Texte biblique

Qohelet (L'ecclesiaste) 12, 1- 12

 

 

Qohelet a quelque chose de fascinant car il ne mâche pas ses mots . Il ne cache pas que pour lui le temps de la vieillesse est venu. Pour lui qui sait qu’il y a un temps pour chaque chose , pour lui qui a tant vécu , observé , accumulé d’expériences bonnes et moins bonnes , eh bien ,le temps est venu de prendre en compte la réalité concrète sans l’enjoliver : le corps à corps avec le vieillissement du corps n’a rien en soi de riant , de réjouissant . Il en fait le constat , sans fard . Je l’entends dire que c’est la perte de plaisir qui est première «  quand tu diras je n’y ai aucun plaisir » , autrement dit «  je n’ai plus envie de rien »  . Le plaisir s’origine dans le corps , et sa perte dans les défaillances , les dérobades du corps : rien ne nous est épargné , nous dit-il ,dans une terrible énumération de ses atteintes possibles , et là je prends appui sur les traductions du Pasteur Alphonse Maillot , les bras qui tremblent ( « le jour où tremblent les gardiens de la maison ») , les jambes qui flageollent ( « où flageollent les gendarmes » ) , où s’arrêtent les molaires (« les meules ») car elles sont rares , « où s’enténèbrent les voyantes aux volets » : la vue baisse et les paupières se ferment , les orifices que sont les oreilles et les lèvres se ferment (« les deux battants se ferment sur la rue ») , les cordes vocales (« les chanteuses ») s’enrouent …. Viennent aussi le pied mal assuré , la perte d’équilibre , l’essoufflement ..  « on a peur des côtes , aller à pied terrorise (ou fait haleter) ». L’amandier qui blanchit peut être le vieillard , que sa floraison nargue , empêche de dormir : allusions probables au réveil du désir sexuel et à l’ impuissance avec « la sauterelle s’alourdit et le fruit du câprier éclate » .

J’admire chez Qohelet sa faculté de nommer toutes ces pertes angoissantes, sans faire d’impasse et en même temps de les évoquer , d’en voiler la crudité dans une poésie imagée tellement riche - dont une seule traduction est loin d’épuiser le sens ! . A moi qui ai peut-être son âge , ou qui m’en approche , c’est un premier cadeau qu’il me fait .

Mais j’entends bien que c’est à la jeunesse , à un jeune homme que Qohelet s’adresse et c’est ça aussi qui me touche : Qohelet , un « usager de la vieillesse » , en connaisseur de la vie , la vie dont le seul but est la mort, après quoi il ne reste plus rien de l’homme , a un vrai souci de transmission . Il ose , il dit haut et clair les ambitions qui l’ont mu et ses échecs , la dureté de la vie, l’injustice criante , l’arbitraire , l’extrême contingence de toute chose , il ne craint pas de se contredire , peut-être témoigne-t-il d’un moment dépressif, tout roi et sage qu’il est . Et si cela était , comme il a raison d’en faire part , de parler vrai… de ses déceptions, de ses désillusions, avec lucidité et humilité : tout ce à quoi il a cru , il n’y croit plus , connaissance et douleur vont de paire, tout n’est que vent , courant d’air , éminemment contestable et surtout fragile , une seule affirmation demeure, le Dieu auquel il croit et dont il est la créature . Il a encore quelque chose de fort à dire , il ne se muselle pas , il ne renonce pas , au prétexte qu’il est vieux et n’a pas de jours heureux à faire miroiter , encore moins l’éternité de l’au-delà.

Et Qohelet s’adresse au jeune homme sans aucun doute parce qu’il n’a pas oublié qu’il l’a été , jeune homme . C’est comme s’il lui disait :«  Que tout ce que je sais ne t’empêche pas de vivre . Au contraire , profites-en ! J’ai changé, je change , les temps qui s’annoncent sont difficiles , et toi , ne perds pas de temps » . Qohelet exprime des regrets , sait qu‘il n’est pas sage de se demander : « comment se fait-il que les jours d’antan aient été meilleurs que ceux-ci ? » . Mais la jeunesse est encore suffisamment présente en lui pour qu’il se souvienne des plaisirs qui donnent du goût à la vie . Loin de dénigrer la jeunesse , loin de la jalouser chez l’autre plus jeune, il en recommande les bienfaits : « va , mange avec joie ton pain ,bois de bon cœur ton vin , car Dieu a aimés tes actions . En tout temps habille-toi de blanc , que le parfum ne manque jamais sur ta tête . Profite de la vie avec la femme que tu aimes , tous les jours de ta vie fragile , ceux que Dieu t’a donnés sous le soleil  . Oui, tous ces jours fragiles , c’est cela ta part dans la vie et dans la peine que tu endures sous le soleil…tout ce que ta main trouve à faire quand tu en as encore la force , fais-le… »(9 ,v.7-10)

