« Je refuse que les terroristes et les intégristes en tout genre puissent prétendre avoir gagné et avoir ébranlé ne serait-ce qu’un des socles sur lequel repose mon espérance. » Joël Dahan, pasteur à la Fondation John Bost, réagit sur le site Réforme à la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015.

logo reforme« Ce soir, avec mon épouse nous avons réunis nos trois enfants. Après avoir pleuré devant l’actualité, il fallait se remettre à parler. Les terroristes n’ont pas seulement touché les familles des victimes, si éprouvées et auxquelles nous pensons particulièrement. Mais ils ont aussi touché chaque citoyen français et chaque citoyen dans le monde : celles et ceux qui participent à construire une société plus juste et heureuse, là où ils sont, avec les talents et les forces qu’ils ont. Ceux-là, sont touchés, affaiblis, remis en question.

Il fallait que nous réunissions nos enfants comme nous l’avions fait lorsque l’un d’eux avait pour la première fois été agressé par des jeunes issus de l’immigration un soir en ville.

Leur dire que l’amour, la justice, la défense de la dignité humaine, même pour le plus salaud des salaud au fond de sa cellule, ont été au cœur de multiples bons combats de celles et ceux qui n’ont jamais désespéré face à la barbarie, même lorsque leur vie ou celle de leur proche ont été malmenées. Et pour reprendre les paroles Paul, en nous rappelant qu’il vivait la souffrance dans sa chair et pas en lisant les journaux, "nous sommes accablés par toutes sortes de détresses et cependant jamais écrasés. Nous sommes désemparés, mais non désespérés, persécutés, mais non abandonnés, terrassés, mais non pas anéantis." (2 Corinthiens 4 : 8-9)

La peur, la colère et la haine

Avec honnêteté, nous pouvons dire que la plupart des citoyens français sont spectateurs du terrorisme, contrairement aux populations qui le vivent au quotidien. Mais à distance, nos réactions les plus primitives peuvent aujourd’hui se retourner contre chacun d’entre nous et contre nos démocraties. Car les terroristes ne cherchent pas seulement à tuer des individus mais à transformer profondément nos sociétés démocratiques et probablement à nous transformer tous individuellement de l’intérieur pour que nous leur ouvrions nous-mêmes un chemin ténébreux et que nous leur préparions la victoire.

La peur. Elle ne doit pas nous faire accepter les lois liberticides que sont prêtes à accepter les populations affolées. Contrairement au renseignement, nombre de mesures de sécurité ont maintenant prouvé leur inefficacité. Ils nous auront volé notre liberté.

La colère. Elle ne peut pas nous faire retourner en arrière pour rétablir la peine de mort et la torture, même à titre exceptionnel. Contrairement à une justice préventive et à une justice sociale, ces mesures ont déjà prouvé leur impuissance à faire reculer la violence. Ils nous auront volé notre justice.

Le soupçon et la haine. Ils ne peuvent pas nous faire vivre ou nous faire tomber dans le racisme ou le rejet de telle ou telle religion. Contrairement à une laïcité bien comprise, garante de la liberté de conscience et de culte, comme de l’ordre public, le rejet de l’autre n’apporte que la division, et à terme la guerre ou des réflexes génocidaires. Ils nous auront volé notre fraternité.

Si face au drame nous ne résistons pas à ces réactions primaires, nous préparons un sinistre avenir pour nos enfants.

Liberté et démocratie

Certes, comme chez beaucoup d’entre nous, la peur, la colère et le rejet m’animent malgré moi, devant mon poste de télévision ce soir. La foi ne me met pas à l’abri de ces sentiments et de ces raisonnements primaires.

Je cherche donc maintenant les moyens de me défendre, de participer à une guerre réelle et spirituelle qui ne dit pas son nom, avec d’autres moyens que la violence. Non pas par principe, par naïveté, ni même par amour, mais par fidélité à ce que je crois et à ce qui m’a construit, et parce que je refuse que les terroristes et les intégristes en tout genre puissent prétendre avoir gagné et avoir ébranlé ne serait-ce qu’un des socles sur lequel repose mon espérance.

De plus, en essayant de garder la tête froide, je sais bien que mon mode de vie, l’histoire de mon pays, ma liberté ont été construites au dépend d’autres peuples qui aujourd’hui ne sortent pas de la misère et de la guerre.

Mais cette réalité ne me fera pas renoncer à m’efforcer de bâtir ce que les anciens ont bâti pour moi : la liberté et la démocratie. À nous d’en inventer les nouveaux contours pour ne pas les vivre au dépend des autres.

Il y a un temps pour la guerre et un temps pour la paix, mais la guerre ne justifie pas d’utiliser tous les moyens et de faire tous les renoncements. »