À la vue de ces foules, Jésus monta sur la montagne. Il s'assit et ses disciples s'approchèrent de lui. Puis il prit la parole pour les enseigner ; il dit : « Heureux ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle, car le royaume des cieux leur appartient ! Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés! Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre! 6Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ! Heureux ceux qui font preuve de bonté, car on aura de la bonté pour eux! Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ! Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu! Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux leur appartient ! Heureux serez-vous lorsqu'on vous insultera, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense sera grande au ciel. En effet, c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il ne sert plus qu'à être jeté dehors et piétiné par les hommes. 

Matthieu 5/1-13 (Segond21)

predi lobSavez-vous pourquoi ce garçon a une telle expression sur son visage ?

Nous sommes en octobre 2015, à la fin de la finale de la coupe du monde de rugby à Twickenham. L’équipe de Nouvelle Zélande vient de gagner 34-17 face à l’Australie. En faisant son tour d’honneur, un joueur all-black, Sonny Bill Williams, entre en contact avec un jeune garçon qui lui est inconnu.  Ensemble ils se laissent être photographiés.

Puis le joueur met autour du coup du garçon sa médaille d’or, l’enfant croit que c’est juste pour un instant ; mais le rugbyman part continuer saluer le public en le laissant avec sa médaille. À ce moment-là, le jeune homme réalise le cadeau qui lui a été fait.

Que percevez-vous sur ce visage ?

Une surprise et une joie immense !

C'est une surprise radicale, venant d'un geste radical !

C’est certain que ce garçon se souviendra toute sa vie de ce moment et que peut-être ses petits enfants raconteront à leurs petits enfants ce qui vient d’arriver en montrant la médaille accrochée au salon.

Ce geste radical du joueur surprend parce qu’il va à rebours de la logique dominante.  Donner la médaille d’or que l’on vient de gagner, médaille d’or de la compétition la plus prestigieuse, qui l’eut cru ? Ici la radicalité est comme un grain de sel inattendu dans la grande soupe médiatique de la coupe du monde. Cette radicalité a une saveur qui rend curieux. Mais, pourquoi a-t-il agit ainsi ?

Ce qui s’est passé là, n’est-ce pas de l’ordre de la Grâce ?

La Grâce, c’est quoi ? Plutôt que de vous faire un cours de théologie, je dirais simplement : N’est-ce pas un geste radical et surprenant qui produit de la joie et de la curiosité ?  

L’événement qui nous rassemble dimanche après dimanche n’est-il pas aussi de l’ordre de la Grâce ? Dit avec les mots du vocabulaire chrétien classique : avec Jésus, Dieu nous donne également sa médaille d’or, ce qu’il a de plus précieux. Il nous l’envoie gratuitement, sans que nous l’ayons mérité. Tout l’évangile est traversé par l’étonnement et la joie provoqués par l’irruption de la Grâce. Tenez, juste un exemple parmi tant d’autres : Zachée qui était monté dans son arbre, et qui, avec surprise, s’entend dire : descends vite, il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison…

Quand les premiers chrétiens racontent ce qu’ils ont reçu et compris de cette vie christique, ils sont encore sous le coup de la surprise. Quand on écoute la grammaire profonde du récit, on sent combien ils ont été mis en contact avec une radicalité d’amour qui ne cesse de les étonner. Ils racontent, et même si ce qu’ils racontent est emprunt de gravité (le complot, la crucifixion),  la tonalité de fond rayonne de joie.  C’est pourquoi, ils n’appellent pas leur récit Tragédie, mais Bonne Nouvelle. Parce que la Grâce est ce qui travaille le cœur de ce récit, un alléluia plein d’allégresse jaillit de plus profond que les tensions et les jalousies humaines.

C’est pourquoi, même après 2000 ans, lorsque nous nous réunissons comme ce matin, nous nous mettons sous le rayonnement de cette Grâce.  Sous le rayonnement de ce geste radical de Dieu qui produit joie et étonnement. Parce qu’elle est surprenante, la grâce aère l’esprit ; parce qu’elle produit de la joie, la grâce allège et illumine l’esprit ; parce qu’elle est radicale,  la grâce questionne et renouvelle l’esprit.

Si dimanche après dimanche, nous nous réunissons autour de l’Evangile, c’est pour ressaisir nos vies dans cette Grâce. Pour ne pas l’oublier et laisser la routine ou les soucis du quotidien venir la recouvrir ou la neutraliser. C’est pour la mettre en valeur, la laisser nous travailler et nous inspirer.

Et ainsi de retrouver, au contact de cet amour radical de Dieu, un regard apaisé et pénétrant, capable de s’étonner, de s’indigner, capable d’aimer.

selDonc, la question qui nous ramènera à l’essentiel à présent est : mais où est la grâce dans les paroles de l’évangile que nous venons d’écouter ?

Quand Jésus, dans l’évangile dit : « c’est vous qui êtes le sel de la terre », je crois qu’il nous remet entre les mains une médaille d’or.

Nous sommes venus ici ce matin, comme l’ado est allé à la rencontre du joueur qu’il admirait, curieux, ouvert, porté par une envie. Et voilà que, sans que nous l’ayons mérité, il nous dit : « c’est vous qui êtes le sel de la terre ». Est-ce que nous nous attendions à recevoir une telle parole ?

