Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils étaient tous ensemble au même endroit. Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d'un vent violent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues qui semblaient de feu leur apparurent, séparées les unes des autres, et elles se posèrent sur chacun d'eux. Ils furent tous remplis du Saint-Esprit et se mirent à parler en d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer. Or il y avait en séjour à Jérusalem des Juifs, hommes pieux venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. À ce bruit, ils accoururent en foule, et ils furent stupéfaits parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue. Ils étaient [tous] remplis d'étonnement et d'admiration et ils se disaient [les uns aux autres]: «Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous galiléens? Comment se fait-il donc que nous les entendions chacun dans notre propre langue, notre langue maternelle? Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée, de la Cappadoce, du Pont, de l'Asie,  de la Phrygie, de la Pamphylie, de l'Egypte, du territoire de la Libye voisine de Cyrène et résidents venus de Rome, Juifs de naissance ou par conversion, Crétois et Arabes, nous les entendons parler dans notre langue des merveilles de Dieu!» Tous remplis d'étonnement et ne sachant que penser, ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?» Mais d'autres se moquaient et disaient: «Ils sont pleins de vin doux.»

Actes 2, 1-13 (version Segond 21)

pc2017Aujourd'hui, vous venez d'accomplir un premier pas sur le chemin vous conduisant à votre majorité !  Ah ! Accéder à la majorité ! Est-ce que vous y pensez parfois ? Est-ce que vous pensez à cette date de vos 18 ans, à partir de laquelle vous pourrez voter, conduire seul, vous marier…

Oui, c'est vrai, avant vos 18 ans, il y a encore devant vous tout un chemin. Il n'empêche : ce que vous venez de vivre aujourd'hui enclenche un processus important.  Le cap de votre majorité n'est plus une destination lointaine. Il se rapproche peu à peu.  Or vivre la première étape de ce processus un dimanche de Pentecôte donne de la profondeur à votre démarche.  Pourquoi ? Parce que dans la logique du récit biblique, Pentecôte est le moment où les disciples accèdent symboliquement à leur majorité.

Avant Pentecôte, dans le récit, les disciples sont appelés, entourés, accompagnés, formés. Où qu'ils aillent, quoiqu'ils fassent, le maître n'est jamais loin. Epoque rassurante pendant laquelle, les disciples découvrent, expérimentent, testent en ayant toujours un filet.  

Or voilà que ce qui se passe à Pâques rompt cette manière de fonctionner. Jésus est crucifié, il meurt et même si le récit nous dit que trois jours après, Dieu le ressuscite,  désormais le maître ne sera plus jamais auprès de ses disciples comme il avait pu l'être auparavant.

Pâques est un tel choc qu'il en découle une période de flottement. Les disciples réalisent qu'ils vont devoir agir, sans désormais pouvoir s'abriter derrière le maître. Le mot " Pentecôte " signifie  50ième jour après Pâques. Pendant ces 50 jours, nous voyons les disciples tanguer, cheminer du désarroi à une liberté responsable. Peu à peu, ils réalisent que, dans ce qui leur arrive, une occasion leur est donnée d'évoluer et de grandir. Ainsi, Pentecôte, la fête des 50 jours  symbolise le temps nécessaire jusqu'à ce que l'on soit prêt à vivre sa majorité.

En vous parlant ainsi, une métaphore me vient à l'esprit. C'est celle du planeur qui a besoin d'être tracté afin de pouvoir s'élever dans les airs. Si l'avion remorqueur est devant le planeur, c'est pour lui donner la hauteur et la vitesse nécessaire. Une fois ce seuil atteint, l'avion remorqueur a accomplit sa mission. Le câble peut être décroché et le planeur voler par lui-même.

Ainsi Pentecôte est le moment où pour les disciples le câble se décroche.  C'est le moment de vérité où en étant aux commandes du planeur, ils  se sentent libres, tout en étant tremblants face à cette responsabilité.

Le maître remorqueur n'est plus là pour leur ouvrir la voie. Dès lors, Que leur reste-t-il ?  Tout un vécu commun au cours duquel, ils ont pu emmagasiner plein d'expériences, plein de connaissances, plein d'histoires. Ce vécu commun est comme cette énergie cinétique, cette vitesse que le planeur reçoit du remorqueur.

Au moment où le câble se décroche, la question est : toute cette énergie, les disciples, que vont-ils en faire ? Vont-ils simplement gérer l'acquis, ou trop stressé par cette nouvelle situation,  chercher à atterrir le plus vite possible ? ou vont-ils prendre appuis sur cette énergie pour découvrir à leur tour l'aventure du vol à voile ?

