Texte biblique

Evangile de Jean, 20, 1-18.

On aimerait bien parfois pouvoir passer de la tristesse à la joie en un claquement de doigts.

Alors que nous nous sentons envahis par les flots de la désolation, nous aimerions bien pouvoir rapidement nous ressaisir et  tourner la page.

Or ce n’est pas si simple !

Souvent nous déployons beaucoup d’énergie pour réagir, nous raisonnons, ruminons, bref nous nous démenons comme des beaux diables sans que cela nous fasse sortir complètement de l’ornière.

Et l’impression qui domine est que plus nous nous précipitons, plus nous stagnons.

Dans l’évangile, ce qui me surprend, c’est qu’au moment de raconter comment les disciples  à la résurrection sont passés de la tristesse à la joie, loin d’accélérer le rythme, ici le récit  le ralentit.  Aucune hâte, aucune précipitation ne se fait sentir.

L’évangile nous a habitué à des récits où les aveugles retrouvent la vue en un clin d’œil, où les lépreux sont guéris instantanément, où les paralysés se lèvent d’un coup. En 4-5 lignes, tout est dit et, pressé, comme haletant, on passe à autre chose.

Or voilà qu’il n’en va pas de même lorsqu’on aborde les récits de résurrection. Ce n’était qu’une journée dans la vie des disciples, mais au vu de la trace qu’elle a laissée, on a l’impression qu’elle a duré mille ans ! Ici, que de détails, que de précisions !

En lisant, on perçoit bien que le narrateur  n’est pas pressé de passer à autre chose.  Il semble avoir tout le temps !

Comme s’il voulait nous dire que le retournement qui s’est vécu là n’a pas été un coup de tonnerre dans un ciel bleu, mais qu’il est le fruit de tout un délicat processus.

S’il ralentit, c’est pour nous permettre de bien observer ce mouvement, tous les enchaînements d’un tel processus.  

Je vous propose maintenant d’entrer dans un de ces récits afin d’observer ce qui a aidé Marie-Madeleine à passer de la tristesse à la joie ? D’observer comment les anges et Jésus s’y sont pris avec elle pour lui permettre de vivre un tel retournement ?

Lire Jean 20,1-18

Tout d’abord, il me semble important de noter que la nouvelle de la résurrection rejoint Marie-Madeleine non pour la réconforter, mais pour la troubler encore plus.

Elle venait de bon matin au tombeau pour pouvoir accomplir certains gestes lui permettant de vivre son deuil. Le fait qu’elle se lève de bon matin, montre son désir de ne pas rester hagard et immobilisée dans la tristesse. Elle agit, elle s’accroche à ce qui lui reste : un corps inerte dont elle veut prendre soin.

Elle venait accomplir d’ultimes devoirs, or elle en est empêchée. La résurrection commence pour elle  par être un obstacle venant empêcher sa logique de se déployer calmement.

Ce tombeau vide qui ne fait qu’accroître son trouble, n’est-il pas là pour nous rappeler que la consolation n’est pas dans le prolongement de ce que nous projetons comme solution lorsque nous sommes dans la détresse ?

La consolation vient parfois par un autre chemin que celui que nous imaginions ; et  cette rupture peut être profondément déstabilisante.

Jusqu’à ce moment-là, Marie-Madeleine avait tenu. Malgré la cohue et les rugissements ricanant de la foule, courageusement, elle avait accompagné le Christ  jusqu’au pied de la croix. Dès qu’elle avait pu, seule, bravant les regards obliques des passants (« comment peut-elle prend soin de ce condamné à mort ? »), elle était venue au tombeau.

Malgré les circonstances difficiles et les vents contraire, elle est restée fidèle, a  tenu, tenu, tenu.

Or là, c’en est trop ; elle craque ! Devant le tombeau vide, Marie-Madeleine fait quelque chose qu’elle n’a encore pas fait jusqu’à maintenant, même lorsqu’elle était  au pied de la croix :  elle pleure.

Etonnant ce récit qui nous dit que la nouvelle de la résurrection lorsqu’elle la rejoint, commence non par la rassurer, mais  par la faire craquer et pleurer.

Enfin, elle  n’a plus à retenir sa douleur. La source des larmes n’est plus obstruée. Elle peut laisser couler son chagrin.

Et le récit continue par nous raconter la rencontre que fait Marie-Madeleine avec 2 anges.

D’habitude, lorsqu’ils sont en présence d’anges, la Bible nous décrit les humains comme surpris et craintifs. Ici, il n’en est rien. Marie est tellement envahie par sa détresse que rien ne semble la surprendre. Elle parle à ces anges comme à des passants familiers, trop heureuse d’avoir des vis-à-vis avec qui échanger.

Les anges de leur côté semblent ne pas faire leur travail. Au lieu d’annoncer ce pour quoi ils ont été envoyés, au lieu de délivrer un message, nous les voyons simplement poser une question et écouter.

Les anges ici ne cherchent pas à consoler Marie-Madeleine en lui fournissant des explications, une rationalisation de ce qu’elle est en train de vivre.

