C'est pour la liberté que le Christ nous a libérés. Tenez donc ferme et ne vous remettez pas sous le joug de l'esclavage. (...) Car en Jésus-Christ, ce qui a de la valeur, ce n'est ni la circoncision, ni l'incirconcision, mais la foi qui opère par l'amour.

Galates 5, 1 et 6 (Nouvelle Bible Segond)

Quant à moi, jamais je ne mettrai ma fierté en rien d'autre que dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde ! Car ce qui importe, ce n'est ni la circoncision, ni l'incirconcision, c'est une création nouvelle.

Galates 6, 14-15 (Nouvelle Bible Segond)

emc2Quelle énergie me pousse à me lever chaque matin ? Habité par quelle énergie, ai-je l'intention de vivre ma journée ? Voilà le genre de questions qui peuvent découler de la méditation d'un des versets que nous venons d'entendre : « Car en Jésus-Christ, ce qui a de la valeur, ce n'est ni la circoncision, ni l'incirconcision, mais la foi qui opère par l'amour. » (Galates 5,6)

Disons-le d'entrée de jeu : ce passage un peu mystérieux, nous invite à puiser notre énergie non dans toutes les oppositions qui peuvent structurer une société (ici à l'époque de Paul, l'opposition structurant la société était entre autres : circoncision et incirconcision), mais à puiser notre énergie dans « la foi qui opère par l'amour ».

Concrètement, qu'est-ce que cela veut dire ?

1)

Tout d'abord, commençons par reconnaître que l'énergie, souvent, nous la puisons dans une opposition. Nous n'avons jamais autant de gnyack que lorsque nous avons pu identifier un adversaire bien précis et que nous sommes au clair sur le pourquoi il nous faut l'affronter.

Depuis l'antiquité, les philosophes ont cherché à expliquer le dynamisme d'une société en identifiant les oppositions autour desquelles gravitait le débat central de cette société. A l'époque de l'apôtre Paul, ces oppositions étaient par exemple : juif/grec ; circoncis/incirconcis ; esclave/homme libre ; homme/femme. Pour nous aujourd'hui, des exemples d'oppositions qui reviennent dans les discours ambiants sont : puissant/sans puissance; patron/ouvriers ; riche/pauvre; gauche/droite ; homme/femme; étranger/nationaux; nous/eux; sacré/laïc; croyant/athée.

M'identifier avec l'une de ces oppositions peut me donner de l'énergie. Par exemple, en m'identifiant à la paire esclave/homme libre, même si l'esclavage n'existe plus aujourd'hui en tant que statut social accepté, je peux trouver dans cette opposition une clé qui me rappelle le but de mon existence : passer de l'état d'esclave à celui d'homme libre. Un passage toujours à reprendre. Du coup, l'énergie qui me donnera de sortir de mon lit le matin pourra être celle qui me donne l'envie de débusquer et quitter les attitudes où je pense et j'agis comme un esclave pour avancer dans l'exploration du mystère de ce que peut bien être un homme libre!

Autre exemple : M'identifier au pôle homme/femme peut également me donner de l'énergie, même si là l'enjeu n'est pas le même qu'avec le pôle esclave/homme libre, Car avec le pôle homme/femme, l'enjeu n'est pas de quitter un état pour un autre. Non, l'enjeu est plutôt au contact du pôle opposé, en vivant pleinement la différence, de vivre une évolution, un approfondissement de mon identité profonde d'homme ou de femme. Lorsqu'il y a un dialogue authentique, une conversation vivante entre ces deux pôles et qu'aucun ne domine l'autre, alors la tension féconde entre les deux pôles fait que l'énergie se renouvelle.

Les affaires d'harcèlement sexuel qui font la une de notre actualité montrent combien aujourd'hui il y a quelque chose de socialement mal ajusté dans les relations homme/femme. Pour bien des femmes aujourd'hui, l'énergie qui les font se lever le matin, c'est l'énergie émanant d'une profonde blessure, l'énergie de la colère et de la rage. Tant que les relations sociales entre homme/femmes ne seront pas socialement mieux ajustées, elles parleront. Elles parleront afin qu'une autre manière d'être en lien avec le pôle opposé se développe. Une autre manière où leur dignité sera reconnue et respectée.

Voilà deux exemples, (il y en aurait d'autres) illustrant combien ce qu'on pourrait appeler une paire antinomique en se plaçant au centre de notre attention peut structurer nos débats de société et combien l'opposition bien identifiée entre deux pôles peut susciter de l'énergie.

2)

Dans le passage biblique que nous avons entendus tout à l'heure, nous avons bien perçu que Paul aussi fonctionne par opposition. Il écrit pour essayer de convaincre ses lecteurs qu'il ne faut plus s'identifier avec l'opposition suivante : circoncis / incirconcis.