Ainsi le jour de Pentecôte célèbre ce moment fondateur où les disciples remplis de tout ce qu'ils ont vécu, reçu, compris, réfléchis, médité, (non pas qu'ils s'en rappellent parfaitement, ils ont surement oublié bien des choses, mais après avoir vécu et oublié, ce qui reste en eux,  c'est le souffle, c'est l'Esprit… ) Donc, Pentecôte est ce moment fondateur où les disciples  " remplis d'Esprit Saint ", nous dit le récit,  ne le rangent  pas au placard, mais prenant appuis sur ce souffle, se mettent à voler de leurs propres ailes à la rencontre des autres.

Pendant des années, vous avez été remorqués. Vous avez eu devant vous plein d'adultes qui ont été cet avion remorqueur vous transmettant leur connaissance, dont celle de la Bible, vous organisant des camps, des week-ends afin que vous puissiez vivre des moments joyeux et paisibles et ainsi remplir votre réservoir d'amitiés et de douceur.

Cette transmission n'avait pas pour but de vous enfermer dans un enclos. Mais de vous donner de la vitesse, de l'énergie afin que votre planeur puisse décoller, s'élever dans les airs. L'église, ce n'est pas une tribu qui nous lierait les uns aux autres pour toujours, c'est une école de vol à voile où ensemble, fort de ce que nous avons reçu, nous apprenons,  en prenant appuis sur le Souffle, à voler à la rencontre du monde et des autres.  

En vous écoutant tout à l'heure, nous livrer ce que vous retirez de ce que vous avez reçu, quelque chose me dit que vous êtes prêts pour qu'un câble se décroche. A vous de jouer !  En vous appuyant sur ce que vous avez  reçu  et en faisant confiance au Saint Esprit, élancez-vous dans une nouvelle dimension de votre vie !

Ce qui m'étonne dans ce récit de Pentecôte,  c'est de voir combien cette bascule transforme les disciples. Jusque là, dans le récit, les disciples parlent peu, très peu, justes quelques phrases qui souvent nous les révèlent comme étant plein de bonne volonté certes, mais souvent en décalage, à côté de la plaque. Or voilà que le décrochage du câble les propulse dans une autre dimension. Alors qu'ils doivent voler de leurs propres ailes, ces mêmes disciples se révèlent être des belles et fortes personnalités, sachant prononcer des paroles  profondes et édifiantes, tout à fait à la hauteur des défis qu'ils doivent affronter.

A quoi est dû cette mue ?  Quand nous lisons la suite du livre des actes, nous découvrons que, plus ces disciples  témoignent  de ce qu'ils ont vécu au contact de Jésus, plus ils deviennent autres. Comme si en re-racontant avec leur mot l'Evangile, quelque chose en eux se transformait.

Une histoire juive raconte l'anecdote suivante. Un jour, un animateur en catéchèse va voir son rabbin pour lui demander : comment devons-nous raconter et transmettre les histoires ? Et le rabbin de lui répondre :

buber hasMon Grand-père était boiteux. Un jour, des gens vinrent le voir pour lui demander de raconter une histoire sur le rabbin qu'il avait eu au talmud Thora. Et mon grand-père commença par raconter comment son rabbin avait l'habitude de sautiller et de danser pendant qu'il priait. Alors qu'il parlait, mon grand-père se leva, et tellement pris par son histoire, il commença lui-même, sans se rendre compte de ce qu'il faisait et à la surprise de tous, à sautiller et danser. Il ne voulait que raconter et montrer comment son maître faisait, mais finalement, il en a été transformé profondément. Depuis cette heure, mon grand-père n'a plus jamais vécu son handicap de la même façon. C'est ainsi qu'il faut raconter ce que nous avons à dire.

( Martin Buber, les Récits Hassidiques)

Cette même dynamique est à l'œuvre dans la vie des disciples le jour de Pentecôte. En racontant les merveilles de Dieu vécues au contact de Jésus, et en racontant non pas de manière mécanique, ronronnante, mais avec un langage personnel, vivant, à l'image de cette langue de feu qui se pose sur chacun d'eux, les disciples sont pris dans une dynamique joyeuse, aspirés par des courants ascendants et les voilà en train d'accomplir, sans se rendre compte et à la surprise de tous, quelque chose qu'ils n'avaient encore jamais fait.

Voilà ce que nous vous souhaitons aujourd'hui. Fort de ce que toute cette énergie que vous avez reçue, que vous osiez à votre tour raconter cette histoire qu'est l'Evangile, que vous la racontiez non pas comme une leçon apprise, comme si vous en étiez extérieur, mais que vous la racontiez de l'intérieur et que vous aussi, vous puissiez expérimenter une mue, expérimenter combien raconter de manière vivante l'évangile, cela nous transforme, nous libère et  nous rend audacieux et joyeux.

