Seigneur (YHWH), notre Seigneur, que ton nom est magnifique sur toute la terre, toi qui te rends plus éclatant que le ciel ! Par la bouche des enfants, des nourrissons, tu as fondé une force, à cause de tes adversaires, pour imposer silence à l’ennemi vindicatif. Quand je regarde ton ciel, œuvre de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as mises en place, qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui, qu’est-ce que l’être humain, pour que tu t’occupes de lui ? Tu l’as fait de peu inférieur à un dieu, tu l’as couronné de gloire et de magnificence. Tu lui as donné la domination sur les œuvres de tes mains, tu as tout mis sous ses pieds, moutons et chèvres, bœufs, tous ensemble, et même les bêtes sauvages, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, tout ce qui parcourt les sentiers des mers. Seigneur (YHWH), notre Seigneur, que ton nom est magnifique sur toute la terre !

Psaume 8 Copyright © 2002, Société biblique française. Avec autorisation. Tous droits réservés.

Que fait une si petite et fragile créature posée là, au cœur de l’immense univers ?

Un tel émerveillement ne surgit-il pas souvent lorsque nous nous retrouvons dehors un soir, face à la voute étoilée ? En jetant les yeux sur le ciel, nous en admirons l’ordonnance, le calme, la beauté… Incapable d’embrasser d’un seul regard toute cette étendue, nous nous sentons minuscules. Que fait une si petite et fragile créature posée là, au cœur de l’immense univers ? À ce moment-là, la pression des soucis quotidiens se desserre, nous aidant à relativiser bien des choses, à prendre du recul. Et nous nous mettons à évaluer l’ensemble de notre vie jusqu’à nous demander : mais pourquoi suis-je là, sur cette terre ?

ceresIl fut un temps où la réponse à ce genre de question était donnée avant même parfois que la question ne soit posée. C’était le temps où l’on grandissait dans une culture où la religion apprenait les bonnes réponses. Tenez par exemple, voici comment commence le catéchisme de Jean Calvin, datant de 1542.

Le Ministre : Quelle est la principale fin de la vie humaine ?

L'Enfant : C'est de connaître Dieu.

Le Ministre : Pourquoi dis-tu cela ?

L'Enfant : Parce qu'il nous a créés et mis au monde pour être glorifié en nous. Et c'est bien raison que nous rapportions notre vie à sa gloire, puisqu'il en est le commencement.

Aujourd’hui, ce temps où les réponses sont à apprendre par cœur est révolu. Non seulement parce nous ne voulons plus de réponses surgissant avant même que nous n’ayons eu le temps de nous poser la question. Mais aussi parce que nous vivons dans une culture qui tend à voir comme inutile le genre de réponses offertes par ce catéchisme. En effet, percevoir la finalité de notre vie terrestre comme étant de connaître Dieu laisse profondément insatisfaite notre mentalité rationnelle et pragmatique d’hommes et de femmes du XXIe siècle.

Pourquoi sommes nous sur terre ?

Une réponse rationnelle et pragmatique qui donne du sens à notre vie, c’est celle que nous trouvons en exerçant un travail. Car pouvoir engager nos compétences dans une action utile qui participe au bon fonctionnement de la société, et puis dans l’exercice de cette compétence, évoluer, mûrir, découvrir nos talents ou une passion, et puis grâce à l’exercice de cette compétence, être reconnu, rémunéré, valorisé, oui, tout cela donne du sens à notre vie.

Une autre réponse rationnelle et pragmatique qui donne un sens à notre vie, c’est d’éduquer nos enfants, prendre du temps avec eux, les accompagner pour aider à s’orienter dans la vie, leur ouvrir des portes, les aider à choisir une voie. Et puis, grâce au fruit de notre travail, améliorer l’existant et pouvoir un jour, leur laisser un patrimoine.

