Un des scribes, qui les avait entendus débattre et voyait qu’il leur avait bien répondu, vint lui demander : Quel est le premier de tous les commandements ? Jésus répondit : Le premier, c’est : Ecoute, Israël ! Le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un, et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toute ta force. Le second, c’est : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. Le scribe lui dit : C’est bien, maître ; tu as dit avec vérité qu’il est un et qu’il n’y en a pas d’autre que lui, et que l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, c’est plus que tous les holocaustes et les sacrifices. Jésus, voyant qu’il avait répondu judicieusement, lui dit : Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. Et personne n’osait plus l’interroger.

Marc 12, 28-34

predic lob 919 31. « Quel est le premier de tous les commandements ? »

Dans cette question adressée à Jésus par un scribe, il y a le mot « commandements ». Au prime abord, une telle question semble confirmer que la foi consisterait à appliquer des commandements… Au prime abord, une telle question confirmerait que la vie spirituelle serait principalement une affaire d’obéissance à ce qu’on nous commande et qu’être adhérent à une religion signifierait suivre le droit chemin tracé par une morale. Cependant, en prenant le temps de méditer cette rencontre évangélique entre un scribe et Jésus, nous sommes mis en contact avec une toute autre vision de la vie spirituelle. Avant d’être une application obéissante de commandements, la foi est de l’ordre de l’écoute, de la rencontre et du discernement.

2. Prenons tout d’abord la foi qui est de l’ordre de l’écoute.

Souvent, lorsque nous nous rappelons de mémoire, ce récit, ce que nous en retenons, c’est que le premier commandement, c’est d’aimer le Seigneur notre Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme, de toute notre intelligence, de toute notre force. Cependant, ce n’est pas ce que dit le récit !
Quand Jésus annonce le premier commandement, il ne mentionne pas de suite : tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Non, il commence d’abord par rappeler « Écoute Israël » et c’est seulement ensuite que viennent les deux fameux commandements d’aimer Dieu et son prochain ! Ainsi si nous lisons attentivement le récit, le commandement qui surgit en premier, ce n’est pas « tu aimeras », mais « écoute ». Ce détail est salutaire, car il nous rappelle que la foi en nous commence non pas lorsque nous plions la nuque en signe d’obéissance, mais lorsque nous dressons l’oreille en signe d’attention, de disponibilité et de curiosité.

Par exemple, dans le flot de paroles et d’événements du quotidien, voilà que quelque chose capte notre attention. Quelque chose qui étonne et qui surprend parce que cela ne cadre pas avec notre vision du monde. Dans ces moments là, la foi en nous commence lorsque nous nous arrêtons et faisons comme Moïse devant le buisson ardent, lorsque nous faisons un détour pour mieux écouter, pour mieux observer, et être attentif à ce qui est en train de se passer là.

La foi en nous commence lorsque nous nous laissons être arrêtés par des points de vue qui nous questionnent. Quand Jésus dans notre passage rappelle « écoute Israël », il ajoute aussi l’affirmation suivante : « Le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un ». Cette affirmation dit en une phrase une découverte qu’a faite le peuple d’Israël au cours de sa longue histoire : que le Seigneur est un. Une découverte qui est racontée tout au long des Écritures. Une découverte a complètement refaçonné en l’élargissant la vision qu’Israël avait de Dieu.

Ainsi la foi commence lorsque nous écoutons un récit qui ne nous donne pas des dogmes à défendre, des vérités à croire, mais un récit qui nous offre des aperçus et des points de vue qui refaçonnent en l’élargissant notre perception du monde, des autres, de nous-mêmes et de Dieu.

La foi en nous commence non pas lorsque, après avoir écouté un récit des Écritures bibliques nous disons : « je dois », mais lorsque nous nous disons : « je vois », « je commence à voir les choses sous un autre angle. »

predic lob 919 23. Venons en à présent à une deuxième dimension qui nourrit la foi : la rencontre.

Au début du passage biblique que nous méditons ce matin, il nous est dit qu’un scribe ayant entendu ( en grec c’est le verbe « écouter », le même verbe que celui qui apparait dans « écoute Israël ») débattre avec les pharisiens et les sadducéens et voyant que Jésus leur avait bien répondu, ce scribe s’avance pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? ».

Le contexte ici n’est pas anodin. Si nous lisons ce qui précède, nous voyons que cette rencontre intervient après toute une série de controverses entre Jésus et les autorités religieuses de son temps. Dans ces controverses, l’ambiance est tendue, l’humeur est à la polémique, le ton est incisif. Les chefs des prêtres, les scribes, les anciens, les Pharisiens, les Hérodiens et les Sadducéens remettent en question l'autorité de Jésus, contestent sa lecture des Écritures et essaient de le piéger à ses propres mots.

Or au lieu de creuser le sillon de ces polémiques, voilà que surgit un scribe qui lui a entendu autre chose. Il a entendu que l’interprétation que Jésus proposait de la Thora ne se réduisait pas à toutes les critiques qu’on en faisait, que cette interprétation comportait des aperçus, des ouvertures intéressantes qui méritaient une attention plus sérieuse. Curieux, notre scribe a envie d’en savoir plus. Au lieu d’abonder dans les logiques partisanes, il se démarque de son clan pour entamer une discussion honnête avec l’adversaire que ses amis cherchent à réduire au silence. Et le scribe rencontre en la personne du Christ, une personne qui comme lui est dans une attitude d’écoute. Grâce à ce climat particulier, s’engage alors une conversation propice à une exploration approfondie de ce qui jusque là n’avait été que survolé et entraperçu. La foi s’approfondit quand il nous est donné de vivre de telles rencontres.

