Les disciples réalisent qu’ils avaient oublié de prendre des pains. Ils n’avaient avec eux qu’un seul pain dans le bateau.  Jésus leur faisait cette recommandation : Ouvrez l’œil et gardez-vous du levain des pharisiens et du levain d’Hérode. Mais eux, les disciples raisonnaient entre eux, parce qu’ils n’avaient pas de pains. Jésus s’en rendit compte et leur dit : Pourquoi raisonnez-vous en vous disant que vous n’avez pas de pains ? Vous ne comprenez pas encore ? Vous ne saisissez pas ? Êtes-vous donc obtus ? Vous avez des yeux, et vous ne voyez pas ? Vous avez des oreilles, et vous n’entendez pas ? Ne vous rappelez-vous pas, lorsque j’ai rompu les cinq pains pour les cinq mille, combien de paniers pleins de morceaux vous avez emportés ? – Douze, lui répondent-ils. Et quand j’ai rompu les sept pour les quatre mille, combien de corbeilles pleines de morceaux avez-vous emportées ? – Sept, lui répondent-ils. Et il leur disait : Vous ne comprenez pas encore ? Jésus et ses disciples arrivent à Bethsaïda ; on lui amène un aveugle, et on le supplie de le toucher de la main. Jésus prend l’aveugle par la main et le conduit hors du village ; puis il lui crache sur les yeux et lui impose les mains, en lui demandant : Vois-tu quelque chose ? l’aveugle ouvre les yeux et dit : Je vois des gens ; je les vois comme des arbres, mais ils marchent. Jésus lui remet les mains sur les yeux ; quand l’aveugle rouvre grand les yeux, il est rétabli et voit tout distinctement. Alors Jésus le renvoie chez lui, en disant : Ne rentre même pas au village.

Marc 8, 14-26 (nouvelle bible Segond)

lob150919 11. Dans un tombeau égyptien qui n’avait jamais été ouvert pendant des milliers d’années, des archéologues ont trouvé, parmi d’autres objets qui avaient été déposés là, des graines. Grâce au climat sec et chaud qui avait régné dans ce tombeau, ces graines étaient parfaitement conservées.

Curieux, nos archéologues se sont demandés : que va-t-il se passer si ces graines vieilles de plusieurs milliers d’années étaient plantées aujourd’hui ? Pour en avoir le coeur net, ils ont déposé ces graines en terre… et ces graines tout naturellement se sont mises à germer.

2. Si je vous raconte cette anecdote, c’est parce que je pense à vous les nouveaux catéchumènes qui tout à l’heure allez recevoir votre bible. C’est parce que je pense à vous les anciens catéchumènes qui avez votre bible dans un coin de votre chambre...

Ces récits contenu dans la bible, comme celui de cet aveugle guérit en deux fois, comme toutes les paroles écrites dans la Bible, sont vieux eux aussi de plusieurs milliers d’années.

Cependant ces récits sont comme des graines. Si nous les accueillons dans le champ de notre vie, si après les avoir entendu, nous y réfléchissons, alors ces récits ont beau être très vieux, ils peuvent se mettre à germer, ils peuvent enclencher dans notre existence un processus étonnant.

3. Avec mes chers collègues, nous avons choisi de placer ce culte de rentrée sous le thème : cultiver l’évangile.

Or en quoi consiste le fait de cultiver l’évangile ? Eh bien, c’est de faire ce que les archéologues ont fait avec les vieilles graines, c’est de nous montrer curieux ! C’est écouter attentivement le passage de l’evangile, ne pas le balayer d’un revers de main en pensant qu’il n’exprime que des choses banales et futiles, mais de prendre le temps d’y réfléchir, de le bêcher ce récit, comme on laboure une terre et puis d’observer ce que cela produit en nous.

4. Car que se passe-t-il en nous lorsque nous cultivons l’Évangile ?

En un mot comme en cent, je dirai que notre regard sur nous-mêmes, sur les autres, sur le monde change. En cultivant l’Evangile, nous apprenons à voir le monde autrement.

