Je vous confirme, mes frères, la bonne nouvelle que je vous ai annoncée, celle que vous avez reçue, dans laquelle vous vous tenez  et par laquelle aussi vous êtes sur la voie du salut, si vous la retenez dans les termes où je vous l’ai annoncée ; autrement, c’est pour rien que vous seriez venus à la foi. Je vous ai transmis, avant tout, ce que j’avais moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures.  Il a été enseveli, il s’est réveillé le troisième jour, selon les Ecritures.  Il est apparu à Céphas, puis aux Douze.  Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois : la plupart d’entre eux sont demeurés en vie, quelques-uns se sont endormis dans la mort.  Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres.  Après eux tous, il m’est apparu, à moi aussi, comme à un avorton. Moi, en effet, je suis le moindre des apôtres ; c’est même trop d’honneur pour moi que d’être appelé apôtre, puisque j’ai persécuté l’Eglise de Dieu.  Mais par la grâce de Dieu je suis ce que je suis, et sa grâce envers moi n’a pas été inutile ; au contraire, j’ai travaillé plus qu’eux tous ; non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi.  Ainsi donc, que ce soit moi, que ce soient eux, telle est notre proclamation et telle est la foi à laquelle vous êtes venus.

1 Cor 15, 1-11

pred lob avril207Parler de la résurrection de Jésus, c’est aborder aujourd’hui une question délicate !

Parler d’un Jésus, maitre de sagesse qui dans ses différentes rencontres a eu des répliques pleine de sel,  parler d’un Jésus, homme cohérent qui a vécu jusqu’au bout ses convictions, cela peut susciter  curiosité et respect chez nos contemporains, éloignés de la vie de l’église et de toute pratique religieuse…

Mais  parler d’un Jésus ressuscité d’entre les morts, là cela ne peut que susciter  chez ces mêmes contemporains que moue et suspicion !

« Sur quoi vous basez-vous pour affirmer cela ?  Avez-vous une preuve, une démonstration cohérente qui viendrait fonder vos dires pour les rendre crédible ? »

Autant nous pouvons nous sentir à l’aise pour dire toute la pertinence des  paroles du Jésus, homme de conviction et maitre de sagesse, autant quand il est question de sa résurrection, nous pouvons être démunis.

Car avec la résurrection, nous plongeons dans un domaine au contour flou, qui se situe au delà des catégories cartésiennes, au-delà de la réalité quotidienne telle que nous la connaissons. Si toutes les personnes mortes que nous avons connus, avaient ressuscité, alors, il serait beaucoup plus aisé de parler de cette expérience commune avec nos contemporains, puisque nous aurions tous une même base  à partir de laquelle nous pourrions échanger et débattre.

Or ce n’est pas le cas !  Dès lors, dès que nous parlons avec d’autres  personnes de résurrection aujourd’hui, nous ne partons pas d’une série de fait éprouvés et vérifiables, mais de croyances !

A quoi cela peut-il servir de parler avec d’autres de croyances ? Puisque la  résurrection ne peut pas s’accrocher à du réel, ne va-t-elle pas tourner en rond ?  Une fois que chacun aura partagé sa croyance, une fois que j’aurais dit à l’autre que je crois en la résurrection de jésus et que l’autre m’aura dit son doute, comment continuer à parler ensemble ? Puisque la résurrection n’est pas une expérience communément partagée, je ne pourrai pas lui apporter une preuve tangible pouvant le convaincre. Dès lors, à quoi cela sert-il d’en parler ? Cela ne fait avancer personne !

Les "near Death Experience"

Pour relancer la discussion, certains convoquent les témoignages de personnes ayant vécu pendant plusieurs minutes l’état de mort clinique. En anglais : near death expérience.

Alors que l’électroencéphalogramme et que d’autres indicateurs du milieu médical attestaient objectivement qu’elles étaient mortes, certaines personnes plusieurs minutes après ce constat sont revenues à la vie. En partageant ce qui s’est passé pour elle dans ce temps vide,  ces personnes racontent comment elles se sont senties sortir de leur corps,  flotter tout en voyant les équipes médicales s’agiter pour les sauver. Elles décrivent également combien elles se sont senties attirées vers une lumière brillante, éprouvant une sensation de calme profond.

Puisque nous sommes à la recherche d’un fondement objectif pour parler de la résurrection avec nos contemporains, nous pourrions en tant que chrétien nous saisir de ces témoignages comme des preuves rationnelles, historiques que notre croyance est vraie.

lob mars2017Cependant, si la discussion pourra continuer quelque peu, je crains que cette manière de faire ne nous permette pas d’avancer bien loin. Car si les témoignages des near death experience ouvrent la possibilité d’une vie après la vie, ces mêmes témoignages ne viennent pas pour autant confirmer exactement  ce que la Bible dit de la résurrection de Jésus.  C’est pourquoi, un contemporain pourrait tout aussi bien saisir ces témoignages de personnes ayant vécu une mort clinique pour douter encore plus de la résurrection de Jésus…

Donc au lieu de nous permettre d’avancer dans l’échange, chercher à fonder la croyance dans la résurrection de Jésus dans les témoignages des near death experience ne fait que repousser le problème.

