Comme s’accomplissait le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu. Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d’un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues leur apparurent, qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres ; il s’en posa sur chacun d’eux. 4Ils furent tous remplis d’Esprit saint et se mirent à parler en d’autres langues, selon ce que l’Esprit leur donnait d’énoncer. Or des Juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel habitaient Jérusalem. Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue. Etonnés, stupéfaits, ils disaient : Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de Mésopotamie, de Judée, de Cappadoce, du Pont, d’Asie, de Phrygie, de Pamphylie, d’Egypte, de Libye cyrénaïque, citoyens romains, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons dire dans notre langue les œuvres grandioses de Dieu ! Tous étaient stupéfaits et perplexes ; ils se disaient les uns aux autres : Qu’est-ce que cela veut dire ? Mais d’autres se moquaient en disant : Ils sont pleins de vin doux ! 

lob juin202020 1Actes 2, 1-13 (traduction Nouvelle Français Courant) 

Vous pouvez écouter ce culte ici: 

et le voir ici.

2 Corinthiens 4, 6  : « Car le Dieu qui a dit : « Du sein des ténèbres brillera la lumière » a brillé dans notre cœur, pour que resplendisse la connaissance de la gloire de Dieu sur le visage du Christ. »

1. Un proverbe allemand affirme : « l’humain réfléchit, Dieu conduit». 

Aujourd’hui, alors que nous célébrons la fête de Pentecôte, l’occasion nous est donnée de prendre à bras le corps ce proverbe et justement d’y réfléchir, c’est à dire : non d’y acquiescer sans le remettre en question, ni de le balayer d’un revers de main, mais de l’évaluer comme on soulève un objet intriguant et précieux en le faisant tourner afin de l’examiner sous toutes ses facettes. 

« l’humain réfléchit, Dieu conduit »

Parmi les affirmations qui structurent notre foi, il y a celles qui osent dire que Dieu conduit l’histoire. Cependant : Que sommes-nous en d’affirmer lorsque nous disons : « Dieu conduit » ? 

2. Certains trouveront qu’en abordant cette question, je délaisse l’actualité. En effet, alors que nous sommes en train de nous débattre avec les répliques sociales, économiques, écologiques provoquées par le tremblement de terre de cette pandémie, n’y a-t-il pas des problèmes plus importants et urgents que celui de revisiter les affirmations classiques de notre catéchisme ? 

À cette objection, je répondrai ceci : aujourd’hui pour répondre à ces répliques, nous avons besoin d’être alertes. Or au lieu que cela soit le cas, il se peut que nous soyons au contraire plombés, car dans notre tête trainent des schémas mentaux qui stérilisent notre esprit d’initiative. Pour pouvoir lucidement évaluer notre situation et ensuite calmement envisager comment y réagir, nous avons besoin d’être établis au fond de nous-mêmes sur des représentations fiables. 

Si ce n’était pas le cas, c’est comme si nous avancions mal équipés au devant d’un défi. Nous appuyant sur des représentations contestables et mal abouties, nous n’analysons pas la situation telle qu’elle le nécessite et nous passons à côté de l’enjeu essentiel du moment. 

Aujourd’hui pour nous hisser à la hauteur de la situation exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons, il est important à côté d’autres démarches, de prendre le temps de revisiter les représentations qui sommeillent au fond de nous, afin que ces dernières puissent le moment venu être un équipement fiable, libérant notre lucidité et notre esprit d’initiative.  

3. C’est pourquoi, sans prétendre répondre à toutes les questions sociales, économiques ou écologiques que nous posent cette pandémie, je souhaite aujourd’hui faire mon job de pasteur en  vous proposant de réfléchir à cette question :

Aujourd’hui, que sommes-nous en train d’affirmer lorsque nous disons : Dieu conduit l’histoire ?  

Si dans ce proverbe, le symbole « Dieu » éveille pour nous la figure d’un petit vieillard barbu perdu sur un nuage, cette affirmation nous ferait tout simplement rire, tant elle nous paraitrait ridicule. 

Si le symbole « Dieu » évoque un grand horloger qui après avoir prouvé son savoir-faire en créant une mécanique complexe laisse ensuite l’horloge faire son travail, nous pourrions certes concéder qu’un tel horloger impulse l’histoire, mais qu’il ne la conduit plus depuis belles lurettes.

Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous contenter de représentations de Dieu qui, si elles ont pu séduire à d’autres époques, ne nous semblent plus en phase avec la représentation que nous nous sommes forgés du monde qui nous entoure. 

Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous contenter d’une représentation de Dieu vu comme un roi soleil gouvernant d’une main de maître l’histoire du monde, tant nous sommes conscients des interdépendances complexes dans lesquels chacun de nous est immergé, si bien que même l’empereur le plus puissant ne fait pas ce qu’il veut, ne mène pas les événements à la baguette. 

Dès lors, conscient de tout cela, quelle représentation de Dieu pourrions-nous proposer pour ensuite trouver dans cette phrase « Dieu conduit l’histoire » un appui libérant notre responsabilité et notre initiative ? 

lob juin202020 24. Pour cela, revenons au récit biblique de Pentecôte. Et arrêtons-nous plus particulièrement sur la formule particulière qui ouvre ce récit : « comme s’accomplissait le jour de Pentecôte ». Non pas simplement « lorsqu’arriva le jour de Pentecôte », mais « comme s’accomplissait le jour de Pentecôte ». 

Si l’auteur du livre des Actes avait simplement voulu pointer l’advenue d’un jour  du calendrier, il n’aurait pas choisi une tournure aussi sophistiquée. En formulant les choses ainsi, l’écrivain exprime quelque chose d’important. 

Cette expression particulière est déjà apparue une autre fois dans l’oeuvre de Luc (Lc 9,51) pour signifier qu’une étape était accomplie et que désormais on franchissait un palier pour entrer dans une nouvelle phase de la narration.

Ainsi avec cette tournure, l’enjeu est de souligner une vision particulière de l’histoire. La succession des 50 journées qui suivent la fête de Pâques n’est pas perçue comme un simple égrenage des feuilles du calendrier qui ensuite s’empilent dans un coin ou s’envolent sans laisser de trace. 

Le temps qui passe n’est pas vu comme quelque chose de creux et ennuyant. Il n’est pas vu comme un amoncellement de moments disparates et insignifiants. Au contraire, la traversée de ces 50 journées permet à un processus de s’accomplir. Dans le récit de Pentecôte, le processus qui s’accomplit, je le décrirai de la manière suivante. Après l’échec de la crucifixion, la belle histoire initiée par Jésus aurait pu s’arrêter faute de combattants et de personnes voulant la poursuivre. Tout aurait pu s’effilocher et finir en capilotade. 

C’est arrivé si souvent dans l’histoire que des aventures soulevant de multiples espérances capotent, hoquettent et finalement calent ! Or là, dans ce récit, le processus ne cale pas, parce que, au fil des jours, un nouvel état d’esprit murit parmi les disciples. L’angoisse, la désillusion ou le découragement provoqués par la disparition brutale de Jésus ont trouvé moyen d’être sublimés, c’est à dire que l’élan qui poussait les disciples à se replier et se morfondre a été comme retourné de l’intérieur pour devenir un autre élan, un élan qui les ouvre et les élève.

C’est cela le travail de l’Esprit que nous célébrons au coeur de la fête de Pentecôte !  Ce travail de l’Esprit, cette sublimation n’est pas venue en un jour. Le récit prend soin de la décrire comme survenant grâce à l’égrainage de 50 journées.

Ce travail de l’Esprit, cette sublimation n’est pas venue toute seule. Elle n’a pas émergé du bon vouloir des disciples. Elle est le fruit d’une série d’interpellations survenues d’en dehors d’eux-mêmes. Le récit biblique de Pentecôte exprime cela métaphoriquement quand il affirme que ce qui met les disciples en  mouvement « vient du ciel ».  

C’est d’ailleurs une constante dans la Bible. Le peuple d’Israël ne s’est pas réveillé un jour en se disant : tiens, nous voulons sortir de l’esclavage. Non, c’est parce qu’il a été interpellé par une adresse venant d’ailleurs, qu’il s’est mis en route. 

De même ici, les disciples entrent dans une nouvelle étape de leur histoire parce qu’ils sont interpellés par un appel venant de plus loin que d’eux-mêmes. 

