Textes bibliques :

Qo 12, 1-8

Mais souviens-toi de ton créateur pendant les jours de ta jeunesse, avant que les jours mauvais arrivent et que les années s'approchent où tu diras: Je n'y prends point de plaisir;avant que s'obscurcissent le soleil et la lumière, la lune et les étoiles, et que les nuages reviennent après la pluie,temps où les gardiens de la maison tremblent, où les hommes forts se courbent, où celles qui moulent s'arrêtent parce qu'elles sont diminuées, où ceux qui regardent par les fenêtres sont obscurcis, où les deux battants de la porte se ferment sur la rue quand s'abaisse le bruit de la meule, où l'on se lève au chant de l'oiseau, où s'affaiblissent toutes les filles du chant, où l'on redoute ce qui est élevé, où l'on a des terreurs en chemin, où l'amandier fleurit, où la sauterelle devient pesante, et où la câpre n'a plus d'effet, car l'homme s'en va vers sa demeure éternelle, et les pleureurs parcourent les rues; avant que le cordon d'argent se détache, que le vase d'or se brise, que le seau se rompe sur la source, et que la roue se casse sur la citerne; avant que la poussière retourne à la terre, comme elle y était, et que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné.Vanité des vanités, dit Qoheleth, tout est vanité.

Es 46, 3-4

Écoutez-moi, maison de Jacob, Et vous tous, restes de la maison d'Israël, Vous que j'ai pris à ma charge dès votre origine, Que j'ai portés dès votre naissance! Jusqu'à votre vieillesse je serai le même, Jusqu'à votre vieillesse je vous soutiendrai; Je l'ai fait, et je veux encore vous porter, Vous soutenir et vous sauver.

Ap 21, 5

Et celui qui était assis sur le trône dit: Voici, je fais toutes choses nouvelles. Et il dit: Écris; car ces paroles sont certaines et véritables.

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Vieillir - jour après jour nous devenons plus âgées. Petit à petit. Il y a des étapes qui nous obligent d’en prendre conscience : nous nous approchons du « devenir âgé ».

Dans son beau langage poétique l’Ecclésiaste décrit cette réalité, il observe de son point de vue de sage et nous parle des phénomènes que nous connaissons tous : que ce soit chez les gens que nous visitons en aumônerie, chez nos proches et enfin aussi chez nous mêmes. Car nous-mêmes aussi, nous sommes pris dans ce processus du vieillir.

« Les nuages reviennent après la pluie », oui, nous perdons les illusions en vieillissant, la réalité s’impose. Notre regard sur la vie change. En écoutant l’Ecclésiaste, nous nous demandons où nous en sommes avec notre vieillir. Comment le vivons-nous ?  L’appauvrissement et la perte entraînent l’angoisse : le corps change, l’image que nous renvoient les autres nous inquiète, puis il y a les douleurs de rhumatisme, les fatigues, la tristesse, la mélancolie et puis peut-être la solitude, l’isolement.

On se demande bien comment intégrer la conclusion de l’Ecclésiaste  le souffle de Dieu retourne à Dieu qui l’a donné  -  donc, pendant que tu es jeune, souviens toi de ton créateur. Souviens-toi de lui avant l’arrivée des jours mauvais, avant le moment ou tu diras : je n’ai plus envie de vivre. 

Pour l’Ecclésiaste, la vie n’a de sens qu’en Dieu, lui qui donne la vie et à qui elle revient, qui la recueille. La vie repose en lui, elle est cachée en lui. Dieu seul détient les clés du sens, il est le sens de notre vie. Alors l’Ecclésiaste donne le conseil :  jeune, noue avec Dieu, vis une relation vivante qui te portera au moment difficile du vieillir quand dans ton vieillir tu t’approchera de la vieillesse.

Comment une relation vivante, noué avec notre créateur nous aide-t-elle à vieillir ?

L’Ecclésiaste nous laisse à la fois avec cette affirmation et avec cette question. A nous de chercher, de nous mettre en question, de creuser les textes bibliques et de lire notre vie, notre vieillir à la lumière de ces textes.

 

Je vous ai portés depuis que vous êtes venus au monde. Je resterai le même jusqu'à votre vieillesse. Je vous porterai jusqu'à ce que vous ayez des cheveux blancs. C'est moi qui vous ai faits, c'est moi qui vous porterai. Oui, je prendrai soin de vous et je vous sauverai.

Esaïe nous rappelle la fidélité de Dieu. Depuis le moment de notre naissance jusqu’à notre mort il nous accompagne, il es fidèle, il est le même.

Nous, nous changeons. Nous grandissons, nous vieillissons, nous nous approchons de la vieillesse, nous mourrons.

Notre vie va de l’aujourd’hui à l’inconnu. Notre demain est inconnu, notre avenir est toujours à venir, et en passant de jour en jour, en vieillissant nous lâchons ce qui est connu.

L’aujourd’hui, je le connais. Aujourd’hui, Dieu me donne son souffle de vie. Mais demain ? L’angoisse de la vie, du vieillir, n’est-ce pas cette étroitesse du passage de l’aujourd’hui qui est connu vers l’inconnu du demain ?

Toujours à nouveau, nous passons par là, nous passons du connu vers l’inconnu.

