C'est pourquoi moi aussi, ayant entendu parler de votre foi dans le Seigneur Jésus et de votre amour pour tous les saints, je ne cesse de rendre grâce pour vous : je fais mention de vous dans mes prières, afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père glorieux, vous donne un esprit de sagesse et de révélation qui vous le fasse connaître ; qu'il illumine les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle est l'espérance qui s'attache à son appel, quelle est la glorieuse richesse de son héritage au milieu des saints, et quelle est la grandeur surabondante de sa puissance envers nous qui croyons, selon l'opération souveraine de sa force.

Ephésiens 1,15-19  (traduction NBS) 

Cadre: Jacou 12 mars 2023 Journée sur les violences sexistes et sexuelles. Le 3 mars 2023, les femmes de Taïwan invitent à la prière à travers le monde sous forme de la JMP. Elles s'appuient sur le texte d'Éphésiens 1,15-19 sous le mot d'ordre « Votre foi m'interpelle !» 

Chères sœurs, chers frères en celui qui nous appelle ensemble, le Christ Jésus.

Le texte proposé pour notre prédication aujourd'hui, en lien avec la thématique des violences faites aux femmes, est celui de la JMP (Journée mondiale de prière proposé par les femmes d'un pays chaque année). Nous le trouvons dans l'Epitre aux Ephésiens 1,15-19 // Col 1,9-35.

Je vous le lis, dans la version NFC

Voilà pourquoi, maintenant que j'ai entendu parler de votre foi dans le Seigneur Jésus et de votre amour pour tous les croyants, je ne cesse pas de remercier Dieu à votre sujet. Je pense à vous dans mes prières et je demande au Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, au Père à qui appartient la gloire, de vous donner l'Esprit de sagesse qui vous le révélera et qui vous le fera vraiment connaître. Qu'il ouvre vos yeux à sa lumière, afin que vous compreniez à quelle espérance il vous a appelés. Vous comprendrez quelle est la richesse et la splendeur de l'héritage destiné à ceux qui lui appartiennent, et quelle est la puissance extraordinaire dont il dispose pour nous les croyants. Cette puissance est celle-là même que Dieu a manifestée avec tant de force

De quoi s'agit-il ? Probablement d'une lettre circulaire écrite par le leader charismatique et conseiller spirituel, que nous connaissons sous le nom d'apôtre Paul. Le ton est assez formel et il n'y a aucune allusion à un passé commun, pas de salutations personnelles, alors que Paul connaissait très bien cette communauté d'Ephèse dont il a été le fondateur [1].

Il est question de foi. Plus précisément, l'apôtre écrit :  j'ai entendu parler de votre foi.

Il utilise quasi la même formulation pour s'adresser à d'autres communautés et personnes[2]. Aussi l'on peut comprendre qu'il s'agit pour lui d'une porte d'entrée qui lui permet de déployer ses convictions théologiques, ce qu'il a compris de Dieu et qu'il lui tient énormément à cœur de partager.

Il le fait sous forme d'une intercession. L'intercession est une forme de prière de nature généreuse : on ne demande pas pour soi. On inclut dans son champs des personnes et des situations pour les porter à un haut niveau de solidarité : devant Dieu.  Ce geste a quelque chose d'universel. De dire à quelqu'un : je prie pour toi, lorsque cela n'est pas une formule pieuse creuse, cela touche, créé du lien. C'est aussi une belle façon de dire à quelqu'un : je pense à toi, je me sens concerné·e par toi, tu comptes pour moi.

culte 120323 2Si l'intercession est une pratique évidente dans le contexte d'un culte, d'une communion de foi, il m'est arrivée aussi, que des personnes complètement étrangères à l'Eglise me demandent de prier pour elles. Leur confiance m'a touchée. Elle m'a aussi engagée, dans le sens où elles sont entrées ainsi dans mon univers mental, leur cause est devenue mienne, pour un certain temps au moins. C'est en cela, que la confiance engage.

C'est quoi cette foi dont parle l'apôtre?

La foi, pistis en grec, est très souvent comprise comme un coffre-fort, une assurance vie, qu'on a ou qu'on n'a pas dans sa maison. Dans ce safe nommé Crédo, "je crois", en latin, il y a un contenu tenu pour sacré: des images, des concepts, des certitudes. Le ciel, le Dieu tout puissant, la vierge Marie, les enfers, la résurrection de la chair, la morale…C'est un meuble de famille : celles et ceux qui ont le même type de mobilier s'identifient comme étant coreligionnaires, membres d'une même Eglise, parfois comme étant l'Eglise même, puisqu'ils se comprennent comme seuls dépositaires légitimes. 