C’est pourquoi, je crois que nous aurions tout intérêt à prendre la question d’une autre manière.

Aucune preuve !

Jamais nous n’aurons de source directe nous permettant de savoir ce qui s’est exactement passé. En ce sens, jamais, nous ne pourrons prouver la résurrection de Jésus.

Par contre, ce que nous avons entre nos mains, c’est le témoignage des Ecritures, c’est le sens que les premiers témoins ont produit et élaboré à partir de ce qu’ils ont vécu.

C’est cela qu’il est intéressant d’observer. En vivant la crucifixion, les premiers chrétiens ont vécu un tsunami ;  de même confronté au tombeau vide, ils ont été profondément ébranlés.  Ils auraient pu en être tellement sidérés qu’ils se seraient retrouvés comme la femme de Loth, transformés en statue de sel !

Or au lieu de cela, nous avons la trace en lisant les Ecritures qu’ils se sont laissé être  profondément travaillés par ces événements, et qu’en retour, loin de devenir de marbre, cela les a rendu plus vivants, plus confiants. Dans le creuset de ces événements, s’est forgé peu à peu, suite à moult dialogue, moult lecture et relecture des Ecritures, une conviction profonde.

Ce matin, je vous invite à écouter le passage de Paul comme étant la trace d’un homme, qui profondément secoué par les événements cherche à élaborer, à donner du  un sens à ce qui lui est arrivé.

Pour parler de la résurrection, Paul commence par dire :

« Je vous ai transmis, avant tout,  ce que j’avais moi-même reçu. »

japon-fleurs-clycine-arbre-centenaire-2En parlant comme il le fait, Paul ne cherche pas à établir par des preuves solides la réalité de la résurrection du Christ, il ne convoque pas des faits objectivement constatés ou homologués après l’audition de différents témoins.  Non, Paul entend simplement  démontrer que sa prédication que certains de Corinthe ont attaquée, s’inscrit dans la même ligne que celle des autres apôtres.  « Même si je vous l’ai dit autrement, ce que je vous ai dit rejoint ce que d’autres, Pierre, Jacques et les autres apôtres disent… »

« Je vous ai transmis, avant tout,  ce que j’avais moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures. Il  a été enseveli, il s’est réveillé le troisième jour, selon les Ecritures »

Dans ces quelques lignes, Paul rappelle les faits essentiels : Jésus de Nazareth est mort. Réellement. Quand il est dit «  il a été enseveli », cela  veut dire qu’il a été constaté en état de mort clinique  selon les normes de l’époque.  Or le troisième jour, des témoins et pas des moindres affirment que Jésus leur est apparu vivant.

Comment comprendre tout cela ? Comment faire tenir tout cela ensemble de manière cohérente ? Déjà à l’époque, c’était un défi ! Cela semblait inconcevable !

Or pour donner du sens à tout cela, Paul ne se met pas à parler de la résurrection en général. Mais par deux fois, il dit : « selon les Ecritures ». Paul ne prétend pas  fournir un rapport de médecin légiste prouvant et la mort et la résurrection de Jésus. Paul entend mettre en résonnance ces témoignages et ces événements  avec le formidable univers narratif des Ecritures de manière à ce que ces Ecritures aident à extraire de ces événements troublant un sens qui enracine dans la vie.

Ce qui est encore plus intéressant, c’est de réaliser ceci : quand Paul dit « Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures », on pourrait croire qu’il cite un passage de l’ancien testament. Par exemple qu’il cite le passage d’un psaume ou d’un prophète qui justement dirait  mot pour mot cela : « Christ est mort pour nos péchés ».

Or vous pouvez lire tout l’Ancien Testament, en hébreu, en grec, en latin, en français, vous pouvez le lire de long en large, du début à la fin, et de la fin au début, à aucun endroit vous ne trouverez cette phrase.

De même, pour la suite de ce que Paul écrit : «  Il a été enseveli, il s’est réveillé le troisième jour  selon les Ecritures. » Là aussi, à aucun endroit, vous trouverez dans tout l’ancien testament, mot pour mot cette phrase.

Etonnant, non ? Par deux fois en deux lignes, Paul souligne fortement « selon les Ecritures ».  Or, nous avons beau fouiller dans le texte des Ecritures en question, nous en revenons bredouilles !

Cela s’explique, me semble-t-il, si on interprète «  selon les Ecritures » de la façon suivante : non selon la lettre des Ecritures, mais selon la logique interne du récit déployé par les Ecritures. Car une fois qu’on a lu de long en large les Ecritures, ce qui est reste, c’est une sorte de grammaire profonde qui nous permet non pas de réciter comme des perroquets la Bible, mais une grammaire profonde qui nous permet de penser, de vivre et d’agir selon l’esprit, la logique interne des Ecritures.