Un passage du connu vers l’inconnu. J’aimerais aborder le vieillir de ce point de vue-là pour nous - car c’est d’abord de nous qu’il s’agit, - comment pouvons-nous écouter les autres dans leur vieillir si nous ne sommes pas un peu au clair avec le notre ?

 

Travailler le passage du connu vers l'inconnu permet à mon avis de sortir de l'éternelle question si le vieillir est une bonne ou une mauvaise chose, si le fait de vieillir nous apporte un plus ou un moins.

Car d’habitude, nous abordons la question du vieillir sous la forme symétrique du plus vers un moins, d'un acquis vers une perte et pour le masquer un peu nous nous consolons avec un gain de sagesse, d'expérience de vie … . Mais vu de cette manière-là ce sont de fausses consolations car nous restons dans la symétrie d'un plus ou d'un moins qui nous enferme. On ne peut pas faire le bilan, l’évaluation du vieillir en mettant comme sur une balance d'un côté les pertes de rapidité, de mémoire, d'autonomie, d'énergie, le déclin physique, la démence, – puis sur l'autre plateau de la balance la sagesse, le plus de temps pour des loisirs redécouverts, la joie de garder les petits-enfants.…

Cette évaluation par le bon est le mauvais, par la symétrie, nous mène dans une impasse, ne nous ouvre pas vers du sens et nous restons piégés au niveaux des phénomènes. La balance peut tantôt pencher d’un côté, tantôt de l’autre.

Les paroles de l'Ecclésiaste nous ont déjà mis sur une autre piste : le souffle de Dieu retourne à Dieu qui l'a donné.

C'est en Dieu seul que se cache le sens de notre existence.

Oui, sortons de la symétrie. Allons avec Esaïe vers l'assurance que Dieu restera le même depuis notre naissance jusqu'à notre mort.

Ce sont des paroles qui posent un cadre à notre angoisse sans nous en enlever le côté qui nous pousse vers la vie. Ce sont des paroles qui nous permettent de tenir dans l'angoisse de vivre - sans pourtant nous y noyer. Ce sont des paroles qui nous permettent de tenir sans nous enfuir dans des fausses gaietés pour combattre l'angoisse du lendemain, des paroles qui nous permettent de passer notre temps à autre chose qu'à construire des barrages contre l'inconnu du lendemain pour maîtriser l'avenir.

Oser aller vers l'inconnu du demain dans la confiance signifie aussi lâcher le contrôle du comment. Accueillir le lendemain paisiblement ou amèrement, dans une angoisse modérée vivante et vivifiante, dans une angoisse qui paralyse, dans la mélancolie ou la dépression, dans la peur des souffrances physiques ou morales, ou même dans la démence et l’effacement des repères – l'Ecclésiaste nous a répondu : le souffle de vie retourne à Dieu qui l'a donnée, Esaïe nous a répondu : c'est moi qui vous ai faits, c'est moi qui vous porterai. Oui, je prendrai soin de vous et je vous sauverai.

 

Le texte de L'Apocalypse que nous avons entendu au début nous dit : Voici, je fais toutes choses nouvelles. Une parole pour notre aujourd'hui, pour notre passage d'aujourd'hui vers l'inconnu du lendemain et puis une parole de promesse pour la vie éternelle. Cette parole nous ouvre vers la nouveauté créatrice qui est en Dieu, nouveauté créatrice et salvatrice que le Christ incarne. Il est devant nous, là ou nous sommes dans l'étroitesse, dans l'angoisse de passer, il nous attend de l'autre côté, que ce soit au réveil le lendemain ou que ce soit devant les portes de la vie éternelle. C'est lui qui nous fait passer et qui nous attend.

Vivre, vieillir, oser aller vers l'inconnu du demain en lâchant la maîtrise du comment. De jour en jour, dans notre vie, dans notre vieillir, la nouveauté créatrice de Dieu est à l'œuvre.

Rien ni personne peut enlever l'identité de sujet devant Dieu, rien ni personne peut enlever la dignité de l'être humain, même dans les pires conditions de dépendance physique, de dégradation psychique. Oui, je suis le commencement et personne ne peut arracher quelqu'un de ma main (Es 43,13). Dieu nous attend et il soutient, il porte notre cheminement, notre passage du connu vers l'inconnu.

Là, en aumônerie, nous pouvons être témoins les uns pour les autres. Notre présence à l'autre dans les visites d'aumônerie peut ouvrir l’espace ou l'autre reçoit sa reconnaissance comme sujet devant les hommes et devant Dieu. Un espace ou l'autre entend, un espace ou résonne la promesse des paroles Voici, je fais toutes choses nouvelles.

En vieillissant, c'est ce que j'aimerais, c'est ce que j'attends de mon prochain : que dans les rencontres, il y ait cette présence qui ouvre l’espace pour faire résonner en moi la promesse voici, je fais toutes choses nouvelles.

Et dans les visites que je fais, j’espère toujours que cette espace-là puisse s'ouvrir pour la personne hospitalisée qui me reçoit. L'espace ou Dieu puisse être rencontré comme celui qui est la nouveauté créatrice de notre sujet, comme celui qui permet et soutient le passage vers l’inconnu du lendemain et vers l’inconnu de la Vie éternelle.