Lorsque arriva le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu. Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues leur apparurent, qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres ; il s'en posa sur chacun d'eux. Ils furent tous remplis d'Esprit saint et se mirent à parler en d'autres langues, selon ce que l'Esprit leur donnait d'énoncer. Or des Juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel habitaient Jérusalem. Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue. Étonnés, stupéfaits, ils disaient : Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de Mésopotamie, de Judée, de Cappadoce, du Pont, d'Asie, de Phrygie, de Pamphylie, d'Egypte, de Libye cyrénaïque, citoyens romains, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons dire dans notre langue les œuvres grandioses de Dieu ! Tous étaient stupéfaits et perplexes ; ils se disaient les uns aux autres : Qu'est-ce que cela veut dire ? Mais d'autres se moquaient en disant : Ils sont pleins de vin doux !

Actes 2  (traduction LSG) 

lob050622 11. À quelques mètres d’ici, sur la place de la Comédie, il y a des musiciens ou des artistes de rue qui se produisent. Que ce soit de la danse, de la musique ou des jonglerie, ils offrent aux passants un spectacle de leur cru.

Qu’est-ce qui fait que parfois nous nous arrêtons ? Certes lorsque les artistes mettent en œuvre de gros moyens technique pour que le son porte, cela peut aider à capter notre attention. Cependant, il me semble que cela n’est pas suffisant pour que nous nous arrêtions. La musique propulsée par des enceintes puissantes peut nous faire tourner la tête. Mais pour que nous interrompions nos occupations, il nous faut un petit quelque chose de plus. Ne faut-il pas que le show de l’artiste ne sonne pas creux et faux, mais qu’il sonne vrai ? 

2. Un soir, alors que je traversais la place de la comédie avec l’intention de récupérer ma voiture garée ici au temple et rentrer à Cournonterral, voilà qu’un musicien attire mon attention.

Dans mon souvenir, il n’avait qu’une toute petite sono pour amplifier le son qui sortait de sa guitare. Ce qui a piqué ma curiosité est le fait qu’il utilisait son instrument de manière étrange. Au lieu de gratter les cordes en portant la guitare en bandoulière comme cela se fait habituellement, il l’avait mise à plat et l’utilisait comme un piano, voir aussi il en faisait sortir des rythmes en frappant la caisse de résonance comme si c’était une percussion. 

À un moment donné, alors qu’il jouait, une corde se casse ; qu’importe, notre artiste a trouvé le moyen de continuer.

Dans ce qu’il proposait, tout n’était pas calibré, enregistré, aseptisé. C’était un spectacle vivant où l’on voyait quelqu’un avec ses moyens se donner à fond, réellement, jusqu’au risque de l’échec. Et si un raté surgissait, cet artiste ne se laissait pas être démonté, tout absorbé à partager avec nous les pépites qu’il avait découvertes en explorant l’immense monde de la musique.

Même si j’avais pas prévu de le faire, je suis resté longtemps à l’écouter ; car ce musicien témoignait de quelque chose. Il n’était pas en train de nous réciter une leçon apprise par coeur. Il nous transmettait de la joie, de la liberté ; grâce à lui, j’ai compris d’une manière nouvelle combien la pratique de la musique pouvait être source de vie.

Aujourd’hui, vous parler de ce jeune homme, c’est une façon pour moi de le remercier. Car ce musicien inconnu m’a transmis un encouragement à vivre mon ministère de pasteur avec le même engagement, la même passion, la même liberté, la même insouciance.

lob050622 23. Pourquoi est-ce que je vous parle de cette anecdote ?

Parce que ce qui s’est passé ce soir-là sur la place de la comédie, n’est pas éloigné de ce qui est raconté dans le récit biblique de la Pentecôte.

Car au fond, ces Parthes, ces Mèdes, ces Elamites, et tous ces habitants de Mésopotamie qui se trouvaient à Jérusalem à ce moment-là, ne sont-ils pas eux aussi arrêtés dans leurs occupations par un spectacle vivant ? Ne sont-ils pas surpris par une flash-mob un peu désorganisée ?

Au vu des réactions mitigées, voir des moqueries que les disciples suscitent, ( « heu, ils sont plein de vin doux »), on peut imaginer combien leur flash-mob n’était pas un spectacle bien huilé, dont tous les ratés auraient été préalablement soigneusement gommés.

