Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La détresse, l'angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le péril, ou l'épée ? Ainsi qu'il est écrit : A cause de toi, on nous met à mort constamment. On nous considère comme des moutons qu'on égorge. Mais dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. Car je suis persuadé que ni mort, ni vie, ni anges, ni principats, ni présent, ni avenir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre création ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ, notre Seigneur.

Romains 8, 35-39 (traduction LSG) 

lob 041222 11. « J’en suis persuadé : ni mort, ni vie, ni puissance, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune création ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ notre Seigner. » Par le souffle qui se dégage de cette phrase, nous réalisons que l’apôtre Paul ne nous livre pas ici une opinion, un avis, une réflexion passagère.

Non, là, il nous livre une intime conviction qui l’anime dans son quotidien. Une certitude à laquelle il revient pour retrouver un appui lorsque le brouillard est là et que les vicissitudes de l’existence le malmène.

Oui, au moment où le brouillard est là et qu’il nous enserre, souvent les opinions que nous avons se révèlent ne pas être suffisantes pour nous donner courage et inspiration. Certes, la lumière apportée par une opinion peut nous éclairer et nous aider à avancer quelque peu. Cependant, parce que nous l’avons pas suffisamment intériorisée et vérifiée, l’opinion peut aussi ressembler à la flamme d’une bougie qui éclaire, qui réchauffe, mais qui, lorsque la bourrasque survient, est soufflée et s’éteint.

Au moment où les vicissitudes sont là, quand nous sommes soit malmenés par des circonstances extérieures ou bien par un tumulte intérieur, nous avons besoin de prendre appuis pour retrouver notre équilibre, non pas sur le sol mouvant des opinions ou bien le sol friable des avis, mais nous avons besoin de prendre appuis sur le sol ferme et résistant d’une intime conviction, d’une certitude.

Dans sa lettre à la communauté de Rome, l’apôtre Paul, quand il dit : « je suis persuadé », il nous partage cela : l’intime conviction à laquelle il revient quand il est ébranlé ; la certitude qui est en lui comme une braise incandescente sur laquelle il suffit de souffler un peu pour que le feu redémarre.

2. Mais au fait, comment en arrivons-nous à avoir en nous, une intime conviction ? Je crois que cela commence lorsque nous faisons l’expérience de quelque chose :

Sans que je l’ai demandé, un phénomène se présente à moi. Cela peut être un objet, une personne, une situation. Face à ce phénomène, je commence donc par chercher à comprendre ce qui se passe ; je cherche à bien apprécier ce que cela peut être.

Lorsque la représentation que je me forge correspond à la réalité du phénomène, alors là je tiens quelque chose de fiable sur lequel je peux m’appuyer pour continuer mon exploration de la réalité.

Si au contact de la réalité, lorsque je teste, je réalise que ce que j’avais compris n’était pas adéquat, alors me voilà poussé à revoir mon jugement, jusqu’à ce que ce dernier devienne plus adapté à ce qui se trouve en face de moi.

Lorsque mon jugement est adéquat, alors, je ne me repose plus sur une opinion pas vérifiée, ni sur une fantaisie sortie tout droit de mon imaginaire, mais je me repose sur quelque chose de fiable qui me permet de continuer mon exploration de la réalité.
Je me repose donc sur  une certitude.

3. Plus nous avançons en âge, plus nous réalisons que si nous pouvons avoir des opinions sur beaucoup de sujets, force nous est de constater que des certitudes, nous n’en avons que très peu.  Car pour arriver à nous forger une certitude, il nous faut du temps.

Dans notre langage courant, nous disons souvent que nous avons une opinion. Par contre, nous disons que nous nous forgeons une intime conviction. Le verbe forger fait référence à ce travail d’artisan où la matière de base, une barre de fer par exemple, est travaillée avec vigueur pour l’assouplir sans la briser, et pour aussi lui donner une forme qui par la suite pourra servir de charpente à un bâtiment.

Forger une certitude, c’est engageant. Cela demande du temps.

Le temps d’expérimenter, d’être rencontré, d’être questionné. Puis face à ce que nous avons rencontré, le temps de soi-même se mettre en route, de questionner à notre tour, de chercher, lire, écouter, comprendre, réfléchir, méditer, prier, recevoir, ajuster, remettre en question, réfléchir à nouveau, tester, vérifier, améliorer, partager.

Nous ne pouvons être certain de quelque chose que rétrospectivement. C’est parce que nous avons éprouvé à maintes reprises notre certitude que nous en sommes convaincus. C’est parce que nous l’avons vérifiée en de multiples occasions que nous osons en revenir à elle dans la tempête, car nous savons qu’elle est un repère fiable au moment où tout le reste tangue.

C’est pourquoi quand une personne nous partage une de ses certitudes, elle ne nous délivre pas un avis superficiel et passager. Elle partage avec nous une conviction qui s’est forgée au  fil de toute une histoire.

lob 041222 24.  Jusqu’à maintenant, je vous ai parlé des intimes convictions que nous nous forgeons en faisant des expériences tangibles. Or l’apôtre Paul quand il nous livre sa certitude, il ne partage pas avec nous des certitudes concernant des personnes concrètes, ou bien concernant des objets palpables. Non, il nous parle de Dieu.

