Holà ! Vous tous qui avez soif ! Venez vers l’eau, même celui qui n’a pas d’argent ! Venez, achetez et mangez, venez, achetez du vin et du lait, sans argent, sans rien payer ! Pourquoi pesez-vous de l’argent pour ce qui n’est pas du pain ? Pourquoi vous fatiguez-vous pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi donc et mangez ce qui est bon, et vous vous délecterez de mets succulents.Tendez l’oreille et venez à moi ; écoutez, et vous vivrez ; je conclurai pour vous une alliance perpétuelle, celle de la fidélité envers David, qui est sûre. J’ai fait de lui un témoin pour les peuples, un chef qui commande aux peuples. Tu appelleras une nation que tu ne connais pas, et une nation qui ne te connaît pas accourra vers toi, à cause du Seigneur, ton Dieu, du Saint d’Israël, qui te donne de la splendeur. Cherchez le Seigneur pendant qu’il se laisse trouver ; invoquez-le pendant qu’il est proche. Que le méchant abandonne sa voie, et l’homme malfaisant ses pensées ; qu’il revienne au Seigneur, qui aura compassion de lui, – à notre Dieu, qui pardonne abondamment. Car mes pensées ne sont pas vos pensées, vos voies ne sont pas mes voies – déclaration du Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées. Comme la pluie et la neige descendent du ciel et n’y reviennent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et fait germer, sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui a faim, ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche : elle ne revient pas à moi sans effet, sans avoir fait ce que je désire, sans avoir réalisé ce pour quoi je l’ai envoyée. Oui, vous sortirez dans la joie et vous serez conduits dans la paix ; les montagnes et les collines éclateront en cris de joie devant vous, et tous les arbres des champs battront des mains. Au lieu des buissons poussera le cyprès, au lieu de l’ortie poussera le myrte ; ce sera pour le Seigneur un nom, un signe perpétuel, qui ne sera pas retranché.
 

lob 130920 1Esaïe 55 (traduction Nouvelle Bible Segond)  

1. Ce matin, je vous propose de nous arrêter auprès de cette exhortation, qui comprend l’un des verbes incontournables des Écritures bibliques, le verbe « écouter ». Si ce verbe est incontournable, c’est entre autres raisons parce qu’il se retrouve dans une des phrases centrales de la spiritualité juive :  

« Écoute Israël, le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un. » 

Vous constatez que ce verbe est mis en premier dans la confession de foi, comme pour rappeler qu’avant de faire ou de proclamer quoi que ce soit, il s’agit de tendre son oreille, d’accorder son attention, de dresser ses antennes. 

Si ce matin, je vous propose de méditer autour de l’importance de ce verbe, c’est parce que, dans le passage biblique du prophète Esaïe que nous venons de réentendre, il est même assorti d’une promesse, et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit de rien de moins que celle de la vie. 

 « Écoutez et vous vivrez ! »

Comme pour nous rappeler que le temps que nous prenons à écouter n’est pas un temps vide et perdu. C’est un temps qui nous rend perméable et vous reconnecte à la vie. 

 « Écoutez et vous vivrez ! » 

2. Je trouve tout à fait intéressant de méditer cette phrase, en ce moment particulier que nous vivons. Nous vivons un temps de rentrée où après la pause estivale, nous reprenons nos activités et nos engagements. Mais ce temps de rentrée est exceptionnel, car à cause de la pandémie, nous ne pouvons pas reprendre nos activités comme d’habitude. Nous sommes en train de vivre quelque chose qui impacte et bouleverse profondément toutes nos pratiques.  

A cause de ce contexte exceptionnel, nous ne pouvons plus faire ce que nous faisions habituellement, sans trop nous poser de questions. Même nous serrer la main, nous faire la bise, choses qui paraissaient naturelles et évidentes ne le sont plus. 

A la place de ces habitudes et évidences, traine au fond de notre esprit un questionnement particulier : ce que nous sommes en train de faire, est-ce bien adapté à cette nouvelle situation ? 

Jusqu’à maintenant, les engagements associatifs et ecclésiaux que nous avions pris avaient à nos yeux du sens, de l’importance. C’est justement pour cela que nous les accomplissions. Ils nous semblaient utiles et nous connectaient à la vie. 

Mais voilà le contexte exceptionnel dans lequel nous sommes plongés, fait que nous nous interrogeons. Ce qui hier était important, nécessaire et utile, est-ce que cela l’est encore aujourd’hui ?