Mais au vu d’autres réactions, celles qui s’interrogent en disant : « comment se fait-il que nous les entendions chacun dans notre langue raconter les oeuvres grandioses de Dieu ? », nous pouvons aussi réaliser que les disciples en s’exposant comme ils le font offrent un spectacle où les cordes de guitare qui cassent n’empêchent pas les artistes de partager avec le public l’étincelle qui les animent.

Un spectacle où les artistes ne sont pas des héros qui écrasent, mais des personnes de chair et de sang, qui de manière hésitante peut-être même maladroite n’assènent pas des vérités, mais délivrent une parole qui sonne vrai et qui interroge.

4. Si ce récit biblique Pentecôte a été symboliquement reconnu comme étant le moment déclencheur où se crée une communauté chrétienne, c’est peut-être pour nous rappeler ceci : la foi est suscitée en nous, lorsque nous avons la chance de vivre un spectacle vivant, lorsque nous avons la chance de rencontrer des personnes qui ne jouent pas un rôle, mais qui partagent authentiquement, parfois de manière un peu désorganisée, l’étincelle qui les animent. 

5. Si à Noël, nous fêtons la naissance du Christ; si à Pâques, nous fêtons la mort et la résurrection du Christ; que fêtons-nous à Pentecôte ?

Nous fêtons le fait que, quand la foi sommeillait ou était complètement éteinte en nous, nous avons été surpris dans nos occupations par un spectacle vivant. À Pentecôte, nous fêtons le fait d’avoir été piqué dans notre curiosité par un témoignage qui certes n’était pas parfait, mais qui était vrai. Un témoignage qui nous a placé de manière nouvelle face à des questions que nous pensions avoir enterrées une bonne fois pour toutes.

Chers catéchumènes, lorsque vous vous êtes exposé au vu et au su de nous tous pour partager les convictions qui vous animent, vous nous avez permis de vivre l’expérience source de Pentecôte !

Vous nous avez donné l’occasion d’être arrêtés par un spectacle vivant qui donne envie de renouer avec cette étincelle faisant surgir une joie lumineuse dans notre vie !

6. Ceci étant dit, faisons un pas de plus dans notre méditation, en précisant ceci : vivre Pentecôte aujourd’hui, c’est certes être piqué dans notre curiosité par le témoignage de personnes, mais c’est aussi et surtout être arrêté par celles et ceux qui osent affirmer que dans notre quotidien, oui, il y a des drames, il y a des guerres, il y a des urgences, il y a de la routine, mais il y a aussi, pour reprendre une expression du récit biblique de ce matin, quelque chose de grandiose qui se joue.

C’est Pentecôte aujourd’hui dans notre vie, à chaque fois que quelqu’un oriente notre attention sur le fait que quelque chose de grandiose se joue dans notre quotidien. D’habitude, quand nous rencontrons des personnes qui nous tiennent ce genre de discours, nous commençons par les écouter, parce que nous sommes polis. Mais aussi assez rapidement, nous avons envie de les arrêter en leur disant : mais n’êtes-vous pas un peu naïfs ? N’êtes-vous pas plein de vin doux ? Quand nous voyons notre actualité, ne faut-il pas être un peu illuminé pour oser dire qu’il s’y joue des choses grandioses ?

7. Je crois que nos tendances à couper ainsi la parole peuvent évoluer, si nous prenons le temps de préciser ce que nous entendons par « les oeuvres grandioses de Dieu ».

Pour ce faire, permettez-moi de partager avec vous une autre anecdote, cette fois que je n’ai pas vécue personnellement. Mais que j’ai découverte en lisant la biographie d’un sage de la spiritualité chrétienne orthodoxe, le staretz Silouane. Un moine russe qui a vécu à la fin du XIXe en Russie et dont la réputation de sagesse est aujourd’hui mondiale.

À quelle occasion ce sage a-t-il compris ce que pouvait être une oeuvre grandiose de Dieu ? Pour répondre à cette question, je partage avec vous l’épisode où Silouane raconte comment, dit-il, il a été enseigné par un homme de son village.

lob050622 3C’était un jour férié. Sur la place du village, un homme jouait de l’harmonica et dansait au vu et au su de tous comme cela se fait habituellement lors de ces temps festifs.