La logique interne des Ecritures qui émerge quand on se met à réfléchir la crucifixion du Christ, c’est qu’il est mort non pas inutilement, mais qu’il est mort pour nos péchés. Broyé par une grosse vague sombre représentant tout ce que l’humain peut avoir de sombre, jalousie, trahison, mesquinerie, Jésus est décrit comme étant celui qui absorbe nos péchés, sans être écrasé par eux. Enveloppée de cette signification, la mort du Christ ne produit plus en nous la colère, le dépit ou le désespoir, mais elle produit en nous une libération, un allègement, un immense respect et une profonde reconnaissance.

De même, la logique interne des Ecritures qui émerge, quand on se met à réfléchir aux différents témoignages affirmant qu’il est vivant, c’est que l’affirmation « Jésus le crucifié vit » est une partie d’un plus vaste récit, racontant comment Dieu agit dans le monde pour le mener à son salut.

La vie, la mort et la résurrection du Christ sont une partie d’une longue et vaste épopée. Plus nous nous immergeons dans cette épopée déployée dans les Ecritures, plus nous la lisons et la méditons, plus se forge en nous la conviction suivante : la réalité, toute la réalité, malgré ses contours chaotiques et révoltants, toute la réalité demeure finalement sous le rayonnement d’un amour divin.

Ainsi, pour les premiers chrétiens,  croire en la résurrection, c’est croire que Dieu aime le monde et tout ce qui s’y trouve, et que le désir de Dieu ultimement est que l’aventure humaine dans ce monde n’ait pas à sa perte, mais qu’elle aboutisse au salut et à la vie réconciliée.

Ainsi pour Paul, il ne s’agit pas de prouver la résurrection, mais de resituer  tous ces événements touchant à la vie de Jésus dans la grande arche du récit déployé par les Ecritures.

Au moment où il écrit, un modèle est en train d’émerger. Même si entre Pierre, Jacques et Paul, les témoignages divergent, même s’ils tâtonnent, ils se retrouvent tous autour de ces quelques phrases.

«  le Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures. Il  a été enseveli, il s’est réveillé le troisième jour, selon les Ecritures »

Cette manière de présenter les choses, même si elle est balbutiante permet  de ne plus être sidéré, mais d’explorer, de penser de manière féconde les événements touchant à la vie, la mort et la résurrection de Jésus.

Témoins d'une formidable épopée !

Pour que la discussion aille loin avec nos contemporains sceptiques quand à la probabilité de la résurrection, je trouve important que nous ne nous égarions pas dans des démonstrations visant à prouver scientifiquement la possibilité de la résurrection.

kruisMais je trouve beaucoup plus fécond de prendre le temps de resituer ce qui est dit de cet événement par les premiers chrétiens dans la grande épopée déployée par les Ecritures. En agissant ainsi, je pourrai encore parler aujourd’hui de la résurrection, comme une confession audacieuse :

malgré tout le chaos dont nous pouvons être témoins, la dynamique ultime de l’univers est un Dieu aimant, capable de faire sortir la vie de la mort, et qui veut la réconciliation ultime  de tout le cosmos, ceci incluant mon propre salut.

Cette confession est essentielle, pour deux raisons :

La première : parce qu’elle n’exige pas le sacrifice de notre raison. Elle permet une foi robuste,  coexistant avec une quête rationnelle sérieuse et exigeante.

La foi chrétienne ne nécessite pas une croyance générale en les miracles. Mais seulement la conviction que l’amour de Dieu est capable de faire surgir la vie de la mort.

Cette confession que Jésus est ressuscité est essentielle pour une deuxième raison : en prenant appuis sur elle, je peux prendre le contre-pied des observations  qui sous couvert d’empirisme, développe une vision cynique du monde, une vision où le monde est déchainé et sauvage, qu’il n’est qu’une place de violence, de souffrance et de mort.

Une espérance cruciforme !

Parler aujourd’hui de manière crédible de la résurrection nous engage à développer,  dans un monde si souvent accablé par le cynisme et le désespoir une espérance cruciforme.

Suivre la trace du Crucifié ressuscité, nous engage dans un ministère de soutien à ceux que le Christ a servi, les pauvres, les exclus, ceux qui sont en marge de la société.

Suivre le Crucifié ressuscité, c’est aller  aujourd’hui dans les ghettos urbains, rongés par le chômage, la colère et les trafics de drogues ; il nous faut aller dans les chambres d’hôpitaux où règnent des maladies incurables, en phase terminale ; il nous faut aller dans les couloirs sombres où sont prostrés ceux qui sont victimes des abus et de la violence.

Suivre le Crucifié ressuscité, c’est accepter l’appel à s’identifier avec ceux qui souffrent, mais ce faisant, c’est aussi vivre et  découvrir  au cœur de cette réalité que le Crucifié est ressuscité, que le dernier mot qui sera donné sur la Création ne sera pas celui de la souffrance et du désespoir, mais que ce sera un mot d’amour !

Amen

Luc-Olivier Bosset, mars 2017