En ces jours–là parut un décret de César Auguste, en vue du recensement de toute la terre habitée. Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville. Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David appelée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. Pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait accoucher arriva, et elle mit au monde son fils premier–né. Elle l’emmaillota et l’installa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle. Il y avait, dans cette même région, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur survint devant eux, et la gloire du Seigneur se mit à briller tout autour d’eux. Ils eurent très peur. Mais l’ange leur dit : N’ayez pas peur, car je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple : aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau–né emmailloté et couché dans une mangeoire. Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait :  Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et, sur la terre, paix parmi les humains en qui il prend plaisir ! Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons donc jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.

Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge. Après avoir vécu sept ans avec son mari depuis sa virginité,elle était restée veuve ; âgée de quatre–vingt–quatre ans, elle ne s’éloignait pas du temple et prenait part au culte, nuit et jour, par des jeûnes et des prières. Elle aussi survint à ce moment même ; elle louait Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la rédemption de Jérusalem.

Luc 2, 15-24 et 36-38 (Nouvelle Bible Segond)

1.  Au mois de décembre, une coutume veut que, pour souhaiter un Joyeux Noël à ceux qui nous entourent, nous échangions des petits gâteaux ou des pains d’épices. Permettez-moi de prolonger cette coutume en vous proposant ce soir de nous arrêter auprès du personnage biblique d’Anne, fille de Phanuel de la tribu d’Asher. Pourquoi elle ? Parce que Anne vient de la tribu d’Asher. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, cela veut dire beaucoup !


anna p2. Au chapitre 49 du livre de la Genèse, le patriarche Jacob, arrivé au soir de sa vie, bénit chacun de ses douze fils qui formeront chacune des 12 tribus du peuple d’Israël. Arrivé vers son fils Asher, il lui dit en signe de bénédiction : « Chez Asher, le pain est excellent, la nourriture plantureuse ; il fournira les mets exquis du roi. » (Gn 49,20).

Ainsi s’arrêter auprès d’Anne, qui est issue de la tribu d’Asher, c’est s’exposer à une bénédiction. Celle d’être mis en contact avec une nourriture plantureuse. De plus, si nous tendons l’oreille, nous découvrons que l’étymologie du prénom Anne signifie « Grâce », et celle d’Asher signifie « Heureux ».

Alors pour que notre Noël 2018 soit joyeux, faisons un peu plus ample connaissance avec la prophétesse Anne, cette figure furtive des Ecritures bibliques, car le pain excellent qu’elle peut nous offrir n’est pas un pain qui nous rend repus, mais c’est une nourriture à la saveur de la grâce, une nourriture qui restaure notre être profond, qui fortifie notre aptitude à être heureux !

2. Par son attitude, Anne nous fait goûter un pain excellent, un pain qui ressuscite en nous l’envie de veiller !

Elle qui nous est décrite comme une femme très avancée en âge, elle n’est pas usée, elle n’est pas une âme habituée, résignée. Au contraire, elle est une âme  vivante, vibrante,  preuve en est son surgissement qui dans le récit semble bousculer les codes.

Et pourquoi surgit-elle ? Pour souligner que le quotidien vécu par les uns et les autres n’est pas banal, bancal, fatal. Mais qu’il s’y passe quelque chose.

À ceux qui attendaient la rédemption de Jérusalem (rédemption, Jérusalem sont des termes génériques et abstraits),… à ceux qui avaient peut-être une grande et belle idée de changement, mais qui se désespéraient de ne pas voir comment cette belle et grande idée pouvait se concrétiser, et qui peut-être était résignés, fatigués, usés,… eh bien face à ceux là, Anne se dresse joyeusement pour orienter les regards vers un nouveau-né, vers une dynamique  concrète qui commence doucement.

Car comme dans le conte, il y a toujours un décalage entre les idées que l'on se fait du roi et le roi réel. Entre l'idée que l'on se fait de la rédemption et la rédemption réelle… Ce qui fait qu'on peut passer toute sa vie à attendre, à attendre, à attendre et être toujours déçu, parce que rien ne vient qui corresponde à nos attentes.