Silouane raconte combien il a été profondément choqué par cette manière de faire, car l’homme qui dansait, venait de sortir de prison après avoir purgé une longue peine. En effet, des années auparavant, sous le coup de l’ivresse, cet homme s’était battu avec un compère, sans trop que l’on se rappelle les circonstances exactes de la rixe. Il n’empêche celle-ci fut très violente puisque notre homme tua son compère. De longues années après, lorsque l’homme a fini de purger sa peine, et qu’il se met à jouer de l’harmonica et à danser comme cela se fait habituellement un jour férié, Silouane ne peut s’empêcher d’être choqué par un tel comportement. Avec humeur, il s’approche de lui pour lui faire des reproches : « mais comment pouvez-vous danser, alors que vous avez tué un homme ? Vous devriez avoir honte ! »

L’homme s’arrêta de jouer et lui répondit ceci : « quand j’étais en prison, j’ai beaucoup prié Dieu de me pardonner, et un jour j’ai compris qu’à ses yeux, mon péché et ma honte ont été lavés ; c’est pourquoi aujourd’hui, au lieu de vouloir être invisible, je reçois de lui la force de jouer de l’harmonica calmement. »

Et Silouane de dire que cette réponse avait provoqué un basculement qui l’avait emmené plus loin dans sa vie de foi. Il avait compris intimement quel genre d’oeuvre grandiose, Dieu pouvait accomplir dans une vie.

8. Qu’est-ce qu’il y a de grandiose dans cette histoire ? Cet homme qui joue de l’harmonica, c’est un fait notoire, est un criminel. Il a été jugé et condamné pour des actes graves. Des actes que dans une mémoire villageoise on n’oublie pas. Or voilà que cet homme après avoir purgé sa peine, ose s’exposer dans ce même village. Même avec les regards hostiles qui se posent sur lui, même avec la honte et la culpabilité qui doivent encore le tenailler, il ne s’interdit pas de jouer de la musique ; car il a senti qu’en dépit de tout ce qu’il avait fait, sa vie honteuse était portée par la grâce de Dieu.

Une grâce qui l’autorisait, malgré tout ce qu’il avait fait, de continuer de jouer calmement. Voilà l’oeuvre grandiose de Dieu : recevoir de plus loin que nous-mêmes ce calme qui nous permet, malgré nos erreurs, nos fautes et nos échecs, d’oser vivre calmement, d’oser faire un pas de danse calmement.

Ce faisant, cet homme témoigne peut-être maladroitement, sûrement de manière choquante pour certain, que dans sa vie, il y a quelque chose de grandiose qui le porte ! Une dynamique plus forte que la honte, une dynamique capable d’absorber l’hostilité pour offrir à son interlocuteur hostile un témoignage qui remet en question.

9. Cette même dynamique, je la retrouve dans le récit biblique de Pentecôte. Après tout ce qu’ils ont fait et surtout ce qu’ils n’ont pas fait pendant l’arrestation, le procès et la crucifixion de Jésus, les disciples auraient dû avoir la honte de leur vie et se terrer jusqu’à la fin de leur jour.

Pendant l’arrestation et le procès de Jésus, ils n’ont pas brillé par leur courage. Pendant la crucifixion, ils se sont tenus à distance, voir même qu’ils ont carrément fui. Bref ces disciples ont toutes les raisons du monde de ne pas être fiers de leurs actes et d’être tenaillés par la peur et les remords.

Or au lieu de cela, voilà qu’ils osent au vu et au su de tous prendre la parole. Qu’est-ce que cela traduit de grandiose ? Je crois que cela traduit l’expérience de la grâce.

Si ces disciples faillibles osent ainsi s’exprimer, c’est parce qu’ils ont intimement compris ce qu’était la grâce de Dieu. De plus loin que d’eux-mêmes, ils ont reçu une parole qui les invitaient à renouer avec la vie, au lieu de passer le restant de leur jour à se morfondre dans les regrets et les remords.

Et si leurs propos retiennent l’attention, c’est parce que ces propos ne sonnent pas faux. Les disciples ne balayent pas d’un revers de main leur manquement en affirmant « ce n’est pas grave ». Non, quand ils se mettent à parler, ils le font avec un calme dont leurs interlocuteurs perçoivent qu’il vient de loin. C’est le calme de celles et ceux qui n’évacuent pas la honte, la culpabilité, mais qui les ont affronté lucidement et qui les ont traversé. C’est le calme de celles et ceux qui ont expérimenté intimement la grâce.

10. Si un jour, il t’arrive de commettre un acte pour lequel tu éprouves une profonde honte, puisses-tu vivre une Pentecôte ! Puisses-tu être arrêté par un spectacle vivant qui te rappelle les oeuvres grandioses de la grâce !

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 5 juin 2022 au temple de la rue de Maguelone à Montpellier
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