Les disciples de Jean et les pharisiens jeûnaient. Ils vinrent dire à Jésus: Pourquoi les disciples de Jean et ceux des pharisiens jeûnent-ils, tandis que tes disciples ne jeûnent point? Jésus leur répondit: Les amis de l'époux peuvent-ils jeûner pendant que l'époux est avec eux? Aussi longtemps qu'ils ont avec eux l'époux, ils ne peuvent jeûner. Les jours viendront où l'époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront en ce jour-là. Personne ne coud une pièce de drap neuf à un vieil habit; autrement, la pièce de drap neuf emporterait une partie du vieux, et la déchirure serait pire. Et personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres; autrement, le vin fait rompre les outres, et le vin et les outres sont perdus; mais il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves.

Marc 2, 18-22 (Nouvelle Bible Segond)


vn cazes1. « À vin nouveau, outres neuves ! »

Dans le contexte très tendu que nous vivons, cette expression peut faire mouche.

Face à l’urgence climatique, face aux inégalités qui se creusent, face au ras le bol, une idée s’impose : une énième mise à jour ne suffit pas, il faut carrément un changement de logiciel.   

Il y a une année et demi, dans un livre intitulé « Révolution », un candidat déployait page après page  l’idée non pas d’une mise à jour, mais d’un dépassement des logiques habituelles.

Aujourd’hui, comme en miroir, des personnes vivant des fins de mois difficiles dans des territoires désertifiés en appellent elles aussi à briser les logiques traditionnelles, voir même à renverser le gouvernement pour … et là on ne sait pas très bien ce que ces personnes souhaitent mettre à la place, tant l’horizontalité du mouvement suscite un foisonnement d’ exigences  !

Que quelque chose change, nous pouvons tout à fait le souhaiter. Cependant, quel changement voulons-nous ? Comment voulons-nous le mettre en oeuvre ?

Pour nous faire réfléchir sur ce besoin de changement que nous éprouvons tous, faisons un détour par l’évangile.

2. « Et personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement le vin fait éclater les outres, et le vin et les outres sont perdus. À vin nouveau, outres neuves. » (Marc 2, 22)

A priori, par ces mots Jésus justifie la nécessité que les choses changent. Pour affiner notre perception, observons de plus près le contexte dans lequel de tels propos surgissent. Alors que Jésus était en train de se déplacer et qu’il arrive sur un rond-point, voilà qu’on lui demande de s’expliquer : « Pourquoi tes disciples ne jeûnent-ils pas, alors que les disciples de Jean et ceux des pharisiens jeûnent  ?» (Mc 2,18).  

Pourquoi changes-tu une pratique sociale centrale de l’époque, le jeûne ? Et Jésus de justifier ce changement en rappelant que le jeûne n’est pas une finalité en soi, mais qu’il a pour but de marquer ou non la présence du marié.

La métaphore du marié est vraiment intéressante parce qu’elle convoque avec elle tout un flot d’image positive : un événement exceptionnel et heureux, un mariage, les danses, un large rassemblement familial, amical pour lequel on se met sur son trente et un.

Ainsi la finalité qui vient faire évoluer la pratique du jeûne est une finalité heureuse, rassembleuse qui tire tout le monde vers le haut. Au nom de cette finalité, les disciples sont appelés à évoluer dans la manière dont ils avaient l’habitude de pratiquer le jeûne. Ils peuvent continuer de le pratiquer, mais plus selon les mêmes codes, selon la même logique. Le jeûne n’est pas une finalité en soi. Quand le marié est là, il faut oser le remettre en question. Il faut oser ajuster ses priorités. C’est la finalité à laquelle on adhère, qui réoriente peu à peu nos pratiques et change bien des choses.


3. Pour illustrer le changement dont il est ici question, permettez moi de prendre l’exemple de la pratique de la médecine.

Il y a quelques siècles, les médecins étaient sans doute sincères lorsqu'ils préconisaient d’utiliser des sangsues pour traiter une fièvre. Cependant, c’est parce que ces médecins n’ont pas mis au coeur de leur pratique l’utilisation des sangsues, mais la guérison du patient, qu’ils ne se sont pas entêté dans une manière de faire, mais qu’ils ont laissé leur pratique évoluer.