À ceux qui avaient la tête remplie de grandes et belles représentations de la rédemption d’Israël, Anne oriente les esprits vers une réalité concrète qui est en train de commencer…

Comme si son grand âge l’avait rendu de plus en plus sensible non pas aux grands discours généraliste sur LA rédemption de Jérusalem, mais à toute la promesse  concrète, à tout le potientiel de changement qu’apporte la venue d’un enfant.

3. Comme si son grand âge l’avait  au fond rendu sensible à la parabole de la graine de moutarde… Vous savez cette parabole évangélique qui dit que le règne de Dieu ( et l’on pourrait ici ajouter La rédemption de Jérusalem ou plus simplement LA Libération ) est semblable à  « une graine de moutarde qu’un homme a prise et jetée dans son jardin ; cette graine pousse, elle devient un arbre et les oiseaux du ciel habitent dans ses branches. » (Luc 13, 18-19).

Souvent, nous pensons que si quelque chose d’important doit survenir dans nos vies, un changement qui rendrait notre vie belle, claire et lumineuse, cela doit arriver dans notre existence par la grande porte. De manière claire, nette et précise.

C’est pourquoi, concentré dans cette attente, nous ne tardons pas à oublier ces petits événements du quotidien   comme une simple naissance au milieu de l’immense empire romain.

Nous nous disons que cela ne vaut pas la peine que nous y accordions trop d’attentions à ces petits événements, pris que nous sommes par d’autres choses plus urgentes ou importantes, pris que nous sommes par nos plans à accomplir ou nos objectifs à atteindre.

Ainsi souvent, ces petits événements sont aussi lisses  qu’une graine de moutarde qui nous file entre les doigts. Du coup, nous n’y accordons pas notre attention, sûr et certains que nous sommes que le vrai grand changement  ne viendra pas par eux.

Or voilà que Anne en surgissant dans le récit, dans la droite ligne de la parabole évangélique, nous invite à changer de regard. Le grand changement vient souvent comme une graine de moutarde. Ce n’était qu’un simple nouveau-né et pourtant cela s’est révélé être une graine.

Malgré le fait que nous l’ayons chassé, oublié, ce tout petit rien s’est révélé être aussi dynamique qu’une graine. Ce petit rien a continué à travailler notre quotidien,  sa parole, sa vie ont continué à nous revenir à l’esprit pour nous questionner, au point que parfois nous nous surprenons à réaliser que, grâce à Lui un grand arbre de vie a poussé dans notre existence et que cet arbre est devenu comme notre charpente intérieure nous rendant capable de vivre à ciel ouvert, accueillant la vie dans toutes sa belle complexité, accueillant aussi bien les oiseaux du ciel que les  éprouvantes giboulées en gardant les bras déployés.

4. Aujourd’hui encore, la prophétesse Anne surgit pour nous rappeler que cet arbre n’est pas advenu en un jour. Anne surgit en nous rappelant que même le chêne le plus solide et vigoureux a un jour commencé en n’étant qu’une graine. La prophétesse Anne surgit et nous dit : toi qui attends rien de moins que LA rédemption de Jérusalem, toi qui espère LA solution salutaire face aux défis climatiques, sociaux et migratoires auxquels nous sommes aujourd’hui confronté, écoute… passe en mode « veilleur » !

Écoute, aujourd’hui c’est Noël, regarde, réfléchis, discerne,  car dans ton quotidien une graine salutaire est là ! Dans ton quotidien, qu’il soit éprouvant, précaire, décevant, instable, agaçant, banal, lassant, révoltant, il y a de la vie qui commence ! Doucement, imperceptiblement, opiniâtrement !

noel300x3005. C’est vrai, par rapport à la complexité des problèmes climatiques, sociaux, migratoires, quelques petits grains de vie semblent dérisoires. Tout comme, il y a deux milles ans, est apparu dérisoire la naissance de l’enfant de la crèche, un événement passé complètement inaperçu au milieu de l’immense empire romain.