Par rapport à ce genre de réponses, celles proposées par le catéchisme de Calvin n’apparaissent-elles pas comme inopérantes, parce que trop abstraites ? Jusqu’au jour où nous arrêtons de travailler parce que c’est la retraite, ou parce que c’est le résultat d’une restructuration…

Jusqu’au jour où les enfants étant devenus grands, la maison est désormais vide… Nous avions identifié le sens de notre vie avec ces rôles, or voilà que ces rôles nous sont enlevés, est-ce à dire que plus rien n’a de sens ?

Jusqu’au jour où sur notre lieu de travail ou à la maison, nous ne sommes pas satisfait de la tournure qu’ont prise les choses. Nous avons l’impression en faisant la lessive ou en élaborant un autre devis que nous ne vivons pas, mais simplement que nous fonctionnons, que nous agissons uniquement pour être efficace ou maximiser le profit. Et là de réaliser que les réponses concrètes et pragmatiques ne nous suffisent plus. Que nous avons besoin d’un sens moins lié à une fonction, une tâche. Que nous avons besoin d’une finalité qui, prenant en compte tout ce que nous sommes, nous aide à ne pas simplement fonctionner, mais à vivre. Mû par ce besoin, nous nous demandons : si ce n’est pas simplement pour travailler éduquer des enfants ou constituer un patrimoine, alors pourquoi est-ce que je suis sur terre ?

Quand cette question se pose avec acuité, il est bon de se frotter au psalmiste, car lui aussi se la pose : « Quand je regarde ton ciel, œuvre de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as mises en place, qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui ? Qu’est-ce que l’être humain pour que tu t’occupes de lui, que tu le visites ? » Face au ciel étoilé, le psalmiste comprend qu’à tout moment, il aurait pu ne pas exister. Tout est si grand, si immense, si complexe que la vie n’aurait pu jamais advenir. Or elle est advenue ! Mais cette advenue aurait pu tout à fait capoter et ainsi empêcher que la vie ne se développe jusqu’au stade de l’émergence de cet animal doté d’une conscience qu’est l’homme, et jusqu’au stade où cette vie humaine a pu s’organiser en civilisation. Or, ça n’a pas capoté ! Alors, qu’est-ce que l’homme pour qu’il bénéficie de tant de sollicitude ? Quelle valeur, quel sens doit avoir cette créature pour avoir cette chance-là ?

Face au ciel étoilé, le psalmiste comprend que s’il est sur terre, si lui, infime créature existe au milieu de cet immense univers, ce n’est pas parce qu’il l’a voulu. Mais c’est parce qu’il est au bénéfice d’une bienveillance qui l’a appelé à la vie. Face au ciel étoilé, le psalmiste ne comprend pas tout. Alors il écoute les échos provoqués par l’émerveillement qu’il ressent. Là, il pressent que sa vie ne dépend pas que de lui. Mais qu'elle dépend d’un projet plus vaste que lui. Le sens ne viendra pas uniquement par ce qu’il fera ou produira ; le sens viendra également quand il se laissera être rejoint, questionné, déplacé par l’étonnement et l’émerveillement qu’il ressent face à un ciel étoilé.

À une période où le sens de notre présence sur terre est évalué en terme de fonction, de tâche ou de travail accompli, à une période où nous avons tendance à sur-identifier le sens de notre existence avec nos rôles et nos performances, ce psaume nous invite à réaliser qu’un TU nous accompagnes depuis plus longtemps que notre agir, un TU nous as appelé à la vie alors même que nous étions inutiles et improductifs. Et que le sens de notre vie, comme le disait le catéchisme de Calvin est, en écoutant les échos de notre émerveillement, de pouvoir peu à peu connaître, au sens d’explorer, découvrir, se familiariser avec ce TU mystérieux qui nous parle parfois quand l’étau des préoccupations se desserre et que nous nous retrouvons face à un beau ciel étoilé.

dnaÉcouter ce qui nous parle lorsque nous sommes saisi d’émerveillement, nous en avons aujourd’hui profondément besoin, à une époque où notre culture valorise autant les réponses rationnelles et pragmatiques. Pourquoi en avons si besoin ? Parce qu’une approche scientifique des choses, une approche qui se fie au principe de causalité nous donne une réponse qui nous laisse sur notre faim.

