Alors Dieu prononça toutes ces paroles : Je suis le Seigneur (YHWH), ton Dieu ; c'est moi qui t'ai fait sortir de l'Egypte, de la maison des esclaves. Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi. Tu ne te feras pas de statue, ni aucune forme de ce qui est dans le ciel, en haut, de ce qui est sur la terre, en bas, ou de ce qui est au-dessous de la terre, dans les eaux. Tu ne te prosterneras pas devant ces choses-là et tu ne les serviras pas ; car moi, le Seigneur (YHWH), ton Dieu, je suis un Dieu à la passion jalouse, qui fais rendre des comptes aux fils pour la faute des pères, jusqu'à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me détestent, mais qui agis avec fidélité jusqu'à la millième génération envers ceux qui m'aiment et qui observent mes commandements.

Ex. 20, 1-5 (Nouvelle Bible Segond)

Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres ; car l'amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n'aime pas n'a jamais connu Dieu, car Dieu est amour. C'est en ceci que l'amour de Dieu s'est manifesté parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui. Et cet amour, ce n'est pas que, nous, nous ayons aimé Dieu, mais que lui nous a aimés et qu'il a envoyé son Fils comme l'expiation pour nos péchés. Bien-aimés, si Dieu nous a tant aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. Personne n'a jamais vu Dieu. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est accompli en nous. À ceci nous savons que nous demeurons en lui, comme lui en nous : c'est qu'il nous a donné de son Esprit. Et nous, nous avons vu et nous témoignons que le Père a envoyé le Fils comme sauveur du monde.

1 Jean 4, 7-14 (Nouvelle Bible Segond)

utrecht11. « Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi »

Cette phrase est tirée des Dix Commandements. Elle porte en elle la vision d'une foi monothéiste. En substance, elle affirme qu'un SEUL Dieu doit recevoir notre louange et notre adoration. Oui, cette phrase est tirée des Dix Commandements, et pourtant, elle sent le soufre ! Elle est porteuse d'un exclusivisme inquiétant qui pourrait devenir violent et intolérant.

Aujourd'hui, beaucoup critique le monothéisme en disant qu'il porte en lui les germes d'attitudes intolérantes. Selon ces critiques, le propre du monothéisme serait de rejeter, d'expulser tout ce qui est extérieur à sa boussole, « les autres dieux ». Le propre du monothéisme serait de déboucher sur des postures où « nous, les fidèles, nous avons à nos côtés le seul vrai Dieu et nous nous opposons aux autres, aux infidèles, aux renégats qui adorent d'autres dieux ».

2. Pour désamorcer un tel conflit entre différentes fois qui chacune affirment adorer le seul vrai Dieu, une logique fait son chemin. Une logique disant : plus de religion = plus de violence ; moins de religion, = moins de violence.

Cette logique qui lie la religion à la violence se nourrit de faits historiques, notamment les fameuses guerres de religion ayant ravagé l'Europe du XVIe au XVIIIe siècle. Des guerres qui ont beaucoup contribué à l'émergence d'une modernité sécularisée. Pour désamorcer ces conflits, on a développé moins de religion dans l'espace public. Ce moins permettant de retrouver plus de calme et de paix.

Aujourd'hui, face à chaque attentat, notamment lors des derniers en date le jour de Pâques au Sri Lanka, lorsque les terroristes crient ce qui devrait être un cri d'adoration pour justifier leur violence, comment ne pas comprendre ceux qui veulent moins de religion face à tant de violence ? Aujourd'hui, marqués par cette actualité menaçante, comment ne pas comprendre ceux qui en entendant « tu n'auras pas d'autres dieux devant moi » ou « je suis un dieu à la passion jalouse » ont les poils qui se hérissent, car ils sentent qu'il y a dans ces phrases là des germes toxiques d'intolérance ?

3. Oui, je comprends cet effroi. Je partage la nécessité de trouver un moyen pour apaiser la situation.

Cependant, je ne crois pas que le remède contre la violence soit moins de religion, mais précisément le contraire : je crois que le remède contre la violence soit d'une certaine façon plus de religion. Je ne veux pas dire que le remède contre la violence réside dans un zèle religieux accru. Non, le zèle religieux aveugle fait partie du problème. Le remède réside plutôt dans un engagement plus profond, plus intelligent, plus critique aussi de notre foi.

utrecht2Plus nous réduisons la foi à une religiosité vague qui doit être là pour nous aider à aller mieux, plus cette religiosité vague risque d'être gouvernée par des logiques autres que spirituelles, des logiques nationalistes, tribales, utilitaristes.

Inversement, plus la foi devient dense et épaisse, c'est à dire qu'elle devient une pratique mûrie et approfondie par une constante remise en question, plus cette foi sera suffisamment équipée pour résister au discours fallacieux, simplistes et séducteurs.

