Pourquoi dis-tu, Jacob, pourquoi répètes-tu, Israël : Ma destinée est cachée au Seigneur, mon droit passe inaperçu de mon Dieu ? Ne le sais-tu pas ? Ne l’as-tu pas entendu ? C’est le Seigneur (YHWH), le Dieu de toujours, qui crée les extrémités de la terre ; il ne s’épuise ni ne se fatigue ; son intelligence est insondable. Il donne de la force à celui qui est épuisé et il augmente la vigueur de celui qui est à bout de ressources. Les adolescents s’épuisent, ils se fatiguent, les jeunes gens finissent par trébucher ; mais ceux qui espèrent le Seigneur renouvellent leur force. Ils prennent leur essor comme les aigles ; ils courent et ne se fatiguent pas, ils marchent et ne s’épuisent pas.

lob 190320 1Esaïe 40, 27-31 (nouvelle bible Segond)

1. Ici dans ce passage biblique, le prophète s’adresse fraternellement à ses concitoyens. Quand il interpelle Israël ou Jacob, le prophète n’interpelle pas une personne particulière, non, il s’adresse à un collectif, à tout un peuple. 

Un peuple qui comme un seul homme vit une situation de crise. Une crise qui n’épargne personne tant elle touche chacun dans son quotidien. A cause de cette crise, ce peuple voit son monde basculer et se défaire. Des choses impensables hier arrivent.

Quand il est écrit  à la première personne du singulier« Ma destinée est cachée au Seigneur, mon droit passe inaperçu de mon Dieu ? », il faut bien comprendre que cette plainte n’est pas exprimée par un seul et unique individu, non c’est une plainte portée par tout un peuple, qui sous le choc de ce qui lui arrive, essaie  d’interpréter et de comprendre les signes du temps.

Aujourd’hui face à cette pandémie qui se répand ne comprenons-nous pas bien cette logique ?   

Parce que ce  virus n’épargne personne, nous nous  retrouvons tous, que nous soyons chinois, iraniens, européens, américains ou africains, comme un seul homme à nous poser les mêmes questions. Tous nous sommes habités par le même besoin de comprendre et d’interpréter de manière juste les signes du temps. 

2. A l’époque biblique, le peuple frappé par la crise exprimait le sentiment d’abandon et d’injustice en répétant :  « Ma destinée est cachée au Seigneur, mon droit passe inaperçu de mon Dieu »

Or quand le prophète saisit ce sentiment et cherche à y répondre, avez-vous remarqué ?  Il ne s’adresse pas à un « vous » général,  il n’utilise pas un « vous de politesse », non, le prophète parle en  le tutoiement.

« Pourquoi dis-tu, pourquoi répètes-tu ? »

Quand il aborde le sentiment sensible et explosif qui taraude le peuple, le prophète ne parle pas à la cantonade, au contraire, il cherche à rejoindre chacun dans ce qu’il est en train de vivre. Le prophète ne met pas une distance de politesse, non il se fait fraternel et solidaire. 

Il tutoie, mais un « tu » particulier. Un « tu »  aussi qui tient tête au peuple. Quand le prophète parle, ce n’est pas simplement pour  donner à l’autre une tape sur l’épaule, passer de la pommade ou abonder en son sens. Non ! Le tutoiement du prophète est un tutoiement qui invite son vis-à-vis  s’assoir, c’est un tutoiement qui invite à  se poser pour avoir une franche et bonne conversation. 

Une conversation durant laquelle rien ne sera esquivé, et où  tout ce qui doit être dit sera dit. Cette attitude de la part du prophète m’inspire la réflexion suivante : 

Par le passé, dans les moments de crise, de doute et perplexité que nous avons déjà  dû traversés,  parmi les choses qui nous ont  permis de relever la tête et de reprendre nos esprits, n’étaient-ce pas justement d’avoir pu vivre de bonnes et  franches conversations ? De ces conversations durant lesquelles rien n’a été esquivé, de ces conversations où l’important et l’essentiel ont été dit. 

De ces conversations  où aucun de ces sentiments qui nous taraudaient n’a été esquivé ; de ces conversations grâce auxquelles nous avons fini par toucher du doigt l’essentiel parce que tout ce qui devait être dit a été dit.  