Pourquoi sommes-nous sur terre ? L’approche scientifique répond en disant que nous sommes le fruit de toute une chaîne de causalité. En croisant de multiples informations venant de la paléanthologie, de la chimie, de la biologie, grâce aux analyses des mutations complexes de l’ADN chez nos ancêtres, cette approche nous permet d’avoir une vision plus claire du processus qui est à l'origine de l'émergence de la vie sur cette planète, elle nous permet de mieux comprendre d’où nous venons. La théorie du Big Bang en m’expliquant la chaine des causalités, m’apprend plein de chose, mais elle n’épuise pas la question : pourquoi, moi, je suis sur terre ? Quel est le sens, pour moi, de cette vie qui m’est donnée ?

C’est à ce besoin là, que la foi essaie de répondre. Préciser cela est très important, car cela nous permet de lever un grand malentendu et de ne plus opposer la foi à la science. Si la foi et la science ont été souvent mise en opposition, c’est parce que Dieu était perçu comme étant le mystère que la science ne pouvait pas expliquer. Or dans cette logique, plus notre connaissance augmentait sur la chaine de causalité qui a permis l’apparition de la vie sur terre, moins Dieu devenait nécessaire pour donner du sens à tout cela. Plus la science avançait, plus Dieu reculait.

Mais pour notre cher psalmiste, il en va autrement. La foi n’est pas convoquée pour expliquer ce que la science n’arrive pas à démontrer. Dieu n’est pas une pièce dans la machine de l’univers, un engin que nous ne devrions peut-être bientôt plus avoir besoin.

La foi n’est pas en concurrence avec la science, car la foi répond à un besoin autre que la science. La foi est l’attention portée par l’homme à cette question qui continue de brûler en lui et que l’accumulation des connaissances n’arrivent pas à éteindre : mais pourquoi, moi, je suis sur terre ? Pour nourrir ce besoin, la foi propose de redécouvrir et d’explorer notre intériorité, d’écouter notre émerveillement et de partir à la découverte de ce qui me parle dans cet émerveillement. La foi nous propose de redécouvrir, au contact des Ecritures Bibliques, Dieu, comme étant ce TU mystérieux qui me parle au cœur de l’émerveillement, un TU mystérieux, porteur d’un sens qui restera toujours en excès.

Ainsi aujourd’hui, être croyant, ce n’est pas s’opposer à la science, mais c’est simplement reconnaître que l’accumulation de connaissances n’épuise pas la question du sens de notre passage sur terre. Etre croyant, c’est écouter l’émerveillement qui nous saisit face à cette vie consciente qui nous traverse et entendre, au cœur de cet émerveillement une parole qui me dit que le sens de ma vie ne dépend pas des rôles que j’assume. Etre croyant c’est explorer, se nourrir de la somme des écrits, des poèmes, et toute sorte d’autres traces laissées par d’autres humains qui ont vécu à fond leur émerveillement et qui avec une écoute fine ont suivi l’appel qu’ils entendaient au cœur de leur émerveillement. Etre croyant, c’est partir à la suite de ces croyants, à la découverte de ce TU qui m’accompagne, me parle et se soucie de moi autant quand j’use des fabuleuses ressources de mon intelligence pour comprendre et observer le monde que quand je suis inutile et improductif. Alors prêts pour l’aventure ?

Amen

Luc-Olivier Bosset, Temple de la Rue Maguelone, Montpellier, 19 février 2017

Image 1: Cérès - il y a bien de l'eau sur la planète Cérès (Europe I)
Image 2: L'acide désoxyribonucléique, ou ADN