Donnons ici la parole à notre bon vieux réformateur, Jean Calvin, lui qui a un jour écrit : lorsque « nous prenons Les Ecritures bibliques comme guide et maître, alors le Seigneur nous fait comprendre des choses qui, autrement, échapperaient à notre attention, et non seulement le Seigneur nous fait comprendre ces choses, mais aussi IL nous entraîne pratiquement à les voir, comme si notre vue terne était désormais assistée par des lunettes »

« Comprendre des choses qui, autrement, échapperaient à notre attention ».

Que se passe-t-il en nous lorsque nous cultivons l’évangile ? Notre intelligence ne devient pas létargique, notre sens critique n’est pas anesthésié au point que nous adhérons à des vieilles croyances dépassées comme celles que l’on trouve dans le récit de ce matin où pour guérir un aveugle on s’imaginait qu’il fallait mettre de la salive sur ces yeux.

Non, en cultivant l’évangile, il se passe autre chose… Peu à peu, notre vision du monde évolue. Nous devenons sensibles à des choses qui jusque là échappaient à notre attention. S’il nous faut cultiver l’évangile, ce n’est pas pour nous gorger de croyances dépassées, pour nous armer de certitudes ou pour bétonner nos convictions. S’il nous faut cultiver l’évangile, c’est pour élargir notre vision et affiner notre perception.

lob150919 25. Dans le récit évangélique que nous venons d’entendre, à un moment donné, l’aveugle reconnaît qu’il voit de manière confuse. Pour lui les gens qu’ils croisent sont « comme des arbres qui marchent ».

Nous commençons à cultiver l’évangile lorsque nous nous disons que parfois, nous aussi, nous sommes comme cet aveugle.

Pris dans le tourbillon et les préoccupations de notre vie, nous traversons nos journées, nos semaines en ne réalisant pas vraiment qui sont les gens autour de nous. Aveuglés par nos urgences, nos devoirs et nos peurs, nous les voyons ces gens que « comme des arbres qui marchent » et non comme des visages avec lesquels il est bon de fraterniser.

Pris dans le bouillonnement de notre actualité qui parle de réchauffement climatique, de guerre commerciale, de devenir pêcheurs d’homme en allant secourir des migrants en pleine Méditerranée, de Brexit, de montée des populismes et de réformes des retraites, il nous est parfois difficile parmi tous ces sujets qui se succèdent les uns aux autres de percevoir non plus simplement « des arbres qui marchent », mais les grandes priorités autour desquelles bâtir notre engagement.

6. Dans ces moments-là, que notre confusion et notre aveuglement ne nous rende pas tristes et dépités !

Car cette confusion fait partie de l’aventure humaine ! D’ailleurs pour que nous ne nous apitoyons pas, l’évangile prend soin de nous présenter des disciples qui eux aussi peinent à sortir d’une vision confuse.

Avec le récit que nous avons entendu tout à l’heure, nous sommes presque au milieu de l’évangile de Marc. Ce qui veut dire que les disciples ont déjà vécu moult choses en compagnie de Jésus. Et pourtant les disciples restent le nez dans le guidon.

Constatant qu’ils n’ont avec eux qu’un seul morceau de pain pour faire toute la traversée, à nouveau les disciples s’inquiètent. Vu qu’auparavant ils avaient déjà tous vécu le dénouement heureux de la multiplication des pains, on aurait pu penser que cette fois, ils allaient réagir, face à ce nouveau manque, avec confiance et calme. Mais, non ! Ils continuent de réagir comme ils l’ont toujours fait.

Nous sommes au milieu de l’évangile, or les disciples réagissent comme s’ils n’avaient rien appris du chemin déjà parcouru. Comme s’ils avaient des yeux, mais qu’ils ne voyaient pas tant leur perception reste terne.

7. Mais alors comment sortir de cette confusion ?

Comment l’évangile s’y prend-t-il pour cultiver en nous un élan qui nous aide tous à sortir de ce marasme et à retrouver une vue claire sur les autres et le monde ? Deux symboles ici dans ce vieux récit retiennent mon attention : le premier est que Jésus doit s’y prendre à deux fois pour guérir l’aveugle, le deuxième est que Jésus conduit l’aveugle hors du village.

8. Premièrement, dans tout l’évangile, c’est l’unique fois où Jésus doit s’y prendre à 2 fois pour guérir quelqu’un.

D’habitude, une parole ou un geste suffisent. En un éclair, la personne courbée ou lépreuse retrouve la totalité de ses moyens. Or, là Jésus se montre moins efficace. Il se révèle enfin sous un aspect plus humain.