Dans les moments que nous vivons aujourd’hui,  ma prière pour chacun d’entre nous est que puissions nous aussi rencontrer des prophètes, c’est à dire des personnes fraternelles avec lesquelles nous pouvons avoir de franches et bonnes conversations.  

Et que grâce à ces conversations, nous puissions reprendre nos esprits, retrouver notre lucidité et relever la tête.  

lob 190320 23. Au chapitre 40 du livre d’Esaïe, la conversation  continue  par une interpellation du prophète au peuple, une interpellation disant : 

 « ne le sais-tu pas ? ne l’as-tu pas entendu ? »

Quand une crise survient, nous sommes plongés  dans un trouble profond, parce que nos repères habituels sont bousculés. Ce qui nous arrive nous semble impensable, incroyable, aberrant. Nous sommes saisis par un flou angoissant. 

Dans ces moments là, la rencontre prophétique est celle où notre vis-à-vis nous dit : 

«  ne le sais-tu pas ? ne l’as-tu pas entendu ? » 

Par ces questions, il remobilise en nous ce que nous savons, ce que nous avons jusque là appris de la vie,  il remobilise ces convictions qui se sont forgées au fil du temps et qui dans les crises du passé nous ont déjà aidé à reprendre pied. 

Le flou et l’angoisse suscités par la crise sont tellement envahissants, que souvent nous nous laissons être submergés par la fébrilité et l’inquiétude, souvent nous perdons de vue le savoir précieux que nous avons  acquis par le passé.

Si cela devait nous arriver, la rencontre devient prophétique quand notre vis-à-vis nous dit : «  Ne le sais-tu pas ? ne l’as-tu pas entendu ? »  

Grâce à ces questions, nous serons plus embarqué spar le flot assourdissants de paroles se déversant sur les réseaux sociaux et se révèlant parfois n’être que des fakes-news et des rumeurs. 

Grâce à ces questions, nous renouerons contact avec le savoir fondé, avec les paroles éprouvées qui par le passé ont été de véritables bouées  nous ayant permis de flotter, flotter jusqu’à ce que nous touchions la rive. 

Dans la  crise, ne te laisse pas envahir par le stresse et l’angoisse, reviens plutôt à une parole fondée,  renoue avec un savoir éprouvé ! 

4. Pour ce qui est de notre texte biblique de ce jour, le savoir éprouvé que le prophète Esaïe reconvoque, c’est la conviction que Dieu crée. 

Voici ce qui est écrit : 

C’est le Seigneur (YHWH), le Dieu de toujours

qui crée les extrémités de la terre ;

il ne s’épuise ni ne se fatigue ;

son intelligence est insondable.

Avez-vous remarqué ? Dans cette phrase, la conviction qui est mise en avant, ce n’est pas celle que le Seigneur est celui qui, un jour, il y a fort longtemps, a créé le monde et qui depuis a fini son job.  Non la conviction qui est mise en avant, c’est celle que le Seigneur est celui qui crée, qui aujourd’hui encore et toujours continue de créer. 

Une traduction littérale de ce passage pourrait être : Dieu de toujours, Seigneur créant les extrémités de la terre. Le verbe créer en hébreu n’est pas conjugué au passé. C’est un participe présent. Dieu est le Seigneur créant toujours

L’agir de Dieu, le fait de créer n’est pas un agir d’un jour, c’est un agir de toujours.  Voilà pourquoi il est écrit que l’intelligence du Seigneur est insondable. 

A force d’être un agir de toujours, à force d’être une pratique affûtée, remise des milliers de fois sur le métier, alors s’est forgé au coeur de cette pratique, une intelligence insondable.

Aujourd’hui, cette crise ne survient pas alors que le monde en est à ses débuts. Depuis le temps que Dieu crée, son agir est gouverné par une intelligence insondable. 

S’il a pu créer notre monde à partir de rien, à combien plus forte raison, son intelligence insondable saura nous guider pour qu’à notre tour, nous sachions comment tirer parti et recommencer après cette crise qui détricote notre monde. 

Au coeur de la crise que traverse le peuple biblique, le prophète Esaïe rappelle une conviction que chacun avait  certes apprise bien sagement à son catéchisme, mais une conviction qui depuis le temps s’était retrouvée enfouie et délaissée au fond de la mémoire, recouverte par  les sables du temps. 