Peut-être que la méditation de ce texte biblique va réveiller aujourd’hui en nous le désir de permettre de telles rencontres: quand l’ambiance de notre contexte est à la polémique, ce qui nourrit la foi, c’est n’est pas brandir des certitudes, mais c’est de vivre des rencontres qui nous permettent d’approfondir l’ouverture qui nous a fait dresser l’oreille.

4. Après l’écoute et la rencontre, arrêtons-nous à présent sur une troisième dimension de la foi : le discernement.

Quand le scribe pose sa question: « quel est le premier de tous les commandements ? », il cherche à discerner parmi les 613 commandements qui constituent toute la Thora, quel est le centre, le noyau à partir duquel organiser l’agencement de tous les autres ?

À l’époque de Jésus, cette question du scribe était devenue centrale, car la Thora qui au départ n’était qu’un amas de narrations s’était peu à peu constituée en une belle collection de livres. L’épaisseur des livres correspondait à l’épaisseur du vécu du peuple d’Israël. En traversant les différentes saisons de son existence, ce peuple avait encore et toujours cherché à discerner l’appel de Dieu dans son quotidien. Non seulement, il avait cherché à discerner, mais ce peuple a aussi pris le temps de collectionner les traces écrites de cette quête.

Et c’est ainsi qu’aux repères donnés par Moïse, s’étaient joints les critiques des prophètes Jérémie, Essaie ou Ezéchiel, les paroles de sagesse récoltées dans le livre des Proverbes, les récits de Ruth, Job, Jonas ou Esther. Chaque livre ajouté venait enrichir la perception du lecteur afin que ce dernier, fort de cette riche histoire ait un discernement plus affuté pour identifier à son tour l’appel de Dieu dans son quotidien.

L’épaisseur de la Bible était devenue telle qu’à l’époque de Jésus on se demandait où était le centre ? Le foisonnement des livres faisait qu’on perdrait de vue l’essentiel. Quelle était la logique qui gouverne tous ces livres en les articulant les uns aux autres de manière féconde ?

À l’époque de Jésus, nous avons des traces de catéchumènes qui mettait à l’épreuve les capacités pédagogiques de leur rabbin en leur demandant : « peux-tu me résumer l’essentiel de la Bible le temps que j’arrive à tenir debout sur une jambe ? »

predic lob 919 1Peut-être que notre scribe qui s’avance vers Jésus est justement un de ces catéchumènes-là, qui lui aussi a envie d’avoir une réponse claire, simple, concise pour sortir du flou dans lequel le plongeait le foisonnement de la Bible. Afin de répondre à sa question, Jésus met en avant, parmi une multitude d’autres alternatives possibles, la pratique du verbe aimer. Ici, je dis bien « la pratique » et non « le commandement », car en grec le verbe aimer par deux fois ( aimer Dieu et aimer le prochain) n’est pas à l’impératif dans notre texte, mais au futur.

Cette nuance dans la conjugaison est fondamentale, car par elle, le message que nous transmet ce passage évangélique n’est pas « tu dois aimer », mais une promesse : « tu aimeras ». Ce ne sont pas là des paroles d’obligation, mais des paroles d’espérance. Le message n’est pas « il te faut aimer », mais « tu peux aimer, tu es capable d’aimer, alors essaye. » Aborde toutes les questions et les défis qui surgissent dans ton quotidien comme des occasions de pratiquer le verbe aimer, et peu à peu tu développeras une aptitude humaine qui te fera accéder au coeur de la Bible, et par ricochet au coeur de toute chose.

Un jour, un ami m’a dit combien une parole de son grand-père l’avait guidé dans sa vie. Son grand-père qui lui avait dit : « quand tu trouves à un carrefour dans la vie et que tu ne sais pas quelle direction prendre, prends toujours le chemin qui te paraît le plus juste. Non pas le chemin le plus facile, le plus agréable, mais le plus juste. » C’est vrai que dans chacune de nos existences, presque chaque jour, nous avons des occasions d’exercer notre discernement. Nous nous retrouvons souvent à des carrefours où il n’est pas facile au prime abord d’identifier la voie à prendre. C’est flou. Dans ces cas là, pratiquer l’amour de Dieu et du prochain, c’est prendre le chemin juste. Pas nécessairement le plus confortable, mais le plus juste. Mais c’est celui qui nous mène au coeur de la vie.

6. Epilogue

La foi commence par l’écoute

La foi s’approfondit dans des rencontres

La foi s’accomplit lorsque dans les carrefours de nos vies, nous discernons le chemin qui nous permet de pratiquer l’amour de Dieu et du prochain.

Amen

Luc-Olivier Bosset, le dimanche 18 aoüt 2019 au temple de la Rue Maguelone à Montpellier
Crédit photos: EvdL (juillet/aoüt 2019)