En substance, il nous dit : je suis persuadé que rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu. Or l’amour de Dieu, même si cela évoque plein de choses lumineuses et agréables, ce n’est pas quelque chose de concret et palpable. Dès lors comment peut-il affirmer qu’il est certain de quelque chose aussi abstrait ?

5. De là où j’en suis arrivé dans ma compréhension de l’évangile, je dirai ceci. La certitude que l’apôtre nous livre ici est aussi le fruit de tout une histoire particulière, faite d’expériences singulières.

Cette certitude que rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu repose sur d’autres certitudes qui l’ont préparée et rendue possible. Je m’explique : quand l’apôtre Paul parle de Dieu, il parle de quelqu’un qui est le Créateur de ce monde.

Quand il affirme cela, Paul affirme que ce monde n’est pas un absolu qui a toujours existé et qui existera toujours. Non, ce monde aurait pu très bien ne pas être. Si ce monde existe, c’est parce que à un moment donné, un événement a fait qu’il existe. En explorant ce monde, en admirant comment il est organisé, Paul en est venu à la conviction intime que tout cela n’a pas été mis en place par hasard.

Non, à la manière dont tout cohabite et rend possible la vie, et la vie humaine consciente, Paul en est venu à la certitude que ce monde a été créé. Et créé non pas par une destinée aveugle, mais par un Créateur qui est une présence personnelle.

Quand Paul parle de Dieu, il parle donc de ce Créateur qui n’est pas un ordinateur calculateur froid, mais qui est une présence personnelle qui parle à l’humain pour éveiller sa conscience et sa sensibilité et  tisser une  relation de personne à personne  avec lui.

Car le but du Créateur en créant la personne humaine perdue au milieu d’une toute petite planète elle-même perdue au milieu de l’univers est là justement : tisser une relation de personne à personne avec cette créature humaine capable de rire, de pleurer, d’aimer, de réfléchir, d’agir, de choisir.

lob 041222 36. Mais alors me direz-vous : si le Créateur nous fait advenir à l’existence, s’il nous fait goûter à la vie personnelle, consciente, pourquoi la mort ? Pourquoi nous appelle-t-il à la vie, si vivre, c’est endurer des épreuves, si vivre, c’est la galère, voir même pour certain l’enfer ? Pourquoi nous appelle-t-il à la vie, si l’existence devient un combat de tous les instants pour survivre ? Pourquoi vivre, si vivre un jour ou l’autre, c’est devoir mourir ??

Je crois que Paul s’est aussi posé toutes ces questions. Ces questions l’ont ébranlé, bousculé, tourmenté.  Quand il écrit : « J’en suis persuadé : ni mort, ni vie, », je crois qu’il lève un peu le voile sur les expériences éprouvantes qu’il a dû traverser dans son existence. A plusieurs reprises, il a frôlé la mort, il a affronté des tempêtes, des naufrages, des lapidations, des séjours dans des cachots aussi infâmes que mal odorant. Cependant, en écrivant comme il le fait, Paul livre aussi une autre expérience. Parmi tout ce qu’il a vécu, il a aussi fait l’expérience de l’évangile. Qu’est-ce que cela signifie faire l’expérience de l’évangile ?

En observant la vie de Jésus de Nazareth, en cherchant à comprendre ce que ce Jésus a dit et vécu jusqu’au bout, Paul en a retiré la certitude suivante : en allant à la rencontre de tous, en ne se dérobant pas à la relation, mais en allant rejoindre chacun là où il en est, qu’il soit lépreux, marginal, puissant, séducteur et j’en passe, en allant à la rencontre de tous, Jésus a plongé sans rien s’éviter dans la réalité rude, brute et parfois violente. Par là, il a incarné non pas de manière artificielle et superficielle, mais de manière authentique et concrète combien Dieu cherche à rencontrer chacun pour établir une relation de personne à personne avec lui.

Par la manière dont Jésus a enduré l’épreuve infamante et horrible de la crucifixion, Paul a compris une chose, mais il l’a comprise de manière intime et profonde : Dieu n’évite aucun endroit, aucune difficulté, Dieu ne s’épargne rien afin que nous soyons certains qu’il désire entrer en relation avec nous.

Dès lors, Paul retire de sa méditation de l’évangile l’intime conviction suivante : le ciel bleu peut s’effondrer, et la terre peut s’écrouler, les épreuves ont beau déferler, les puissants ont beau manigancer, les ouragans ont beau rugir, la mort a beau sévir, rien n’est capable de nous soustraire à l’amour de Dieu. Bien sûr, que ce soit les puissances des hauteurs ou bien celles des profondeurs, que ce soit la mort, l’épreuve, toutes ont un pouvoir de nuisance certain sur notre existence. Toute peuvent nous empoisonner la vie.

Cependant aucune de ces puissances n’a un pouvoir absolu.
Aucune n’a le pouvoir de briser le lien avec notre Créateur. Ce lien qui nous alimente, nous porte et nous fait vivre.
Car le seul absolu qui ne sera jamais dépassé, c’est le pouvoir de Dieu de se relier à nous alors même que nous ne pouvons plus rien.

7. Paul nous livre sa certitude. À nous à présent, de la reprendre dans notre forge intérieure. En la retravaillant, puisse-t-elle alimenter nos propres braises. Et que brille en nous une espérance indomptable !

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 4 décembre 2022 à Maurin.
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