Il se rendit dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de changement radical, pour le pardon des péchés, selon ce qui est écrit dans le livre des paroles du prophète Ésaïe : C'est celui qui crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers ! Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline seront abaissées, les passages tortueux deviendront droits, les chemins raboteux seront nivelés, et tous verront le salut de Dieu. Il disait donc aux foules qui venaient pour recevoir de lui le baptême : Vipères, qui vous a montré comment fuir la colère à venir ? Produisez donc des fruits dignes du changement radical, et ne commencez pas à vous dire : « Nous avons Abraham pour père ! » Car je vous dis que de ces pierres Dieu peut susciter des enfants à Abraham. Maintenant déjà la hache est prête à attaquer les arbres à la racine : tout arbre donc qui ne produit pas de beau fruit est coupé et jeté au feu. Les foules l'interrogeaient : Que devons–nous donc faire ?Il leur répondait : Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n'en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même. Des collecteurs des taxes aussi vinrent pour recevoir le baptême ; ils lui demandèrent : Maître, que devons–nous faire ? Il leur dit : N'exigez rien au–delà de ce qui vous a été ordonné. Des soldats aussi l'interrogeaient : Et nous, que devons–nous faire ? Il leur dit : Ne faites violence à personne, n'accusez personne à tort, et contentez–vous de votre solde.

Luc 3: 3-14 (Nouvelle Bible Segond)

gilets-jaune-en-colere1. « Vipères, qui vous a montré comment fuir la colère à venir ».

Aujourd'hui, c'est autour de cette phrase qui parle de colère, prononcé sur un ton de colère que je vais baser mon message. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, à la une de notre actualité s'exprime de la colère ! Face aux gilets jaunes, aux stylos rouges, aux lycéens, aux gardiens de la paix sous pression, aux femmes harcelées, aux adultes abusés sexuellement lorsqu'ils étaient enfant par des prédateurs, le mot souvent repris pour donner un sens à l'émotion qui à chaque fois s'exprime est le mot « colère ».

2. Face à cette colère protéiforme, l'enjeu n'est pas de la condamner en affirmant qu'elle n'aurait pas le droit de s'exprimer ou de la disqualifier en disant qu'elle est exagérée. Ce serait se rassurer à bon compte !

C'est vrai : parce qu'elle est éruptive et violente, la colère, quand elle s'exprime fait peur. En général, elle nous impressionne, elle nous intimide. Un premier réflexe pour la canaliser, serait de vouloir de tout de suite refermer le couvercle. Cependant, si compréhensible que cela puisse être, une telle réaction se révèlerait être sur la durée complètement inefficace !

Car la colère est une émotion complexe. Nous ne pouvons pas la canaliser par des attitudes simplistes. Nous ne pouvons la canaliser que si nous réagissons d'une manière qui prend en compte toute sa complexité émotionnelle.

3. La langue grecque nous aide à aborder cette complexité émotionnelle, lorsqu'elle nous fournit deux mots pour désigner la colère :

  • Le mot « thymos », qui signifia d'abord « souffle » pour ensuite qualifier tout ce qui relève de la volonté et des passions chaudes. La colère « thumos » est ainsi celle qui est connectée à l'énergie vitale parfois aussi chaude et puissante que peut l'être de la lave d'un volcan.
  • À côté du « thumos », il y a aussi le mot « cholè » qui est devenu en latin colera. Avant de désigner la maladie que l'on connait, le mot « cholé » ou « colera » désignait le fiel, la bile, d'où par extension la haine.

Ainsi avec ces deux mots, l'ambivalence complexe de la colère est soulignée. D'une part, elle relève d'une énergie vitale puissante, d'une pulsion profonde, et d'autre part, elle relève de la haine.

4. Conscient de cette ambivalence, je vous propose à présent d'écouter notre passage biblique. Non pas pour y chercher de quoi justifier ou condamner, non pas dans le but de donner des bons ou mauvais points à ceux qui aujourd'hui sont en colère. Mais parce que ce texte, écrit bien avant toutes nos colères, en ce sens complètement déconnecté de notre actualité, est une voix décalée qui peut nous inviter à faire un pas de côté.