Et pourtant, ce petit rien s’est révélé être de la moutarde, c’est à dire quelque chose de fin et relevé qui donne de la saveur au quotidien, ce petit rien s’est révélé être une graine d’espérance capable faire pousser dans de nombreuses existence un arbre de vie. Alors écoute,  aujourd’hui c’est Noël, accueille cette vie salutaire qui commence ! Si le pain que nous apporte Anne ressuscite en nous l’envie de veiller, il est aussi un pain excellent parce qu’il fortifie également en nous l’envie de la louange. Le récit nous dit que face à cet enfant, la prophétesse Anne se mit à louer Dieu.

Elle qui a longuement vécu, a dû à moult reprises toucher du doigt combien la vie peut être parfois lourde et compliquée. Elle a dû endurer concrètement les vicissitudes de l’actualité tumultueuse de son pays. Elle a dû vivre des crises où ont été balayés des acquis pourtant prometteurs. Elle a dû vivre des séditions menaçant de tout faire basculer dans la chaos, elle a dû vivre des mouvements de révoltes réprimées durement par les envahisseurs romains. Elle a dû aussi voir des compromissions et des trahisons doucher ses belles attentes et réduire ses espérances à n’être que de vulgaires illusions.

Or, justement elle qui a longuement vécu, face à cet enfant, elle aurait toutes les bonnes raisons d’être désabusée et cynique. Or le récit nous dit qu’elle se met à louer Dieu.

Pourquoi ? Parce qu’elle perçoit, dans cet enfant qu’on appelle le sauveur, dans cet enfant qui commence sa vie d’homme, elle perçoit que Dieu ne désespère pas. Que Dieu ne délaisse pas ses promesses, qu’Il n’abandonne pas ceux et celles vis-à-vis desquels Il s’est engagé. Qu’Il est encore et toujours prêt, qu’elle que soit la situation, à commencer quelque chose avec eux.

La situation peut être chaotique, les ruptures profondes, les tensions insurmontables, au coeur de cette nuit, Dieu ne désespère pas. Il ne baisse pas les bras, il vient. Il s’immerge dans cette pâte comme un levain afin de permettre à cette pâte de s’élever.

Ce qui fonde la louange d’Anne, ce n’est pas un optimisme béat. Quand elle se met à louer, Anne ne se dit pas : les complications actuelles ne sont pas graves, parce que finalement tout va s’arranger, les humains vont se rendre compte de leur erreur et trouver par eux-mêmes un moyen qui arrangera bien les choses.

Si la louange d’Anne était ancrée dans un tel optimisme, cette louange n’aurait pas tardé à vite s’éteindre devant les soubresauts de son actualité. Tout comme notre optimisme est mis à rude épreuve devant nombre de sujets qui font la une de notre actualité, notamment les résultats très insatisfaisants de la COP 24 à Katovice.

Non, ce qui fonde la louange d’Anne, c’est le fait que qu’elle que soit l’impasse verrouillée dans laquelle se trouve les humains, Dieu ne désespère pas. Il trouve encore et toujours le moyen de se faufiler et d’entrer au coeur du quotidien pour retourner le cours des choses. Le pain excellent que la prophétesse Anne nous offre, le pain plantureux qui alimente la capacité d’être heureux, c’est de fonder notre vie sur ce socle : quel que soit notre situation, Dieu ne désespère pas.

Ainsi habité par un tel état d’esprit, nous pourrions  aujourd’hui, comme Anne, rendre grâce à Dieu au moment où nous prenons connaissance de l’actualité. Rendre grâce par exemple pour cette jeune fille suédoise de 15 ans qui en marge de la COP 24 a eu des paroles fortes. Car en faisant la part des choses, en prenant le temps de discerner, n’y a-t-il pas là dans ses paroles fortes quelques graines de moutarde ?

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 24 décembre 2018 au temple de la Rue Maguelone

Première image: Hanna (Anne) la prophétesse (Rembrandt van Rijn, 1639)