Ce que Didier et isabelle Fievet commentent ainsi : « accueillir la vie , non pas malgré ce qu’elle a d’éphémère , mais dans ce qu’elle a d’éphémère . C’est dans les épousailles de l’éphémère que se tient notre espérance . Accueillir la vie dans sa gratuité , se tenir dans la fumée vaporeuse du temps , accueillir l’existence pour ce qu’elle est , sans haine ni rancœur , sans stoïcisme non plus… »

Qohelet ne joue pas au jeune , il prend en compte ses limites et encourage le jeune à être présent à son temps, ni trop sage ni trop fou . Un temps pour chaque chose , un temps pour chaque génération . A la jeunesse le temps de construire , de s’étreindre , de se réjouir , le temps de la découverte passionnée et de la vigueur ? à lui le temps de la décrépitude et du bilan douloureux ? il nous le laisse entendre : « à beaucoup de sagesse , beaucoup de tristesse ; qui augmente sa science augmente sa douleur » (1 v18) .( Pas d’ordre immuable pourtant dans l’alternance des temps : un temps pour enfanter , un temps pour mourir…un temps pour tuer , un temps pour guérir, …un temps pour démolir , un temps pour construire …un temps pour aimer , un temps pour haïr… ch. 3) . Mise en garde donc mais surtout encouragement et conviction que ses paroles de sagesse accompagneront , soutiendront et aiguillonneront les générations futures .

Qohelet n’a rien d’un surhomme . il ne cherche même pas à faire bonne figure . Il est engagé dans un travail du vieillir qui nécessite de rester soi-même malgré les changements importants , physiques et psychiques , de l’âge . Dans ce constat de fragilité , à laquelle il n’échappe pas , il y a comme un aveu . Il nous fait sentir comme c’est difficile pour lui et paradoxal . Il lui arrive de se représenter la mort comme meilleure que la vie , car elle seule le soulagerait de son angoisse . Il ne cache pas non plus que la vie avec son lot d’épreuves s’est chargée de le faire changer , a rogné ses idéaux , l’ a obligé à reconsidérer toute chose : quel beau témoignage de vie psychique et quelle précieuse création que la rédaction de ce texte !. Ce que je nomme aujourd’hui «  rester soi-même , le même en devenant un autre » , Qohelet le dit à sa manière : n’ oublie pas ton Créateur , « souviens-toi de ton Créateur aux jours de ton adolescence «  ou : « pense à ton Créateur pendant que tu es beau gars » , c’est cette souvenance qui te donnera un colonne vertébrale , qui t’aidera à traverser et à tenir ensemble les temps opposés , paradoxaux de la vie. .

Aujourd’hui aussi , nous savons que la vie n’est pas un long fleuve tranquille, et que vivre , vieillir ne vont pas sans bien des remises en question . Ce questionnement toujours à l’œuvre , la transformation voire la modification radicale, le rejet possible de certaines représentations et croyances dont nous avons hérité sans pouvoir les faire nôtres ont du bon : ils sont autant de signes de notre vie psychique et nous contraignent à créer du neuf .

Aujourd’hui aussi nous savons que nous avons plus de chance de nous y retrouver , de nous retrouver si nous ne nous coupons pas de notre propre enfance , de notre propre adolescence . En les revisitant ,nous pouvons y retrouver la sève de nos premiers émois heureux et douloureux , de notre curiosité , de notre besoin d’échanges affectifs , de nos capacités destructrices et créatrices. Un matin recommence , du nouveau peut resurgir. Il n’est jamais trop tard pour apprendre à se donner du temps , à aimer , à s’aimer . Vieillir, une découverte ?

Aujourd’hui , c’est à mon tour de dire , avec mes représentations et mes mots à moi , ma façon d’être au monde et dans la communauté des croyants qui m’est donnée ou que j’ai choisie , adossée que je suis à une Présence et à une Parole qui rend compte de l’humain dans toute sa fragilité .

 

Culte de l’Aumônerie des Hopitaux et Cliniques de Montpellier (18/03/12) à JACOU

Prédication de Christiane Schloesing , à partir de l’Ecclésiaste 12 (1-12) TOB et aussi traduction du Pasteur Alphonse Maillot . QOHELET , le rassembleur et le contestataire . (dans le cadre de notre Formation Régionale sur le VIEILLIR)