Aborder les liens entre religion et violence par le biais du mode quantitatif - plus de religion, plus de violence ; moins de religion, moins de violence - ne me semble pas être une approche adéquate. Je trouve plus pertinent d'aborder ces liens complexes entre religion et violence par le biais du mode qualitatif.

Une pratique religieuse superficielle et formaliste ouvre la porte à l'utilisation abusive des convictions religieuses pour légitimer la violence parce qu'elle enlève précisément ce qui, dans une pratique religieuse patinée et profonde, protège contre une telle utilisation abusive.

Par exemple, ce que j'appelle la pratique patinée et profonde est celle qui anime un croyant exprimant la conviction que Dieu est Un certes, mais qu'il est aussi trois, et comprend que cette conviction trinitaire est gouvernée par l'histoire de Jésus-Christ et implique l'obligation d'agir d'une certaine manière. « si Dieu nous a tant aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres ».

J'appelle pratique superficielle, le signe que faisait souvent pendant les guerres d'ex-Yougoslavie, les soldats serbes debout sur leur char, le signe de trois doigts dressés qui ressemble à un signe de victoire, mais est en fait un signe d'une foi trinitaire réduite à n'être qu'un simple marqueur identitaire d'un groupe culturel bien précis. Etre Serbe, c'est faire ce signe, même si nos actes n'expriment pas du tout cette communion d'amour que représente la trinité.

La foi chrétienne a eu de graves dysfonctionnements lorsqu'elle a légitimé la violence. Au cours de la longue histoire du christianisme, hélas non seulement les chrétiens ont commis des atrocités, mais ils se sont également inspirés de convictions religieuses pour justifier ces actes.

Mais au cours de cette longue histoire, il y a eu aussi des témoins fidèles qui, en puisant dans la spiritualité chrétienne ont mobilisé des ressources pouvant créer et soutenir une culture de paix. C'est pourquoi, aujourd'hui, je crois qu'au vu de la longue histoire chrétienne, une pratique superficielle, mais zélée de la foi est susceptible de favoriser la violence. Par contre, une pratique patinée et approfondie peut aider à générer et maintenir une culture de paix.

4. Donc, si nous en revenons à la question du monothéisme avec ses risques de violence et d'intolérance, posons-nous la question suivante : Quelles seraient les ressources que nous pourrions puiser dans la spiritualité chrétienne pour résister à la violence, en particulier la violence causée par un monothéisme exclusif ?

Eh bien, justement pour répondre à cette question, revenons-en à la Trinité. Parce que dans la trinité, l'un n'est pas en violente opposition aux trois.

Croire que le Dieu unique est le père, le fils et le saint esprit, c'est croire que l'identité du père, par exemple, est indissociable de celle du fils et de celle du saint esprit. L'identité du père est définie dès le départ par le fils et l'esprit. Ainsi là, dans la trinité, l'identité n'est pas quelque chose de fermé qui s'oppose et entre en conflit avec l'autre. L'identité est quelque chose qui se forge et se reçoit, grâce aux interactions avec les autres.

La Trinité, c'est ce réseau d'amour où les personnes se donnent les unes aux autres et se reçoivent les unes les autres. Dans cette communion qui ne se désintègre pas, mais qui reste toujours une, personne n'a à arracher quoi que ce soit aux autres, personne n'a à imposer quoi que ce soit aux autres, et personne n'a besoin de se protéger des incursions des autres.

Loin d'être une vie de violence, la vie trinitaire divine se caractérise par une générosité mutuellement non contrainte et bienvenue. Le sens profond de la Trinité, me semble-t-il est de rappeler que Dieu est amour. Non pas un amour statique, mais un amour dynamique, une communion d'amour, une communion qui ne se désintègre pas, mais qui reste une.

utrecht35. Face à cette vision de Dieu comme une dynamique d'amour, l'argument qui voit dans le monothéisme une violence inhérente, cet argument ne fonctionne plus.

Cet argument ne fonctionne que si l'on réduit la description profonde, épaisse, patinée de Dieu par une description superficielle où Dieu serait une totalité unifiante et uniformisante. Oui cet argument de la violence du monothéisme ne fonctionne que si ensuite on prend cette vision totalisante de Dieu comme un modèle à imposer pour penser l'organisation de la société.

Cependant, si cela était le cas, alors une pratique profonde et murie de la foi chrétienne nous donnerait les ressources pour résister. En puisant dans cette vision d'un Dieu qui est une dynamique d'amour ne se désintégrant pas, nous pourrons trouver une inspiration nous permettant d'inventer une organisation humaine où nos identités s'enrichissent et se forgent, grâce aux contacts des autres.

Amen

Luc-Olivier Bosset, Maurin, 5-5-2019 (Images EvdL, Utrecht - cour du Catherijneconvent, août 2018)