Cependant, loin de rager parce qu’il aurait failli, le Christ fait de cette résistance une occasion pour permettre à son interlocuteur de naître à la parole. Car jusque là, - peut-être l’avez-vous remarqué ?- notre aveugle était aussi complètement muet. A la différence d’autres malades qui s’agitent en braillant au bord du chemin, lui est confié entre les mains de Jésus sans avoir prononcé la moindre parole.

Or, ici, grâce à l’écueil, un dialogue entre eux s’engage : « Vois-tu quelque chose ? » lui demande Jésus. Et lui de répondre : « Je vois des gens, je les vois comme des arbres, mais ils marchent. » Ce qui est intéressant à noter ici, c’est la manière dont cette guérison en 2 temps nous est décrite : absolument pas comme un échec. Au contraire, le fait de devoir s’y prendre à 2 fois est l’occasion d’approfondir leur relation, de vivre quelque chose qui jusque là échappait à leur attention.

En cette période de rentrée où après le temps estival, nous voyons notre rythme s’accélérer, où nous pouvons nous sentir contrarié si une résistance apparaît et que nous n’y arrivons pas du premier coup à la surmonter, eh bien en ce temps de rentrée, c’est comme une bénédiction de pouvoir nous arrêter auprès de ce récit de l’évangile et de nous laisser être imprégné par sa prise en compte positive du temps.

Plus nous laisserons la graine de cette vision positive du temps éclore en nous, plus notre esprit s’ouvrira. Et alors nous verrons des choses qui jusque là échappaient à notre attention. Nous ne laisserons plus les écueils et les contrariétés nous envahir, nous prendre la tête et épaissir notre confusion. Mais nous nous dirons :

lob150919 3Si ça ne marche pas du premier coup, peut-être est-ce le signe dans notre récit que la guérison ne peut pas simplement se faire dans le silence, qu’il faut que la relation entre le guérisseur et l’aveugle mûrisse et soit traversée de paroles ?

Si pour nous dans nos situations, dans nos problèmes qui nous prennent la tête, ça ne marche pas du premier coup, peut-être est-ce le signe que les choses ne sont pas mûres ? qu’il y a quelque chose de nouveau à intégrer afin que je puisse poser le problème autrement ?

9. Le deuxième symbole pouvant nous aider à sortir de notre confusion est le fait que Jésus conduit l’aveugle hors du village. Puis après , il lui dit : ne rentre même pas au village !

Que représente ici le village ? Peut-être que cet homme était aveugle au sens où, n’ayant jamais dépassé les limites d’un lieu confiné, il avait fini par devenir prisonnier de schémas mentaux étriqués. Des schémas qui par leur simplisme ne pouvaient pas contenir toute la complexité du monde.

De même pour nous, lorsque la complexité bouillonnante de notre actualité frappe à notre propre porte, quand on nous dit que les glaciers fondent et que les microparticules de plastique envahissent les océans, parfois, au lieu de nous ouvrir à ces problèmes complexes et laisser nos schémas mentaux et nos habitudes évoluer et se mettre à jour à leur contact, nous préférons détourner le regard et fermer les yeux.

En conduisant l’aveugle hors du village, Jésus le fait sortir de son confinement immédiat. Et en créant une relation de confiance avec lui, il l’ouvre peu à peu à toute la complexité, la beauté de la vie. En sortant du village, l’homme apprend à ne plus se voiler la face, mais à regarder lucidement, sereinement les situations et les personnes telles qu’elles se présentent. Il ne les voit plus comme des arbres qui marchent.

Mais il voit les situations comme des situations uniques qui nécessitent une implication unique, il voit les gens comme visages uniques avec qui vivre une relation unique.

10. Avec la rentrée, nous sommes comme les disciples, nous sommes embarqués au milieu de pleins d’activités. Des activités qui parfois nous réjouissent, nous passionnent. Mais parfois aussi qui nous stressent, nous contrarient et nous inquiètent.

Dans ces moments-là encourageons-nous mutuellement à cultiver l’évangile. Oui, laissons cette bonne nouvelle nous faire sortir de nos villages et nous faire voir des choses qui jusque là échappaient à notre attention.

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 15 septembre 2019 au temple de la rue Maguelone à Montpellier.
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