En ne perdant pas de vue leur finalité, les médecins ont étendu leur compétence et révisé leur pratique, mais aussi la manière dont ils comprenaient ce qu’était la santé du patient. Au fond, au nom de cette finalité, tout a bougé, tout a été renouvelé.

Aujourd’hui la pratique de la médecine n’a plus grand chose à voir avec la pratique de l’époque. Elle a été profondément transformée. Et ce processus n’est sûrement pas fini. Afin de toujours mieux prendre en compte ce qu’aujourd’hui on entend par la santé du patient, la pratique évolue.

En parlant de la métaphore du marié, Jésus invite ses interlocuteurs à suivre une finalité bonne, heureuse et rassembleuse ; et à laisser leurs pratiques  changer en fonction de cette finalité.


changement 20184. Quand Jésus parle des outres, il fait référence à ces récipients faits de peaux douces qui lorsqu’ils sont neufs sont encore capables de se dilater pour favoriser le souffle du vin nouveau en ébullition continuelle.

Si l’outre devenait  sèche et rigide à cause de l’usure du temps, alors elle n’aurait plus l’élasticité nécessaire à supporter la pression vive du nouveau vin. Ainsi elle ne pourrait que se fendre en faisant perdre et le vin et l’outre. J’entends dans cette parabole des outres neuves ou vieilles, une allusion à ces pratiques qui deviennent rigides parce qu’elles deviennent des finalités en soi, parce qu’elles ne se laissent plus être remises en question, assouplies, élargies par une bonne et juste finalité qui les dépasse. Du coup, ces pratiques deviennent incapables d’accueillir la nouveauté.

Eh bien face à cela, Jésus invite ses interlocuteurs à lever la tête, à prendre du recul et à retrouver le sens des priorités. Au nom de cette finalité bonne et heureuse, la présence du marié, les disciples sont invités à réviser leur pratique, et non seulement réviser leur pratique, mais aussi suivant authentiquement cette finalité, les disciples sont aussi invité à laisser leur compétence s’étendre et leur perception s’élargir. Plus ils suivront cette finalité bonne et heureuse, plus tout sera  changé et renouvelé.

5. Aujourd’hui, notre société est traversée par un puissant et profond besoin de changement.

Le détour par l’évangile vient questionner ce besoin en nous disant : aujourd’hui, prends le temps d’écouter ce besoin ; et demande-toi : par quelle finalité est-il gouverné ? Quand ce besoin de changement bascule dans la violence, est-ce qu’il est gouverné par une finalité bonne et rassembleuse ?

Quand ce besoin, au lieu de proposer des solutions alternatives,  alimente  une surenchère ( « tous à l’Elysée! »),  est-ce qu’il est gouverné par une finalité bonne et rassembleuse ?

Quand ce besoin de changement s’appuyant sur l’immense caisse de résonance offerte par les réseaux sociaux décrédibilise les informations garanties et vérifiées en inondant ces réseaux de rumeurs conspirationistes, est-ce qu’il est gouverné par une finalité bonne et rassembleuse ?

Quand ce besoin de changement enferme le débat dans des oppositions réductrices où le peuple est forcément juste et clairvoyant, où les élites sont nécessairement arrogantes et rapaces, et où aucune place n’est faite pour les corps intermédiaires, est-ce qu’il est gouverné par une finalité bonne et rassembleuse ?

Cependant, quand ce besoin de changement faire revenir dans le débat public des citoyens que l’on qualifiait d’invisibles parce qu’ils ne votaient plus, ne faut-il pas aussi prendre du recul et s’interroger ?  

Pour que ce mouvement éruptif passe de la contestation tous azimuts à la volonté de gérer le réel, le fonctionnement de notre démocratie ne doit-il pas évoluer en associant plus les citoyens à chaque niveau de décisions ?

Pour dépasser les oppositions stériles où l’on dresse l’écologie contre le social, l’économie contre l’agriculture, ne faut-il pas plutôt retrouver le goût d’une finalité bonne et heureuse, le bien commun ?  Si nous dépassons nos intérêts particuliers et que nous nous ajustions à une finalité bonne pour tous, alors nos efforts auront du sens et nous choisirons la vie.


Amen

Luc-Olivier Bosset, le 9 décembre 2018 au temple de Cournonterral.

1ere image extraite du site des 5 du Vin.