Sauf qu'il arrive, que tout en ayant le coffre-fort à demeure, peut-être au détours d'une situation troublante, d'une rencontre en vérité, l'on se demande : "est-ce que j'ai vraiment la foi?" Ou que l'on s'avoue : " J'ai perdu la foi: Je ne me reconnais plus vraiment dans tout ça…", ce qui montre bien qu'il y a un souci avec cette vision des choses. Pour Paul, il ne s'agit clairement pas de cela : il décrit la foi comme un attachement particulier : à Jésus Christ et aux autres désignés par ceux que l'on aime. C'est là une conception dynamique de la foi qui n'a pas grand-chose à voir avec des contenus garantis et estampillés orthodoxes qu'il conviendrait de garder précieusement et surtout exclusivement.

Pour éviter toute confusion, le théologien Daniel Marguerat propose de traduire plus justement le verbe "croire" par "avoir confiance".[3]

Ceci colle parfaitement avec les récits Evangéliques. Il est en effet remarquable, que c'est généralement à des personnes hors judaïsme, donc païennes, que Jésus dit, après les avoir guéries: "va, ta foi t'a sauvée". Elles n'avaient pas la "bonne" croyance, ces personnes-là. Et pourtant, ce sont elles que Jésus à distinguées, honorées.

Il y avait en particulier des femmes, à l'existence limitée par le système patriarcal, peu autonomes, dédiées pour l'essentiel à la procréation et à l'espace domestique. Je pense à cette femme souffrant de pertes de sang depuis 12 ans, exploitée par des médecins peu scrupuleux, exclue pour impureté de la vie religieuse, qui a osé toucher le maître [4]. A cette étrangère d'origine Syro-Phénicienne[5], pas très fréquentable, qui a crié après Jésus jusqu'à ce qu'il lui accorde pleinement son attention. Ou encore, cette femme réduite par les intertitres de nos traductions bibliques à être "la femme pécheresse". Elle s'était approchée de Jésus, lui avait versé du parfum sur les pieds mouillés de ses larmes et essuyées de ses cheveux[6]. Quant à la femme, identifiée dans nos traditions comme "la femme adultère": pour elle, Jésus a écrit un autre destin dans le sable en interpellant à conscience les hommes qui s'apprêtaient à la lapider[7].

Et il y a eu ces première croyantes, qui ont reconnu en Jésus l'envoyé de Dieu, le Messie: la Samaritaine, Marie, Marie de Magdala, Marthe, celle dont on dit qu'elle n'a rien compris puisqu'elle préfère faire le ménage que d'écouter Jésus, qui, va vers lui et lui dit, je suis convaincue que c'est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde [8].

Pour Jésus, ces femmes n'étaient pas catégorisées, il ne les jugeait pas selon les critères sociétaux de l'époque. Il les rencontrait comme personnes. En vérité. Et elles, la reconnaissance intime de quelle place Jésus s'exprimait, elles l'avaient, indépendamment des hommes qui possédaient les clés de l'univers religieux.

La foi parle pour un rapport particulier à la vie. Pour une disponibilité, une ouverture. La foi est le geste primaire et primordial de la vie qui s'accueille. Et de ce fait, elle est probablement plus immédiate et accessible aux femmes dans leur vulnérabilité. Je ne parle pas ici d'essentialisation du féminin, qui aurait davantage de dispositions pour le croire, voire la crédulité. Mais à la situation de vulnérabilité dans laquelle la confiance devient un mode de survie.

Cependant, cette foi se doit d'être élaborée, creusée, formée. Elle est le départ et non l'arrivée. Dans son intercession Paul décline les moyens du parcours de foi :

1- Il vous faut la sagesse, la sophia, écrit-il. Ce qui n'est pas à comprendre dans un sens purement philosophique, spéculatif, mais comme connaissance de Dieu. Ce qui est une façon d'accéder à une parole surplombante qui donne une perspective particulière à la vie. Qui ouvre à une vision claire de ce que Dieu veut, et de ce qui n'est pas de Dieu. Qui invite à exercer un esprit critique. Par ailleurs, cette sagesse prône la juste mesure.  L'intelligence de la foi est un garde-fou contre les mouvements d'exaltation personnelle ou collective qui peuvent mener à des dérives délétères. Elle est aussi un bon moyen de trouver un peu de distance dans nos empêtrements subjectifs.

2- Il vous faut aussi la révélation, écrit-il.

La révélation renvoie aux paroles des prophètes, à une vision de vie désirable dessinée par les promesses ultimes. Et pour Paul : elle est allusion à sa propre conversion, ce moment où les choses lui sont apparues autrement, où il a été contrarié, bousculé, arrêté de son chemin et a perdu la vue ancienne obscure pour en trouver une autre, claire.