Ce texte parle de colère. Il vibre de colère. Et pourtant, il est porteur de quelque chose qui nous aide à penser nos colères. Je crois que c'est un enjeu fondamental aujourd'hui. Non pas condamner nos colères, non pas les disqualifier ou les banaliser, mais apprendre à les penser. Ce texte véhicule une parole qui peut nous aider à ne pas rester englués dans nos colères quand ces dernières nous saisissent. Mais à les penser.

5. À l'époque de Jean le Baptiste, l'expression « la colère à venir », dans la droite ligne des prophètes de l'Ancien Testament était une métaphore signifiant le jugement de Dieu.

Face aux déséquilibres croissants, face aux injustices qui déstabilisaient la société, les prophètes, tels que notre Jean le Baptiste, se dressaient afin d'en appeler à une intervention qui pourrait changer la donne. Dans leurs propos prophétique, le salut est métaphorisé par l'équilibre retrouvé entre les extrêmes.

Quand il est question de vallée qui seront comblées, de montagnes qui seront rabaissées, nous pouvons entendre, au-delà de la métaphore, que ceux qui sont au fond de la vallée, au bas de l'échelle sociale se retrouveront sur un pied d'égalité avec ceux qui les dominent, ceux qui sont en haut de la montagne.

Et si tout le monde se retrouve ainsi sur un pied d'égalité, c'est parce que les relations, les chemins qui mènent d'un humain à l'autre, ces chemins, de tortueux qu'ils étaient, deviendront droits. Les obstacles qui rendaient ces chemins tortueux, les injustices, les pouvoirs oppressants seront rabotés. La voie pour une société équilibrée et juste sera à nouveau ouverte.

Face à ceux qui s'arc-boutaient pour empêcher l'advenue d'un tel équilibre, face à ceux qui se voilaient la face en se disant « mais pourquoi faut-il tout rééquilibrer, les vallées ne sont pas aussi sombres et profondes, les montagnes pas si élevées qu'on veut nous le faire croire », eh bien face à tous ceux-là, les prophètes dont Jean le Baptiste prêchaient la colère à venir.

Quand les actions humaines se liguent pour empêcher le retour à l'équilibre, l'expression « la colère à venir » signifie le souffle puissant de Dieu qui intervient pour mettre à jour le mensonge dans lequel s'enferment les humains.

Quand le pauvre désespère au fond de sa vallée, la colère à venir est cette énergie vitale démesurée déployée pour rejoindre le pauvre au fond de sa vallée et le déloger de son désespoir, une énergie vitale comme celle que fournit le secouriste pour retrouver le spéléologue perdu au fond de sa caverne.

Quand le puissant s'isole tranquillement en haut de sa montagne, la colère à venir est cette énergie vitale déployée pour le déloger de son inconscience, une énergie qui peut parfois prendre la forme comme dans la parabole évangélique de cette veuve qui inlassablement interpelle le juge inique jusqu'à ce que ce dernier change et accorde un jugement juste.

La « colère à venir » exprime ici l'énergie de Dieu capable résister et de dissoudre toutes les résistances, qu'elles soient en bas ou en haut de l'échelle sociale, toutes les résistances qu'elles soient intérieures ou intimes (psychiques, spirituelles) ou extérieures ou sociales, toutes les résistances jusqu'à ce que « tous voient le salut de Dieu ».

C'est ainsi que, dans l'univers biblique, l'annonce de la « colère à venir » n'est pas une annonce terrible. C'est l'annonce d'un jugement redoutable, d'un jugement qui fera bouger tout le monde, c'est l'annonce d'un changement qui renouvellera profondément toutes les structures sociales ; en cela, c'est un jugement redoutable parce que personne ne restera indemne, tout le monde sera renouvelé. Mais ce renouvellement n'est pas terrible, il advient pour que tous voient le salut de Dieu.

vipere6. Si nous sommes sensibilisés à cela, nous serons d'autant plus intrigués par la colère de Jean le Baptiste.

Pourquoi en annonçant ce jugement redoutable, mais pas terrible, pourquoi Jean le Baptiste se met-il en colère ? En annonçant ce jugement, il devrait être confiant, plein d'espérance. Pourquoi se met-il en colère ? Pourquoi traite-t-il de vipère les foules qui viennent à lui ?

Dans l'évangile de Matthieu, Jean le Baptiste ne traite de vipère que ceux qui sont assis en haut de leur montagne, c'est à dire les pharisiens et les sadducéens, des personnes appartenant aux classes sociales aisées et respectées de la société de l'époque. Tandis que là, dans l'évangile de Luc, ce « vipère » est adressé à la foule. A tous, aux pauvres comme aux riches. Aux marginaux comme aux gens installés.