Cette parole n’est pas une morale. Jésus ne vient pas charger nos épaules d’une tâche accablante en disant : attention, rappelez-vous, vous devez être le sel de la terre.  Non, il dit tout simplement : c’est vous.

C’est une formidable parole valorisante qui exprime toute l'estime que Jésus a pour ses auditeurs. Jésus en est convaincu : il ne dit pas si vous faites ceci ou cela, vous serez le sel de la terre. Non il dit « c’est vous ».

Que faisons-nous aujourd'hui de cette conviction  surprenante ?

Quel poids  lui accordons-nous  ? Le sel est ce qui donne du goût, de la valeur à ce qui est salé. Croyons-nous que nous sommes le sel de notre famille ? Le sel de notre lieu de travail ? Croyons-nous que nous sommes le sel de nos villages ?

Il y a une façon de réduire la surprise d’une telle parole, en étant attentif de suite à désamorcer son potentiel prétentieux et en montrant combien d’autres par leur prise de positions, par l’engagement sont de vrais grains de sels. Tandis que nous, nous sommes bien peu de choses…

Cependant, le fait que cette parole soit comme une médaille d’or donnée à chacun sans qu’il ait eu à jouer le match, cela ne nous aide-t-il pas à l’écouter, libre de tout  esprit de comparaison ? Il ne s’agit pas de savoir qui est plus grain de sel que les autres.  Il s’agit plutôt d’aider chacun à réaliser qu’il peut être là où il est placé, un vrai grain de sel.

Parce que cette parole est enveloppée de Grâce, elle nous aide à prendre conscience de notre valeur profonde. Elle délivre à chacun, là où il est, avec ce qu’il est, une autorisation d’être ce qu’il n’ose  peut-être pas être : un grain de sel.

Ceci étant dit, creusons un peu plus le sens de la métaphore !  Qu’est-ce que cela veut dire être le sel de la terre ?

Être le sel de la terre, c’est je crois devenir quelqu’un qui par sa différence enrichit la saveur du plat. Il ne s’agit pas d’être ce qu’est la terre, non il s’agit d’être un peu différent de la terre. Il s’agit au cœur de nos familles, de nos villages, de nos lieux de travail et d’engagement, d’être un peu en décalage afin que les choses prennent de la saveur.

Le fait d’écouter la parole de Jésus, n’est-ce pas accueillir dans nos vies un amour radical, bien salé et le laisser nous travailler ?

Quand on lit les Béatitudes, quand on médite l’évangile, on est mis en contact avec du sel. Jésus nous propose un regard différent sur plein de choses.

  • Il nous propose une manière particulière de traiter les offenses : les pardonner ;
  • Il nous propose une manière particulière de traiter la violence ; au lieu de rendre coup sur coup, absorber  cette violence pour ensuite agir et non plus réagir ;
  • Il nous propose une manière particulière de nous comporter avec l’argent ; de le désacraliser en le partageant ;
  • Il nous propose une manière particulière d’aborder la question du leadership, - non introniser et obéir à  un chef, mais faire appel au don de chaque membre, même le plus humble qui soit ;
  • Il nous propose une manière particulière de nous comporter quand la société devient corrompue ; non de maudire, de cracher ou de fuir, mais à notre échelle commencer, construire un ordre nouveau.

L’amour radical vécu par Jésus a inspiré les premiers chrétiens. C’est ainsi que dans les différentes lettres dont est composé le nouveau testament, nous les voyons chercher à se laisser guider par cette inspiration qui vient renouveler leur vision de la personne humaine ; ainsi nous voyons émerger une autre manière de vivre les relations entre homme et femme, entre parents et enfants, entre maître et esclave. De même l’amour radical de Jésus les a inspiré pour adopter une attitude particulière envers l’état et les ennemis de la nation.

Par son amour radical, vécu jusqu’au bout, Jésus a été ce grain de sel, qui par sa différence a enrichi le tout.

Ainsi quand  il nous dit : « c’est vous qui êtes le sel », entendons : laissez toute la Grâce qui se dégage de ma vie vous inspirer. N’ayez pas peur de la radicalité de mon amour, laissez le vous déloger de vos postures. Oui, laissez ma Grâce vous questionner, vous déranger, vous travailler. Car dans ce frottement avec ce qui a été le sel de ma vie, votre vie gagnera en saveur, en profondeur.

Ma Grâce radicale vous rendra à jamais différent du monde, ce qui n’est pas toujours confortable. Mais dans le même temps, vous n’êtes pas appelé à fuir cette tension. Vous  êtes appelé à fuir ni la terre, ni le sel. Vous êtes appelés à mettre en tension les deux : le sel et la terre.

L’enfant en recevant sa médaille d’or ne sera plus jamais tranquille. Quand il entendra au café du commerce s’exprimer autour de lui des récits respirant le  cynisme et l’aigreur, il ne pourra plus simplement hocher de la tête. Il aura une autre histoire à raconter. S’il ose le faire, il mettra son grain de sel ; il injectera dans la discussion autre chose qui peut la changer du tout au tout.

N’est-ce pas là également notre mission de chrétiens ?

Amen

Luc-Olivier Bosset, dimanche 29 janvier 2017, Maurin