Qui trouvera une femme de valeur ? Son prix dépasse de loin celui des coraux. Le cœur de son mari a confiance en elle, et le bénéfice ne manque pas. Elle lui fait du bien, et non pas du mal, tous les jours de sa vie. Elle se procure de la laine et du lin et travaille de ses mains avec plaisir. Elle est comme les bateaux d’un marchand, elle fait venir son pain de loin. Elle se lève lorsqu’il fait encore nuit, elle donne de quoi manger à sa maison, elle donne ses instructions à ses servantes. Elle pense à un champ et elle l’acquiert ; du fruit de ses mains elle plante une vigne. Elle ceint ses reins de force, elle affermit ses bras. Elle sent que ce qu’elle gagne est bon ; sa lampe ne s’éteint pas la nuit. Elle met la main à la quenouille, ses mains tiennent le fuseau. Elle ouvre ses mains pour le pauvre, elle tend la main au déshérité.Elle ne craint pas la neige pour sa maison : toute sa maison est vêtue d’écarlate. Elle se fait des couvertures, elle a des vêtements de fin lin et de pourpre rouge. Son mari est reconnu aux portes de la ville, lorsqu’il est assis avec les anciens du pays. Elle fait des sous-vêtements et les vend, elle livre des ceintures au marchand. Elle est revêtue de force et de dignité, elle se rit de l’avenir. Elle ouvre la bouche avec sagesse, sa langue enseigne la fidélité. Elle surveille la marche de sa maison, elle ne mange pas le pain de la paresse. Ses fils se lèvent, ils la déclarent heureuse ; son mari se lève, il la loue. Beaucoup de filles ont montré leur valeur ; toi, tu les surpasses toutes. La grâce est trompeuse et la beauté futile ; la femme qui craint le Seigneur, voilà celle qui sera louée. Donnez-lui du fruit de ses mains ; qu’aux portes de la ville ses œuvres la louent !

Proverbes 31, 10-31 (Nouvelle Bible Segond)

femmeQue les choses soient claires entre nous ! En prêchant sur ce passage de la Bible, je ne cherche pas à dire que ce portrait ancien est un guide pour notre temps sur la place que les femmes auraient à tenir dans la société ! En prêchant sur ce passage de la Bible, je ne suis habité par aucune volonté d'enfermer les femmes à la maison !

C'est toujours très délicat de prêcher en tant qu'homme sur un passage de la Bible qui met en avant la femme. Car nous touchons à une question sensible. Celle de nos rôles aux uns et aux autres dans la société. Des rôles dont la perception sociale a beaucoup évolué ces dernières décennies et où le but est d'arriver à une reconnaissance pleine et entière de l'égalité.

Par rapport à cette évolution, il est clair, que la Bible présente une vision d'avant. Pour un vieux livre comme elle, façonnée par la culture antique, il n'est pas possible qu'il en soit autrement ! Donc, s'appuyer sur elle pour aborder en tant qu'homme la question du statut de la femme éveille de suite le soupçon d'être habité par une secrète envie, nostalgique et réactionnaire de revenir à un temps révolu.

Dès lors pourquoi prêcher sur de tels textes ?

L'autre jour à ma fille qui s'interrogeait sur son avenir et qui disait être intéressée par la biologie, la conseillère d'orientation lui a répondu que souvent les filles choisissaient la biologie, délaissant les écoles d'ingénieur aux garçons, mais que cela n'était pas une fatalité, qu'il fallait aussi qu'elle s'interroge pourquoi elle était intéressée à faire de la biologie, est-ce que c'était vraiment ce qu'elle voulait faire ? ou était-ce sous la pression d'une convention sociale ?

Du coup, dans ce contexte, où beaucoup de discours pousse les uns et les autres à s'extraire des conventions sociales, des rôles que la société nous donnent en tant qu'homme ou femme, la Bible n'a pas bonne presse. Elle est souvent cataloguée du côté de cette tradition qui nous enferme dans des rôles. Une tradition dont il faudrait aujourd'hui lucidement se détacher pour enfin pouvoir tracer librement sa voie.

En effet, la Bible regorge de phrases, d'histoires qui donnent à la femme un rôle dans lequel bien des femmes d'aujourd'hui ne se reconnaissent plus.