La révélation parle pour un élément indéniablement intuitif qui signe la part de Dieu, son ingérence active dans l'histoire et nos existences au moyen du pneuma, l'esprit, le souffle de Vie.

Pour saisir la révélation, il faut les yeux du cœur[9]. Il faut aimer. Aimer de façon entière, de toute sa volonté, en paroles et en actes[10].

3 -Plus loin, l'apôtre évoque l'appel, de quelque chose à entendre en son for intérieur. Et c'est là, la clé de l'espérance. Aucune autre dignité ou acquisition n'est demandée pour prétendre à l'héritage. Pour être au bénéfice de la grâce. Pour avoir le droit au bonheur. Et ça, c'est extraordinaire. Pour l'époque comme pour aujourd'hui : tout être humain, chaque personne peut espérer de vivre une vie digne et belle. Au milieu des autres, précise Paul. En pleine appartenance à la communauté, corps du Christ[11]. Ceci a valeur de manifeste contre toutes les formes de discrimination et d'exclusion.

4 - Enfin, il écrit : Il vous faut des forces.

Le thème final évoque la puissance de Dieu. Il peut se lire en lien avec la résurrection comme une affirmation de foi en l'énergie[12] infiniment supérieure de Dieu. Sa promesse de relevage dans toutes les situations mortifères.

Comment croiser cette prière intense de Paul avec notre cause d'aujourd'hui ?

En considérant toutes les femmes de par le monde qui sont victimes et survivantes. D'inégalités, de discriminations, d'humiliations, d'emprise, de violences sexistes et sexuelles, de viols et de tentatives d'assassinat. En reconnaissant leur extraordinaire volonté de s'en sortir. Comme elles peuvent. Avec les moyens du bord ou des soutiens efficaces.

culte 120323 3En remarquant leurs efforts de se mettre debout et de se remettre debout. Encore. Encore.

En reconnaissant leur confiance "malgré tout" en un avenir pour elles, pour leurs enfants, pour le monde.

Leur foi ne nous interpelle-t-elle pas?

Oui, elles nous engagent, ces femmes, nos soeurs. Nous engagent pareillement. Hommes, femmes, personnes non binaires.
Elles nous engagent à ne plus regarder ailleurs dans les situations d'inégalité, de discrimination, d'humiliation, de sexisme, de violences sexuelles.
Elles nous engagent à agir. Concrètement, dans une solidarité de proximité.

Elles nous engagent à revoir nos représentations, notre langage, nos habitudes et fonctionnements. Mais aussi, à porter une parole politique exigeante : si les femmes sont toujours encore discriminées dans nos sociétés, la question est systémique. Et ainsi nous pouvons dire à nos soeurs mal-traitées :
nous croyons en vous, vous êtes capables!

L'intelligence, l'espérance et l'amour de Dieu vous sont donnés. L'appel de la pleine vie est pour vous aussi. Et vous n'êtes plus seules : nous, nous sommes là, avec vous.

Amen.

Notes

[1] Norbert Hegedé, L'épître aux Ephésiens, Labor et Fidès, Genève, 1973, p 19

[2] Rom 1,8; Col 1,4; Philémon 1,5

[3] Daniel Marguerat et Marie Balmary, Nous irons tous au paradis. Le jugement dernier en question, Albin Michel, 2012, p 143-144

[4] Mc 5.21-34//

[5] Mt 15,21-28; Mc 7,24-31

[6] Lc 7, 36-50

[7] Luc 7,39Jn 8,3-11

[8] Jn 11,27

[9] Michel BOUTTIER, L'épitre de st Paul aux Ephésiens, Labor& Fidès, Genève, 1991, p 83

[10] Conformément à l'anthropologie biblique qui voit dans le cœur le siège de la volonté.

[11] 1 Cor 12 ss et //

[12] Charles MASSON, L'épitre de Saint Paul aux Ephésiens, Delachaux&Niestlé, Neuchâtel, 1953, p 154

Prédication par  Ruth Wolff-Bonsirven le 12 mars 2023 à Jacou.
Ruth Wolff-Bonsirven. Pasteure de l’UEPAL (Union des Eglises Protestantes d’Alsace et de Moselle) en fonction d’Inspectrice ecclésiastique. Travail théologique sur le couple humain dans la Bible. Qualification de conseillère conjugale et familiale. Membre du groupe de travail de la Fédération Luthérienne Mondiale : « Network for Gender Justice and Women’s Empowerment in Central and Western Europe ». Membre du CA de l'association Une Place Pour Elles. Ruth a représenté la Fédération Protestante de France au sommet mondial de Londres pour « mettre fin aux violences sexuelles dans les conflits » (Global summit to end sexual violence in conflicts), en juin 2014, en tant que membre du Conseil.