Ce détail est porteur d'un message puissant : tous, qui que nous soyons, nous pouvons nous refermer dans notre bulle, nous drapper dans notre bon droit au point de nous rendre hermétique aux changements que peut apporter le jugement redoutable, mais pas terrible de Dieu.

Dans la métaphore des vallées comblées et des montagnes abaissées, tout le monde est appelé à bouger. Or souvent pour que l'équilibre se fasse, nous pensons que c'est l'autre qui doit changer. Nous nous disons : « Au lieu qu'il se plaigne, se morfonde ou se mette en colère perdu qu'il est au fond de sa vallée, c'est à lui de traverser la rue et de se prendre en main. » Nous nous disons : « Au lieu qu'il s'exile en haut de sa montagne, en râlant et en se mettant en colère contre tous ces impôts qu'on lui demande de payer, c'est à lui de descendre de son piédestal et de payer l'isf. »

Si Jean se met en colère et qu'il traite tout le monde de « vipère », c'est pour déverrouiller le dialogue de sourd où chacun exige de l'autre qu'il fasse le chemin.

L'enjeu du prophète n'est pas de prendre parti pour un camp aux dépens de l'autre. Bien plus, l'enjeu du prophète est de déconstruire ces petites phrases qui verrouille tout. A l'époque les petites phrases disaient : « nous avons pour père Abraham », et avec elles, tout était dit. Plus besoin de bouger soi-même puisque c'était aux autres qui n'avaient pas Abraham pour père, de faire le chemin pour l'équilibre revienne.

Eh bien, pour lutter contre ces petites phrases, Jean se dresse et il parle. Non une parole qui caresse, mais une parole qui bouleverse. Afin que personne ne cherche pour lui-même à esquiver le jugement, à fuir la colère à venir.

7. Car comme le rappelle Jean, dans cette situation, l'enjeu n'est pas de devenir une pierre, mais de porter du fruit. Je deviens une pierre stérile quand je me drape dans mon bon droit et exige que ce soit l'autre qui fasse tout le boulot pour que l'équilibre revienne.

Je porte du fruit, c'est à dire que je deviens une terre vivante et féconde, lorsque je deviens vulnérable à ce qui vient de plus loin que moi, lorsque je laisse des paroles venir ensemencer ma terre et provoquer un changement dans ma perception et mon regard.

Pour que la colère des humains ne devienne pas un fiel les transformant en pierre, Jean se dresse. Il déverrouille les petites phrases afin que l'énergie vitale soit orientée non vers la haine de l'autre, mais vers le salut de tous.

8. Aujourd'hui, alors que beaucoup de colère s'exprime à la une de notre actualité, serons-nous capable d'entendre la colère de Jean le Baptiste ? Serons-nous capable d'accepter qu'il n'y a pas seulement de la vipère en l'autre, mais aussi en soi ? Cette question, il nous faut honnêtement, lucidement nous la poser. Car c'est elle qui nous permet de penser notre colère. Cette question, il nous faut honnêtement nous la poser, car ce n'est pas le fonctionnement des réseaux sociaux qui nous permet de le faire. Par leur algorithme, ces réseaux ont tendance à mettre en réseau les personnes en cultivant fortement leurs affinités. Ainsi ces réseaux forment des bulles où parfois la colère s'attise grâce à la circulation de plein de petites phrases qui caressent, des paroles qui confirment ce que l'on pense, plutôt qu'elles ne bousculent nos présupposés.

Nourris par de tels réseaux, on en vient à trouver de plus en plus désagréables les paroles qui ne caresse pas dans le sens du poil. Et c'est ainsi que, loin d'écouter le journaliste qui conteste notre point de vue, on s'en protège en le traitant de collabo. C'est pourquoi, aujourd'hui, j'ai la faiblesse de croire qu'il peut être salutaire d'écouter la colère de Jean le Baptiste.

Lui qui ne fonctionne pas comme les réseaux sociaux, lui qui ne cherche pas à confirmer ce que nous pensons, Il déverrouille les petites phrases afin que l'énergie vitale soit orientée, non vers la haine de l'autre, mais vers le salut de tous.

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 13 janvier 2019 (Centre Œcuménique à Jacou)

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