Face à une telle situation exceptionnelle, nous pourrions penser que la réponse serait de garder le cap coûte que coûte. Pour ne pas être abasourdis par les turbulences de cette crise, mais rester éveillés et vivants, nous pourrions penser qu’il ne nous faudrait surtout pas abandonner nos bonnes habitudes. Et donc, qu’il nous faudrait continuer d’agir comme nous l’avons toujours fait. Ainsi l’exhortation adéquate serait : « Continuez d’agir et vous vivrez »

Face à une telle situation exceptionnelle, nous pourrions aussi tout à fait penser que la réponse serait, au contraire,  de changer de cap. Pour ne pas être abasourdis par les turbulences de cette crise, mais rester éveillés et vivants, nous pourrions penser qu’il nous faudrait plutôt faire un saut dans l’inconnu, d’oser faire ce que nous n’avions jamais osé faire jusque là, oser arpenter de nouveaux territoires. Et là, l’exhortation adéquate serait alors : « Changez et vous vivrez »

Loin de nous pousser dans une direction plutôt que dans une autre, l’exhortation tirée de la deuxième partie du livre du prophète Esaïe que les exégètes appelle deutéro-Esaïe, l’exhortation nous invite à placer en premier lieu, non la démarche de garder le cap, ni celle de changer de cap, mais celle de  l’écoute. Pour ne pas être abasourdis par les turbulences de cette crise, mais pour rester éveillés et vivants, il nous faut  prendre le temps de l’écoute. 

 « Écoutez et vous vivrez ! »

Mais, qu’est-ce que cela veut dire concrètement : prendre le temps de l’écoute…

Pour répondre à cette question, intéressons-nous quelques instants au contexte dans lequel surgit ce propos du deutéro-Esaïe.  

lob 130920 23. Les exégètes datent les chapitres 40 à 55 du livre du prophète Esaïe de l’époque où Israël est en train de vivre de profonds bouleversements. Le séisme qu’ont été l’invasion de Jérusalem par l’empereur Nabuchodonosor et la déportation à Babylone, ce séisme a eu lieu. L’onde de choc provoqué par ce séisme n’a pas fini de se propager. D’ailleurs, comme illustration de cette onde de choc, un questionnement à l’époque circulait souvent sur les lèvres du peuple d’Israël, un questionnement auquel il n’était pas évident de répondre aisément  : la splendeur victorieuse de Babylone ne serait-elle pas le signe que le dieu Marduk est finalement plus puissant qu’Adonaï, le Dieu qui avait promis fidélité à la dynastie du roi David ? A cause de cette victoire, ne faudrait-il pas changer de loyauté ? Abandonner des attachements qui n’ont plus raison d’être ? Bref cesser de cultiver une fidélité à Adonaï pour s’affilier au culte de Marduk ?

Cependant, à l’époque où parle le deutéro-Esaïe, les événements géopolitiques se précipitent. La belle Babylone, elle-même, tombe sous domination d’un autre empire : l’empire perse. La politique de ce nouvel empire s’annonce plus clémente et tolérante pour la culture et la foi d’Israël, que ne l’était la politique des babyloniens déchus. Le fait que le dieu Marduk ait perdu de sa splendeur, cela ne signifie pas pour autant que, parmi le peuple juif, tout un chacun pouvait reprendre telles quelles les croyances d’avant. 

La crise avait justement provoqué de telles secousses qu’on ne pouvait justement plus vivre et croire comme avant. Les affirmations du catéchisme d’avant la crise ne nourrissaient plus, car entre temps, il s’était passé bien des choses qui avaient fait évoluer les perceptions de chacun.

Du coup, chercher à garder absolument le cap tel qu’il était perçu auparavant n’était pas une attitude satisfaisante. Pour que les affirmations du catéchisme d’avant apportent une nourriture qui alimente vraiment, une nourriture qui fasse vivre, il fallait qu’elles réussissent à s’adapter à la nouvelle donne. Qu’elles se hissent à la hauteur des nouveaux enjeux. 

Dans ce contexte là, ce que je trouve de tout à fait intéressant, c’est l’attitude que déploie le deutero-Esaïe. Bien sûr, il s’évertue à appeler ses contemporains à la fidélité à Adonaï, mais il ne le fait pas en martelant ce que tout le monde a déjà entendu. Au contraire, il propose une nouvelle vision de qui est Adonaï, il propose une vision rafraichissante de la relation que ce dernier souhaite tisser avec chaque membre de l’alliance ; il propose même une vision renouvelée des destinataires de cette alliance. Bref, vous voyez les mots « Adonaï», « alliance », « peuple » sont toujours là. Ce sont les mêmes que dans le catéchisme d’avant. Cependant, le contenu, le sens de ces mots évolue. 

Pour illustrer cela, arrêtons-nous quelques instants auprès d’un mot : « Justice ». 

Avant la crise, l’idée dominante dans la tradition  était que Dieu se révélait être juste lorsqu’il distribuait mérite et récompenses à celles et ceux qui avaient bien agi ;  et aussi lorsqu’il distribuait punition et sanction à celles et ceux avaient mal agi. 

Or voilà qu’avec la crise, un nouvelle perception de la justice de Dieu émerge : Dieu est juste lorsqu’il reste fidèle à son alliance,  Dieu est juste lorsqu’il reste fidèle à ses engagements vis à vis d’Israël, et ceci malgré les égarements et les infidélités de ses partenaires de l’alliance. 