Cependant, il y a quelques passages bibliques qui tirent leur épingle du jeu. Celui que nous avons entendu ce matin est parmi ceux-là. Dans le contexte actuel, ce passage suscite de la curiosité, parce qu'il développe une vision très positive de la femme. Une femme qui a la capacité à faire vivre et développer les affaires complexes d'une large maisonnée, une femme qui s'organise pour que la nourriture puisse arriver, même de loin, fournissant les repas, supervisant des domestiques, développant la fortune, plantant des vignes, créant et vendant des habits, étant généreuse avec les pauvres, bref, une femme digne d'être classée comme entrepreneur d'une PME et qui peut avoir de l'influence et de la puissance dans la marche du monde.

Dans le livre des Proverbes, une telle femme est nommée « femme de valeur », que l'on pourrait aussi traduire par « femme de caractère. » Or justement récemment en Afrique du Sud, un mouvement issu des églises a surgi. En reprenant cette expression du livre des Proverbes, il a choisi de s'appeler « les femmes de valeurs ». Ce mouvement a pour but de promouvoir le droit des femmes et d'encourager chacune d'elle à prendre son destin en main afin que leur statut social change dans la société sud-africaine.

Cependant, même si ce texte d'aujourd'hui délivre une vision positive de la femme, attention à ne pas le brandir trop triomphalement, en croyant que nous aurions en lui une réponse imparable à tous ceux qui ne voient dans les Ecritures que des récits dévalorisant et injustes pour les femmes !

sagesseCar ce passage n'est pas sans odeur de souffre ! En effet, des théologiennes féministes pointent de manière critique les observations suivantes. Premièrement, à aucun moment, il n'est fait mention du loisir, du repos de cette femme de caractère ! En fait, on ne vante que son travail. Comme si elle n'avait pas le droit de souffler. Deuxièmement, cette femme de caractère n'est louée, non pas parce qu'elle aurait une valeur en soi, mais seulement pour les services qu'elle rend à son époux, un mari qui grâce au travail efficace d'une telle épouse acquiert un prestige social, « est reconnu aux portes de la ville » (v.23), nous dit le texte. Troisièmement, dans ce portrait, cette femme est décrite comme indépendante, elle décide seule d'acheter un champ (v.16), elle n'attend pas l'approbation de son mari pour la marche de ses affaires. Cependant, force est de reconnaître que ce portrait est celui d'une femme de l'époque qui est aisée, femme d'un propriétaire terrien. En ce sens, ce n'était pas la situation socioéconomique, et loin s'en faut, de toutes les femmes de l'époque. Leur quotidien était plutôt d'être des domestiques, ne recevant aucune éducation, soumise à un travail ingrat et qui était considérée comme étant la propriété de leur époux.

Dès lors, si ce texte doit être pris comme une prescription, comme un idéal que les femmes se doivent de mettre en œuvre, force nous est de constater qu'il ne peut être atteignable, si tant est que cela soit possible, que par une couche infime de la population. C'est un texte élitaire ! C'est pourquoi, si nous prenons ce texte comme un texte prescriptif, c'est à dire disant ce que la femme doit être dans la société, attention aux peaux de bananes !

En préparant ce message, je suis tombé sur la lettre d'une femme de notable du XVIII siècle qui dans sa correspondance avec une amie disait combien elle essayait dans sa vie de tous les jours être à la hauteur de ce portrait de cette femme de valeur du livre des Proverbes. Comme cette femme de caractère, elle veillait à bien gérer sa maisonnée et l'éducation de ses enfants ; comme elle, elle passait beaucoup de temps également à accomplir des œuvres de charité, « à ouvrir ses mains pour le pauvre, à tendre la main pour le déshérité » (v. 20). Cependant, en écrivant à son amie, notre dame du XVIII e siècle se demandait comment être à la hauteur et arriver comme cette femme de caractère à se lever tôt, à se coucher tard, quand il fallait faire tant de chose dans la journée ?

Voilà où on en arrive, quand on ne fait que vanter le travail, sans à aucun moment parler du repos et du loisir d'une telle femme de caractère !

À le brandir comme un idéal à appliquer, ce passage peut provoquer découragement et épuisement, quand il n'est pas perçu comme étant quelque chose d'inaccessible !

Dès lors, pourquoi encore le lire aujourd'hui ? À quoi cela peut-il servir ?

Ne devrait-on pas le ranger au placard une bonne fois pour toute, et nous intéresser à d'autres questions de société où la Bible aurait un message plus intéressant à faire passer ?


Pour ma part, j'ai simplement envie de m'intéresser à ce texte en étant étonné qu'il soit la conclusion du livre des proverbes.

