Avec joie,  rendez grâce au Père  qui vous a rendus capables d’accéder  à la part d’héritage des saints dans la lumière. le Père nous a extirpé de l’autorité des ténèbres  pour nous transporter dans le royaume de son Fils bien-aimé.  En lui nous sommes délivrés, en lui nous recevons le pardon des péchés.  Ce Fils bien aimé est l’image de Dieu, l’invisible. le premier-né de toute création ; car c’est en lui que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, le visible et l’invisible, trônes, seigneuries, principats, autorités ; tout fut créé par lui et pour lui ; Lui est en amont de tout chose En lui, toute chose est maintenue, subsiste et trouve sa cohésion. Ce Fils bien aimé est la tête du corps – qui est l’Eglise. Il est le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin d’être en tout le premier. Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la  plénitude et, par lui, de tout réconcilier avec lui-même, aussi bien ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux, en faisant la paix par lui, par le sang de sa croix. Quant à vous qui étiez autrefois étrangers, hostiles et ennemis, dans votre façon de penser et par vos œuvres mauvaises, il vous a maintenant réconciliés, par la mort, dans son corps de chair, pour vous faire paraître devant lui saints, sans défaut et inaccusables.  Oui vous serez inaccusables, si vraiment vous demeurez, dans la foi, fondés et fermement établis, sans vous laisser emporter loin de l’espérance de la bonne nouvelle que vous avez entendue, qui a été proclamée à toute création sous le ciel et dont moi, Paul, je suis devenu ministre.

lob mars21 1Vous pouvez voir le culte ici (le texte de la liturgie et celui de la prédication suivent sous la vidéo)

 

 

Colossiens 1, 12-23 (traduction Nouvelle Bible Segond)  

1. Ce passage de la lettre aux Colossiens que nous venons de réentendre est selon toute vraisemblance un hymne ancien, un cantique que devait chanter les premières assemblées chrétiennes lorsqu’elles se rassemblaient pour vivre leur culte. 

Si depuis tout ce temps, la mélodie sur laquelle étaient chantées ces paroles a été perdue, il n’empêche, quand nous entrons dans le rythme de ce poème, nous entendons une musique particulière. 

Oui, en lisant ces propos et y mettant, non pas le ton que nous prenons lorsque nous faisons un exposé académique, mais y mettant le ton que nous prenons lorsque nous déclamons un poème, alors nous sommes dans de bonnes dispositions pour percevoir au-delà des mots, l’émotion profonde qui les a inspirée. 

Quelle est donc cette émotion qui se révèle grâce à la musicalité de cet hymne ?  Pour ma part, en tendant l’oreille, j’y perçois un émerveillement jubilatoire. 

Oui, cet hymne est né d’une méditation émerveillée de la vie, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth. Certes, cet hymne ne nous raconte pas en détails comme le font les évangiles, les rencontres, les débats et les prêches que Jésus auraient vécu sur les routes de Palestine. Cependant, cet hymne nous transmet le parfum qui se dégage du sillage tracé par cette vie. 

Grâce à Jésus, ceux qui ont écrit cet hymne ont réalisé que Dieu n’est pas une divinité en colère que les humains doivent apaiser en accomplissant des rituels et des sacrifices.  Grâce à Jésus, ils ont découvert Dieu comme étant celui qui cherche à « tout réconcilier avec lui-même, aussi bien ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux » Grâce à Jésus, ils ont découvert  que Dieu est une divine surprise qui vient à rencontre des humains pour apaiser leur anxiété fondamentale qui les ronge de l’intérieur

Et le parfum qui se dégage de cette découverte est si apaisant, que cela les remplit d’une gratitude profonde, d’une joie insondable. Voilà pourquoi ils chantent leur émerveillement :  Dieu n’est pas une divinité dont il faudrait apaiser le courroux, mais Dieu est celui qui œuvre à tout réconcilier, Dieu est une divine surprise qui vient à leur rencontre pour apaiser l’anxiété fondamentale les rongeant de l’intérieur.  

2. Pour comprendre cet émerveillement jubilatoire, rappelons un trait saillant de la culture dans laquelle étaient immergées les premières communautés chrétiennes. Cette culture était façonnée par des récits où entre les dieux et les humains, les relations étaient compliquées, voir conflictuelles. 