Tel un archéologue, Esaïe fait ressurgir cette conviction. Il la dépoussière, il la polit pour qu’elle retrouve un nouvel éclat. 

Au creux de chaque épreuve, rappelle-toi :  quand il s’agit de créer, l’intelligence du Seigneur est insondable. 

lob 190320 35. Vous me direz peut-être : 

mais alors, à quoi cela peut-il servir de rappeler une telle conviction au coeur d’une crise ?

Je répondrai  ceci : 

Quand tu dois affronter une crise, ne pars pas sur le champ de bataille seul, ne te replie pas sur ton pré carré en cherchant à défendre mordicus tes acquis. 

Affronte le vent de face certes, mais  avance sur le champ de bataille en faisant alliance avec Celui dont l’intelligence est insondable quand il s’agit de créer à partir de rien. 

Ne fais pas cette erreur de jeunesse, de néophyte que de penser que tu pourras à toi seul surmonter cette épreuve !  

Partir seul dans la bataille,  en ne comptant que sur toi seul, c’est trébucher de suite. Vite tu te retrouveras comme un bleu, épuisé et terrassé.

Or si Esaïe affirme que « Les adolescents s’épuisent et se fatiguent, que les jeunes gens finissent par trébucher », Esaïe affirme aussi que « ceux qui espèrent le Seigneur renouvellent leur force. Ils prennent leur essor comme les aigles ; ils courent et ne se fatiguent pas, ils marchent et ne s’épuisent pas. »

6.  Espérer le Seigneur, qu’est-ce que cela veut dire ? 

De là où j’en suis arrivé dans ma compréhension des Écritures, je dirai ceci : 

Espérer le Seigneur, c’est apprendre, dans nos épreuve à compter au-delà de nous-mêmes, apprends à compter sur les autres, sur Dieu. 

Espérer dans le Seigneur, c’est découvrir combien nous sommes dépendants des autres, et au-delà de Dieu pour nous en sortir. 

La force morale et la vitalité nous sont données lorsque nous plaçons notre espérance, non pas  dans des illusions, qui nous feraient miroiter que  nous pourrions nous en sortir seul, des illusions qui nous feraient miroiter la solution viendra sans que nous ayons besoin de rien faire ni de changer.  

La force morale et la vitalité nous sont données lorsque nous plaçons notre espérance dans le Seigneur, c’est à dire dans cette petite voix tranquille qui déjà a parlé à Moïse du milieu du buisson ardent et l’a envoyé accomplir une belle mais redoutable mission, certes, mais dont l’intelligence s’est révélée insondable pour aider Moïse à libérer tout le peuple de l’esclavage. 

La force morale et la vitalité qui nous sont données lorsque nous plaçons notre espérance  dans le Seigneur, dans cette petite voix tranquille qui déjà a porté Jésus tout au long de sa vie jusqu’il accomplisse une autre libération, jusqu’à ce qu’il ouvre chaque conscience à la solidarité et la fraternité. Pour que Jésus puisse entrainer  chacun.e dans cette libération, l’intelligence du Seigneur s’est révélée être insondable. 

Alors à ton tour, aujourd’hui, espère le Seigneur,  apprends à reconnaître cette petite voix tranquille !  Le chemin qu’elle indique n’est sûrement pas le plus facile, mais c’est celui qui ne déçoit pas !  Place ton espérance dans cette voix, oui compte sur son intelligence insondable pour accomplir aujourd’hui ce qui est juste. 

7.  Ainsi en espérant le Seigneur, nous ne serons pas au coeur de la crise, des poulets qui s’agitent, s’agitent mais qui restent vissé au sol.

Non, en entrant en communion avec un agir qui depuis toujours, en toute circonstance crée, nous prendrons de l’envergure et de la hauteur comme le font les aigles dans l’azur. 

Aujourd’hui, les défis auront beau être immenses ! 

Cependant, confiance ! 

Celui en qui nous avons placé notre espérance et nous révèlera des ressources insondables pour y répondre de manière appropriées. 

Amen

Luc-Olivier Bosset, culte pause enregistré à Cournonterral le 19 mars 2020.
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