5.  Dans l’arc narratif allant du dimanche de Pâques à la fête de Pentecôte, nous trouvons toute sorte de phénomènes extraordinaires (tremblement de terre, vent violent, des langues de feu) pouvant étayer une vision d’un Dieu conduisant l’histoire de manière souveraine et triomphaliste. 

Cependant, si nous nous immergeons dans ces récits bibliques, il est frappant de constater que pour décrire l’action de Dieu, ce qui revient le plus souvent, ce ne sont pas les descriptions de phénomènes extraordinaires. Ces phénomènes sont mentionnés, puis sans chercher à les expliquer, le récit passe à autre chose. Non ce qui sert de pivot dans ces récits et qui permet à la narration de basculer dans un nouveau palier, ce sont des questions. 

Si depuis le jour de Pâques jusqu’au jour de Pentecôte, l’état d’esprit des disciples évolue, c’est parce qu’ils sont rencontrés par des vis-à-vis qui les appellent à questionner leur ressenti et leur perception : 

Pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?

Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? 

Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? 

Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? 

Pourquoi êtes-vous troublé ? Pourquoi des doutes vous viennent-ils ? 

Pourquoi restez-vous là à scruter le ciel ? 

Ainsi la représentation d’un Dieu conduisant l’histoire que nous laisse ces récits bibliques, n’est pas celle d’un roi soleil, mais plutôt celle d’un vis-à-vis qui jours après jours questionne chaque disciple pour que de la succession des jours émerge en chacun d’eux un nouvel état d’esprit, sublimant l’échec et la désolation. 

lob juin202020 36. En ce sens, cette représentation de Dieu conduisant l’histoire est en résonance profonde avec cette phrase surgissant au milieu d’une argumentation de l’apôtre Paul : « Dieu dit : du sein des ténèbres brillera la lumière » (2 Cor 4,6). Ici dans cette phrase, Dieu est perçu comme un appel poussant à ce que quelque chose du sein des ténèbres se sublime afin que brille la lumière.

Dans cette phrase de Paul, le futur « brillera » rappelle que, pour que la lumière brille, il faut que tout un processus se déploie et aboutisse. Or ce futur rappelle aussi combien l’aboutissement d’un tel processus demeure incertain. Combien de fois dans l’histoire, du sein des ténèbres  de la lumière a éclos, mais n’a pas été jusqu’à briller ? 

Et pourtant ce futur peut aussi nous aider à reconnaître que, par moment, il y a eu dans notre histoire quelque chose de cet ordre là. Par exemple, si nous interprétons la lumière comme étant le symbole de la conscience, ne pourrait-on pas en relisant le grand mouvement de l’évolution du monde affirmer que du sein des ténèbres originelles a émergé une vie consciente ? 

Une vie consciente d’où elle vient et qui plus elle avance dans l’histoire, plus elle devient aussi consciente de ses responsabilités vis à vis de l’évolution de cette histoire. 

Une vie qui justement parce qu’elle est consciente ne fusionne plus avec les ténèbres, mais apprend à s’en démarquer en répondant à cette voix qui l’appelle à laisser briller  sa conscience… 

Dieu perçu comme un appel à questionner permettant que quelque chose du sein des ténèbres se sublime et que brille la lumière

7. Aujourd’hui, qu’est-ce que cette représentation de Dieu peut nous inspirer ?

Le soleil printanier a beau s’installer dans nos contrées, nous pouvons avoir l’impression d’être au sein de ténèbres quand nous entendons les mises en garde sur une possible deuxième vague épidémique, quand nous entendons la colère sociale qui gronde, quand nous entendons les alertes de plus en plus pressantes sur la crise écologique, quand nous voyons se durcir des tensions géopolitiques entre les différentes puissances du monde.  

L’amoncellement de ces nuages pourrait ainsi conforter notre sentiment que les ténèbres ne peuvent que produire encore plus de ténèbres. 

Or dans un tel contexte, croire que Dieu conduit l’histoire, ce n’est pas nécessairement verser dans l’obscurantisme ou la naïveté, c’est plutôt dresser l’oreille et être attentif à cette voix qui nous invite à laisser briller notre conscience pour que de notre réflexion émerge des actes lumineux, des actes qui, ayant sublimé la désolation, alimentent l’espérance.  

Amen

Luc-Olivier Bosset (31 mai 2020, prédication du culte)
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