Et vous voyez que le deutéro-Esaïe se fait le chantre de cette nouvelle perception de la justice, lorsqu’au début du chapitre 55 que nous avons réentendu tout à l’heure, il dit de façon métaphorique et même avec un peu de lyrisme : 

Venez vers l’eau,

même celui qui n’a pas d’argent !

Venez, achetez et mangez,

venez, achetez du vin et du lait,

sans argent, sans rien payer !

Percevez-vous, dans ces propos, combien même celui qui n’est pas méritant, même celui qui n’a pas d’argent, même celui qui n’a pas fait ses preuves est invité au banquet ? 

Ici la justice ne signifie pas distribuer des bons ou mauvais points ; non, la justice signifie être celui qui en toute circonstance reste fidèle à son engagement d’inviter chacune et chacun au banquet.  

Attention, ici, je ne dis pas que le deutéro-Esaïe invente de toute part, et fabrique à partir de son propre imaginaire cette nouvelle perception de la justice de Dieu. 

Non, en puisant dans le formidable réservoir qu’est la tradition déjà constituée, le deutéro-Esaïe met en avant un sens du mot justice qui existait déjà dans cette tradition, mais qui jusque là, n’avait pas la place et l’importance que le deutéro-Esaïe lui donne.  

Et si le deutéro-Esaïe arrive à offrir ce sens rafraichissant du mot « justice », c’est peut-être parce que la crise et les soubresauts de l’histoire mouvementée du peuple d’Israël ont rendu son oreille plus fine à l’importance d’une ressource offerte par la tradition, une perception qui était déjà été exprimée dans cette tradition, mais qui jusqu’à présent était « dormante » tant elle n’était pas mise en valeur.

Or la fine écoute que le deutéro-Esaïe fait de sa tradition a été salutaire. Car elle est venue rencontrer ses auditeurs dans ce qu’ils étaient en train de vivre pour les ouvrir à une nouvelle facette de l’alliance et de la confiance en Dieu. 

Grâce au deutéro-Esaïe, les israélites de l’époque ont compris que ce qui aide à traverser les crises, ce n’est pas l’idée d’un Dieu qui châtie nos incartades, mais ce qui aide à traverser les crises, c’est l’idée d’un Dieu qui, malgré les vicissitudes, reste fidèle à son alliance; un Dieu qui se révèle être juste, parce qu’au coeur de nos égarements, il se fait immense en pardon, capable de tout supporter et de tout reprendre et transformer afin que finalement nous arrivions tous à bon port.    

Ainsi, quand il exhorte «  écoutez et vous vivrez », le deutéro-Esaïe ne pousse pas ses auditeurs, qui traversent une crise profonde malmenant tous leurs repères, il ne les pousse pas à des fidélités sclérosées, à des fidélités arc-boutées sur ce qui s’est toujours fait et dit. Non, il les invite à l’écoute; il les invite à trouver dans le réservoir de leur mémoire collective des ressources dormantes.

4. Avec cette exhortation à l’écoute, je crois que le deutéro-Esaïe nous rappelle quelque chose d’essentiel, qui reste tout à fait valable pour nous aujourd’hui,  25 siècles  après :  une tradition a du sens, non pas quand elle est rabâchée à longueur d’années, mais lorsque, dans cette tradition, des ressources dormantes deviennent comme de l’eau et de la neige qui « descendent du ciel et n’y reviennent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et fait germer, sans avoir donner de la semence au semeur et du pain à celui qui a faim. » 

Alors, oui, aujourd’hui, face aux défis qui sont les nôtres, ne soyons pas agrippés à nos habitudes et nos traditions, mais commençons plutôt par écouter, laissons des ressources dormantes venir nous donner de la semence, du grain à moudre, du pain pour qu’ainsi alimentés, nous puissions ensuite avoir la vitalité pour affronter ces mêmes défis. 

lob 130920 35. Lorsque nous traversons de ces moments qui font qu’après, nous ne pouvons plus nous contenter de faire comme avant,  plutôt que de faire le dos rond en attendant que cela passe, ou bien plutôt que de nous accrocher à nos acquis, exerçons-nous à cette attitude que nous propose le deutéro-Esaïe  : 

« Écoutez et vous vivrez ». 

Oui, écoutons ce qui se passe autour de nous et en nous, même si cela nous angoisse, ne fermons pas les écoutilles, observons et prenons la mesure de ce qui est en train de se passer.

Puis, prenons aussi le temps d’évaluer toutes les ressources dont nous disposons, les ressources transmises par notre éducation, notre culture, nos engagements, nos connaissances,  notre spiritualité, notre foi ; oui prenons le temps de sonder toutes ces ressources, car là, dans tout cela, il y a des pépites dormantes pouvant nous redonner vie. 

« Écoutez et vous vivrez ! »

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 13 septembre 2020 au temple de Cournonterral
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