D'ailleurs, il est très intéressant de constater que ce même livre des Proverbes s'ouvre sur une présentation de la Sagesse, c'est à dire un état éminemment recherché et positif dans le Moyen Orient de l'époque, un état qui est même vu comme l'accomplissement de toute une vie : acquérir la sagesse, eh bien il est très intéressant que cet état soit personnifié par une femme. Une femme qui éduque et enseigne sur les places publiques, une femme qui, sur la place publique, assume un rôle éminent, celui d'interpeller, débattre, jusqu'à convaincre celui qui l'écoute de la suivre.

Or voilà que ce même livre des Proverbes se termine par une autre personnification de la Sagesse, par ce portrait d'une femme de caractère. Ce qui m'étonne plus que toute chose, c'est que la Sagesse soit métaphorisée par une femme immergée dans le quotidien.

Rendez-vous compte ! À l'époque, la Sagesse vue par les yeux d'un philosophe grec, la sagesse s'acquérait par la contemplation de ce qui ne change pas. Pour pouvoir être sage, il fallait aux yeux de ces philosophes, s'extirper de toutes les taches quotidiennes d'une maisonnée pour enfin, par la contemplation, s'unir avec ce qui est éternellement vrai et bon.

Prenant le contre-pied total de cette posture, la Bible nous donne à voir comme métaphore de la Sagesse une femme de caractère ayant un sens pratique développé, une femme astucieuse qui a les pieds bien sur terre, qui s'est retroussé les manches et qui met la main à la pâte en prenant des initiatives dynamisant son entourage, son quotidien.

En regardant une femme de caractère, tu apprendras à devenir sage ! Voilà le message que nous délivre ce texte. Un message qui s'il met en valeur une femme, ne s'adresse pas qu'aux femmes !

Chacun, homme et femme, est invité en s'immergeant dans son quotidien à développer des attitudes sages.

Quelqu'un de sage, ce n'est pas quelqu'un qui connaît par cœur une théorie, c'est quelqu'un qui dans son quotidien se comporte de manière à mettre en route une dynamique.

Dans le portrait de cette femme de caractère, il est très intéressant de constater que l'ordre qu'elle met en place n'est pas quelque chose de figé, de statique. La Sagesse n'institue pas dans des rôles traditionnels qu'il faudrait par la suite absolument maintenir. Au contraire, cette femme organise sa maisonnée, dans le but de confectionner des vêtements et de les vendre. S'il faut confectionner un vêtement, elle le fait ; s'il faut ensuite aller sur les places pour le vendre, elle le fait. Nous ne la voyons pas fixée dans un rôle. Au contraire, elle va d'un rôle à l'autre, non pas parce qu'elle papillonne, mais pour que son affaire avance, elle n'a pas peur d'endosser de nouvelles fonctions.

L'ordre qui se dégage de ce portrait est très différent de celui mis en valeur par les philosophes grecs. Eux parlent de lois éternelles qu'il faut contempler et ensuite appliquer. Ici, dans ce texte, l'ordre est mouvant, adapté aux circonstances, orienté vers un but constructif. C'est un ordre qui respire.

De plus, cete mise en ordre est dynamisante, car en agissant comme elle le fait, cette femme de caractère encourage d'autres personnes à se mettre en route ...

Quand le texte dit, que la femme de caractère donne ses instructions à ses servantes (v.15), cela signifie qu'elle ne les traite pas comme des automates, qu'elle n'est pas derrière leur dos pour leur dire à chaque instant ce qu'elles doivent faire. Au contraire, les considérant comme faisant pleinement partie de la maisonnée, la femme de caractère les encourage à mettre leur capacité au service du projet de produire des vêtement, de manière qu'en agissant ainsi les capacités des servantes soient renforcées et développées.


En méditant ce texte, je ne cultive pas une nostalgie réactionnaire, je ne reçois pas de lui un idéal inatteignable et décourageant, je ne reçois pas des rôles, des postures atemporelles sur ce que doit être la femme et en vis à vis, ce que doit être l'homme, mais je reçois une invitation à devenir sage !

La sagesse, ce n'est un ordre statique à appliquer, c'est une dynamique à inventer.

Ainsi ce texte me dit :

Tu deviendras sage en organisant ton quotidien de manière à mettre en valeur tout ce qu'il recèle. Tu deviendras sage en déployant dans ce quotidien des relations entre homme et femme, entre patron et employé, des relations qui permettent à chacun de devenir un jour une « femme de caractère ».

Amen

Luc-Olivier Bosset, temple de Cournonterral (dimanche 10 septembre 2017)