il nous faut amasser des bonnes oeuvres pour que notre compte au ciel soit bien fourni, afin que nous soyons certains d’être accepté au moment où nous passerons dans l’au-delà. 

Si j’évacue cette piste qui est souvent alimentée par une croyance populaire, c’est parce que je ne la trouve pas en résonance avec ce qui est dit dans l’évangile selon Matthieu. 

Juste avant notre passage, il est écrit : quand tu donnes quelque chose à un pauvre, n’attire pas bruyamment l’attention sur toi pour te faire bien voir parmi les hommes, mais quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. (Mt 6, 2-3)

À la lumière de cela, je dirai qu’amasser des trésors sur la terre, c’est accomplir des bonnes pratiques dans le but d’être reconnu d’être bien vu et admiré par les humains. Les louanges humaines sur nos bonnes actions ne sont pas négligeables. Mais si j’exerce une bonne pratique POUR acquérir cette reconnaissance humaine, alors je place ma confiance dans des trésors qui sont fragiles et périssables. Car les appréciations humaines que nous croyions fiables peuvent se révéler en fait être rongées de l’intérieur par le vers de la jalousie ou la mite de l’intérêt personnel.

À l’inverse, amasser des trésors dans le ciel, c’est accomplir une bonne pratique en attendant une appréciation qui vient de plus loin que de la terre, qui vient de Dieu ; c’est placer sa confiance dans une appréciation divine qui ne va pas fluctuer selon les humeurs ou la mode, mais qui, quoi qu’il puisse m’arriver reste fidèle et vraie.  

Amasser des trésors dans le ciel, c’est donc placer sa confiance dans ce regard-là, le regard de la grâce qui est un vrai trésor, c’est avancer dans l’existence en ne laissant pas les coups tordus ou les visages qui se détournent alimenter en soi la déception ;  amasser des trésors dans le ciel, c’est laisser le regard de Dieu épanouir en soi des richesses profondes qui permettent de contrebalancer l’amertume, voir même de la porter.  

Ainsi, plutôt que d'entendre dans cette exhortation une insistance à accumuler toujours plus, j’y entends plutôt l’invitation à faire le plein des ressources divines et célestes, à faire le plein  de grâce, de bonté, de générosité, afin que nous ayons en nous de quoi contrebalancer et relativiser les dimensions lourdes et pesantes de notre existence. 

lob 300522 38. Ici, je ne résiste pas à préciser avec vous une dernière chose : dans la mentalité biblique le ciel, n’est pas un monde parallèle à ce monde. Ce n’est pas le lieu où nous pourrons nous échapper lorsque tout va mal ici bas.  

Le ciel, ce n’est pas le monde parallèle, c’est plutôt l’infini qui se trouve caché au coeur de ce monde. 

Ainsi parler des trésors dans le ciel, c’est pointer vers ces ressources immatérielles qui existent non pas ailleurs, sur une autre planète, mais ici au coeur de notre quotidien ; c’est pointer vers ces ressources de bonté, de générosité, de bienveillance qui existent au coeur de ce monde, mais qui souvent sont cachées et sommeillent. 

Comme le ciel est infini, de même ces ressources peuvent devenir infinies lorsque nous les activons ; quand nous partageons un bien matériel, ce bien diminue ; mais quand nous partageons de la générosité ou de la bienveillance, ces ressources sont comme un feu qui augmente. 

Ainsi quand il est question d’amasser des trésors dans le ciel, j’entends un encouragement à nous remplir intérieurement de ces trésors immatériels que sont la générosité, la bonté, le sens du partage, car c’est lorsque nous sommes remplis de cette lumière que nous voyons loin, que nous posons des actes justes. 

9. Voilà ! En quoi, tout ce que je viens de partager avec vous peut-il faire sens dans notre quotidien aujourd’hui ? 

Il me semble que cette exhortation biblique «  amassez des trésors dans le ciel » peut nous aider à moins nous sentir démunis lorsqu’année après année, nous entendons des organisations non-gouvernementales et des scientifiques nous alerter sur le fait que  « le jour de dépassement » ne cesse de reculer. 

Qu’est-ce que le jour du dépassement ? 

C’est un indicateur qui pointe dans l’année le moment où les humains ont consommé l’ensemble des ressources que la terre peut renouveler en une année. Après ce jour, les humains vivent en quelque sorte à crédit, en consommant les ressources de l’année suivante. 

Par exemple, en 2021, le monde a atteint ainsi son jour du dépassement le 29 juillet. Il y a 50 ans, le jour du dépassement arrivait au mois d’octobre. 

Si toute l’humanité consommait autant que les français, il faudrait presque 3 planètes pour subvenir aux besoins de tous, et le jour de dépassement serait non plus le 29 juillet, mais plus de 2 mois plus tôt,  le 5 mai.

Par rapport à cette situation, qu’est-ce que l’encouragement à « amasser des trésors dans le ciel » peut nous apporter ? Tout d’abord, il peut nous aider à retrouver le sens immatériel du mot trésor. 

Quand il t’arrive de te sentir creux et en manque, au lieu de combler ce creux en achetant un bien tangible, trouve-toi une bonne pratique qui t’éveille à une richesse qui ne peut pas s’acheter ! Ensuite, en nous orientant notre attention vers le ciel, cet encouragement ne nous parle pas d’un monde parallèle à notre terre. Il ne nous rassure pas à bon compte en nous disant : quand les ressources ici s’amenuisent, ne te fais pas de souci, investis dans la conquête de Mars. 

Non, cette exhortation nous dit : Quand tu sens du stress et de l’inquiétude augmenter en toi face à notre surconsommation, exerce une bonne pratique qui éveille en toi les capacités infinie de l’intelligence et de l’esprit ; oui, exerce une bonne pratique en ne te plaçant pas sous des regards fluctuants et versatiles, mais sous un regard de grâce qui quoi qu’il puisse arriver éveille en toi les ressources insondables que sont la générosité et la bienveillance. 

Car c’est en ayant fait le plein de ces trésors que tu verras loin et que tu poseras l’acte juste. 

Amen

Luc-Olivier Bosset,  le 30 mai 2022 au temple de la rue de Maguelone, Montpellier
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