Car cette opposition circoncis/incirconcis, quelle énergie développe-t-elle ? Est-ce que c'est une énergie qui rend libre ? Ou est-ce une énergie qui maintient dans une forme sournoise d'esclavage ?

binaireSi Paul pose cette question, c'est parce qu'il part du constat suivant. A la lumière de ce qui s'est passé à la croix de Golgotha, cette opposition circoncis/incirconcis, comme d'autres, a montré ses limites. Certes, cette opposition permet de structurer le monde, elle donne une identité aux uns, une raison de vivre aux autres. Mais la manière binaire dont les deux pôles sont articulés entre eux, d'un côté les circoncis et de l'autre les incirconcis, cette manière binaire est porteuse en elle d'une violence destructrice, une violence aliénatrice qui maintient en esclavage celui ou celle qui se laisse habiter par elle.

Cette violence aliénatrice, Jésus de Nazareth en a fait les frais. En mangeant avec des pêcheurs, en accueillant des prostituées, en prêchant l'amour des ennemis, en fréquentant des romains incirconcis, Jésus de Nazareth a brouillé les repères et transgressé les codes. Il a surtout contesté la manière binaire dont les deux pôles circoncis/incirconcis s'articulaient, montrant que la réalité est bien plus complexe que cela.

En mangeant avec des pêcheurs, en accueillant des prostituées, en prêchant l'amour des ennemis, en fréquentant des romains incirconcis, Jésus de Nazareth a montré que l'opposition antinomique circoncis/incirconcis socialement bien installée n'était pas un essentiel insurpassable avec lequel il fallait absolument s'identifier. Au contraire, Jésus a montré que cette paire antinomique n'était pas un absolu, Qu'elle n'était pas le tout pouvant structurer la société. Mais qu'elle était relative. Et que parce qu'elle n'était pas le tout, il fallait regarder plus loin qu'elle. Il fallait oser se libérer d'elle en s'identifiant à une autre opposition qui, elle, pouvait produire une tout autre énergie.

Paul parlera de cette autre antinomie en la nommant : monde présent et création nouvelle. (« car ce qui importe, ce n'est ni la circoncision, ni l'incirconcision, mais la création nouvelle » Gal 6,15). Le monde présent, c'est le monde où juifs et grecs, homme et femmes, esclave et homme libre s'opposent.

La création nouvelle, c'est un espace relationnel où les juifs et les grecs, les hommes et les femmes, les esclaves et les hommes libres ne sont plus opposés, car chacun a été en Christ réconcilié avec l'autre. Dans cette création nouvelle, l'énergie vient de la réconciliation et non de l'opposition. Du coup, en m'identifiant à cette nouvelle paire antinomique, le projet de toute une vie devient non pas de m'opposer à l'autre, mais de encore et toujours passer du monde présent à la création nouvelle. Dans la création nouvelle, l'énergie provient d'une foi qui opère par l'amour.

La foi qui opère par l'amour, c'est cette foi qu'a eu le Christ en restant jusqu'au bout ancré dans l'amour. Les forces obscures ont eu beau se déchainer contre lui, au cœur de ces ténèbres, il a témoigné d'un amour qui endure tout, qui espère contre toute espérance, un amour qui réconcilie tout.

Ainsi, en invitant ses lecteurs à dépasser l'opposition circoncis/incirconcis, Paul les invite à se laisser être rempli d'une énergie qui n'est plus celle qui vient de l'opposition, mais celle qui découle de la réconciliation. Passer du monde présent à la création nouvelle, c'est laisser mon identité être refaçonnée par l'Evangile afin que l'énergie qui m'anime le matin soit une énergie qui opère par l'amour.

3)

gauche droitePourquoi est-ce que je vous raconte tout cela ? Quel peut être le rapport avec notre quotidien d'aujourd'hui ?

Permettez-moi ici de partager avec vous la conviction suivante : La campagne présidentielle que nous avons vécue au printemps a montré combien l'opposition qui avait structuré notre société politique pendant plusieurs décennies, l'opposition Gauche/Droite, combien cette opposition était désormais remise en question. Au deuxième tour de l'élection, les partis emblématiques de la Gauche et la Droite ont été évincés par des partis considérant que cette opposition n'est plus opérante pour expliquer et organiser les évolutions de notre monde. Du coup, aujourd'hui, le débat est intense pour identifier quelle opposition structurera pour de nouvelles décennies notre vie sociale ? Sera-ce l'opposition patriote/mondialiste ? Sera-ce l'opposition ouvert/fermé ? Dans ce débat, je suis convaincu que le choix des mots est déterminant. Car en fonction de comment nous posons le problème, ce n'est pas la même énergie que nous mobiliserons.

Ici, l'évangile par l'énergie réconciliatrice qu'il crée en nous peut devenir une instance interpellatrice critiquant les oppositions qui sont en train de s'installer. L'évangile en me mettant en main les pôles « monde présent/création nouvelle » me donne une grille de lecture me permettant de ne pas reprendre tel quel, comme des absolus incontournables les oppositions cherchant à structurer notre monde, mais de les passer au crible et de les évaluer à la lumière de la vie de Jésus de Nazareth, une vie vécue dans la foi qui opère par l'amour.

Grâce à cette critique évangélique, nous resterons lucides pour que l'énergie qui nous fasse nous lever chaque matin, soit une énergie réconciliatrice.

Amen

Luc-Olivier Bosset, la Margelle (Montpellier), le 7 janvier 2018