Vous savez nous sommes tous des boiteux ! Nous avons envie d'aider les autres, de les respecter, de faire plein de choses belles et nobles, mais souvent les événements qui nous arrivent, les multiples sollicitations font que nous n'allons pas bout de nos envies. Nos élans généreux restent boiteux !  Notre foi que nous aimerions rayonnante de paix et de sérénité est travaillée par le doute, tant et si bien qu'elle aussi reste bien souvent boiteuse. Notre confiance, enserrée dans les ronces et les soucis de la vie, reste boiteuse.

Si en église, nous voyons que l'autre boite, qu'il n'est pas cohérent, qu'il ne va pas jusqu'au bout de ce qu'il annonce, au lieu de le juger, demandons-lui simplement de nous re-raconter l'Evangile. Demandons-lui ce qu'il en a compris, ce qu'il en retient. Et encourageons-le à le faire jusqu'à ce qu'une flamme de feu l'habite et libère en lui les trésors de générosité et de joie qui jusque là sommeillaient au fond de lui. 

À Pentecôte, lorsque le câble se décroche, le récit ne nous décrit pas des disciples en train de se dire  de manière volontariste : que nous faut-il changer, pour être à la hauteur de la nouvelle situation ? Que nous faut-il améliorer pour que nous devenions majeurs ?  Nous ne les voyons pas en train d'établir des business plans et des projets de conquête.

Par contre là où la joie apparaît au contact de l'évangile, à l'image de cette langue de feu qui danse sur leur tête, les disciples ne se cabrent pas, mais ils se laissent être renouvelés par elle et ils se mettent à faire des choses qu'ils n'auraient jamais pensé faire. Ils se laissent sortir de leur zone de confort, non par devoir, par envie de réussite, mais parce qu'ils font confiance à cette joie qui les animent.  
Ils deviennent peu à peu majeurs, non parce qu'ils l'auraient décidé, mais parce que, renouvelés par la joie, ils accomplissent des actes qui mettent en relation, qui relient.

En cette année anniversaire des 500 ans de la Réforme, il peut être très intéressant de méditer  cette dynamique de renouvellement. La Réforme n'a pas surgit, parce qu'un jour des Réformateurs en auraient décidé ainsi. La Réforme est advenue parce que des personnes se sont laissés être renouvelées par les interrogations de leur temps, tout en maintenant une proximité avec les Ecritures.

En écoutant le monde, en travaillant les Ecritures, les Réformateurs ont remis au goût du jour une conviction traversant toute la Bible, à savoir que quoi qu'il puisse arriver, nos vies et notre aventure collective sont au bénéfice d'un amour qui croit tout, qui espère tout, qui endure tout, un amour qui finalement trouvera le moyen de nous sauver.

S'ils ont remis au goût du jour cette conviction, c'est parce que cette dernière entrait en résonnance profonde avec une question existentielle centrale de leur temps et que cet écho produisait  en eux une joie profonde et paisible. "C'est que quand on parle de la Providence de Dieu, ce mot ne signifie pas qu'étant oisif Il spécule ce qui se fait en terre, mais plutôt qu'Il est comme un Patron de navire qui tienne le gouvernail pour diriger tous événements. "

La langue de Calvin a beau être dans ses expressions quelque peu désuète, il n'empêche, nous pourrions dire comme la foule de Pentecôte, que nous y entendons chanter les merveilles, les hauts fait de Dieu, que nous y entendons cette confiance joyeuse d'être au bénéfice de la Grâce.  Les Réformateurs n'ont pas voulu, planifier ce qui allait devenir la Réforme. Ils ont simplement chanté dans leur langue cette conviction qui entrait en résonnance avec leurs questions et qui les rendait joyeux.  Et ce faisant, ils se sont laissé être renouvelés, et entrainés par cette joie, pour accomplir des choses qui n'avaient encore jamais été faites, pour produire une forme d'église, et par delà une forme de société  plus ajustée aux besoins nouveaux s'exprimant dans leur temps.

À l'écoute de notre actualité, travaillons les Écritures, jusqu'à que la joie, telle une langue de feu se pose sur nous et nous saisisse.  Puis entrainés par cette joie, osons décrocher le câble, osons à notre tour sortir de notre zone de confort pour vivre et inventer avec nos contemporains une nouvelle manière de faire église. Abordons  avec eux toutes les questions en osant dire notre point de vue, même si ce dernier n'est pas partagé par tous ; et que la joie fasse que nos contemporains entendent, dans nos balbutiements, une espérance.

Amen

Luc-Olivier Bosset, dimanche 4 juin, Pentecôte 2017 (Temple de la Rue Maguelone à Montpellier)