Non, ils se montrent bienveillants et ouverts lui laissant tout l’espace pour exprimer sa détresse.

« Femme, pourquoi pleures-tu ? »

Leur question est importante parce qu’elle permet à Marie de bouger intérieurement.

Lorsqu’elle avait partagé aux autres disciples la découverte du tombeau vide, elle avait dit : « On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis. » Propos vague et général.

Or là, en répondant à la question des anges, Marie dit : « Parce qu’on a enlevé mon Seigneur  et je ne sais pas où on l’a mis. »

Elle est passée du « nous » au « Je ». La question bienveillante des anges lui a permis de sortir des généralités pour préciser ce qui la touche.

D’avoir pu ainsi personnaliser son chagrin la rend moins crispée. Le récit nous dit qu’à ce moment-là, elle se retourne. Verbe signifiant dans le langage biblique le changement de direction, la conversion.  Alors qu’elle est obnubilée par ce corps qu’elle ne retrouve plus, alors qu’elle est focalisée sur sa tristesse, voilà que la rencontre avec ces vis-à-vis lui permet de dire en quoi la disparition de ce corps la touchait elle personnellement. Du coup, elle se décrispe et  devient capable de se retourner pour s’ouvrir à autre chose.

La conversation avec Jésus débout qu’elle ne reconnaît pas prolonge ce processus. Le Christ lui aussi ne s’impose pas à elle par un catéchisme enseignant ce qu’est la résurrection.

Non, comme les anges, Il la rejoint en lui posant des questions ouvertes.

« Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? »

Et l’évolution amorcée avec les anges se poursuit. Cette fois le « on a enlevé » devient à son tour plus précis et personnel : «  si c’est toi …»

C’est au moment où Marie a pu exprimer le plus précisément possible le sens de sa quête, qu’elle va vivre un second retournement qui va l’ouvrir encore plus à la nouveauté qui advient à elle, un second retournement qui  la rend capable d’accueillir le sens profond de la résurrection.

En  ce sens les anges, Jésus se révèlent vraiment être des jardiniers qui retournent, bêchent, préparent la terre intérieure de Marie-Madeleine afin qu’en faire une terre meuble  capable d’accueillir la nouveauté,  une terre fertile permettant à toutes les graines de résurrection de germer.

Une fois que la terre est préparée, grâce aux questions ouvertes, il n’y a pas besoin de se fendre en de long discours. Une parole suffit – « Marie » - pour que tout soit dit.

Parfois nous nous décourageons en n’arrivant pas à comprendre comment faire revenir la joie. Nous trouvons que tout cela est bien compliqué. Eh bien, ce récit nous dit : fais confiance, ose partager les élans de ta tristesse lorsque des oreilles attentives t’invitent à le faire ; fais confiance, il suffit d’un mot, d’un détail pour que ta vie soit  retournée !

Et le récit continue en nous montrant un Jésus qui dit: « Cesse de t’accrocher à moi, car je ne suis pas encore monté vers le Père. »

Souvent cette phrase nous dérange, car nous la trouvons rude. A nouveau Marie est gênée dans son élan. Elle qui vient de comprendre ne peut pas aller jusqu’au bout de sa joie.  Cette parole comme un frein vient l’empêcher de savourer les retrouvailles.

Pourtant, je ne crois pas qu’il y a du rejet ou du dédain dans ces propos.

Simplement, nous retrouvons là la même invitation que celle qui résonne depuis le début du récit. Le tombeau vide disait : ne t’accroche pas à ce corps ; maintenant, c’est : ne t’accroche pas à ce que tu as compris de la résurrection. Laisse cette découverte respirer, ne l’enferme pas dans un jugement, car le processus n’est pas terminé.

Jésus qui lui parle de couché est maintenant debout. Mais cette relevée n’est pas à son terme. Ce mouvement ascendant doit se prolonger. Jésus doit encore monter vers son Père. 

Alors n’interromps pas ce grand mouvement en cours, ne le retiens pas, ne le fais pas entrer dans ce que tu en perçois,  ne mets pas la main sur lui, mais plutôt ouvre-toi à lui, laisse le te porter, te traverser de bout en bout pour faire de toi un être transfiguré.

Ceci étant dit, Jésus n’invite pas Marie à rester béate et passive. Il l’invite à aller vers ses frères.  S’il  n’y a pas à empêcher la poussée verticale, il y a une exhortation à agir au niveau horizontal.  Cette rencontre avec les frères est peut-être ce qui permet de tenir, de rester  dans l’ouverture vis à vis  à la poussée verticale.

C’est là je crois le sens de l’église : entre frère et soeurs s’encourager mutuellement afin de rester ouvert vis à vis de ce mouvement ascendant, afin de ne pas le retenir mais le laisser nous traverser de bout en bout.  

Ainsi soutenus par des questions ouvertes et bienveillantes  de la part des frères et des sœurs, sûr qu’au temps voulu, il nous sera donné d’entrer et de se laisser porter par ce grand courant. Un courant qui, en nous faisant traverser nos désolations  nous fait découvrir la joie rayonnante de Pâques.

Luc-Olivier BossetAvril 2012