Dans cette culture, quand il était question de réconciliation, c’était toujours pour pointer la démarche que devaient accomplir les humains pour apaiser le courroux des divinités. Oui pour que les dieux ne deviennent pas définitivement des ennemis des humains, pour qu’ils changent d’humeur et retrouvent une bonne disposition à l’égard des humains, il fallait que ces derniers accomplissent des rituels et sacrifices. Pour que la réconciliation se passe, il fallait que les humains fassent tout ce qui leur était possible pour apaiser les dieux. Comme si les dieux devaient changer d’humeur par rapport aux humains ;  comme si les humains pouvaient influencer les dieux . 

Dans cette conception culturelle, la réponse à la question « qui a besoin d’être apaisé ? » était claire : ce sont les dieux ! 

Quand nous lisons toute la lettre aux Colossiens, nous découvrons combien les membres de cette première communauté étaient marquées par cette culture. Et combien pour pacifier ce qu’ils appelaient «les principautés » et «les puissances»; principautés et puissances dont ils pensaient qu’elles avaient le pouvoir de les annihiler, ils devaient développer une pratique rigoriste et ascétique. 

Sentez-vous tout le poids qui, dans cette logique, pèsent sur les épaules des humains ? Ils sont responsables d’apaiser la colère des dieux ; et gare au redoublement de cette colère s’ils n’accomplissent pas leur devoir.  Sentez-vous combien cette logique alimente en eux une anxiété profonde ? Les divinités sont à la fois colériques et capable de vous annihiler, mais c’est sur vos épaules que repose la responsabilité de les apaiser.  

lob mars21 23. Aujourd’hui, nous ne vivons plus dans une telle culture. Cependant, ce n’est pas pour autant que nous ne sommes plus anxieux. 

Que ce soit dans nos relations interpersonnelles, ou dans la société en général, ou avec notre milieu, nous sommes toujours aux prises avec des situations compliquées, voire conflictuelles où s’expriment de la colère. 

Face à toutes ces tensions, comment ne pas nous sentir anxieux ?  Anxieux de ne pas réussir à bien les comprendre et par là-même, anxieux de ne pas savoir comment à les apaiser 

Si nous nous sentons anxieux, c’est parce que nous nous sentons responsables de permettre à ce qu’advienne une réconciliation. Que pouvons-nous faire pour apaiser le courroux de l’autre ? 

Aujourd’hui de jeunes générations reprochent avec colère aux plus anciennes la surexploitation et la pollution qu’elles ont produites. Aujourd’hui des personnes aux origines non-occidentales haussent le ton pour dénoncer les méfaits de la colonisation et exigent une autre lecture de l’histoire

Aujourd’hui des mouvements militent avec fièvre et fougue pour développer un langage épicène, c’est à dire un langage où les mots sont employés au masculin et au féminin sans variation de forme, et ceci pour dépasser ce qui est vu un rapport de domination du masculin sur le féminin. 

Oui, aujourd’hui sur de nombreuses questions sensibles de notre société, comme le changement climatique, la colonisation ou les relations sociales entre hommes-femmes, nous sentons combien les relations se compliquent et se tendent. 

Face à ces tensions, il y a de quoi être anxieux.  Que pouvons-nous faire qui puisse apporter l’apaisement ?   

4. Certes, face à ces tensions, vous me direz qu’il vaut mieux se sentir anxieux qu’agressif. Car c’est le signe que nous désirons faire ce qui est en notre pouvoir pour permettre une réconciliation. 

Alors que la personne agressive montre qu’elle se barricade, qu’elle se met sur la défensive, bref qu’elle n’écoute pas la colère et du coup la fait monter d’un cran, la personne anxieuse, elle montre qu’elle cherche, qu’elle se remet en question. 

Donc effectivement, il vaut mieux être anxieux qu’agressif. Cependant, en ayant dit cela nous n’avons pas tout dit. Car le problème de l’anxiété, c’est qu’elle ne nous permet pas de tenir sur la durée. Elle ne nous donne pas les moyens d’écouter et de réfléchir jusqu’au bout. L’anxiété nous met sous pression, et cette pression est parfois si désagréable que nous préférons pour la soulager, nous accrocher à un pis aller, à la première solution à notre disposition, une solution simple, rassurante, plutôt que de continuer à creuser pour trouver de meilleures bases à partir desquelles édifier une véritable solution. 

C’est pourquoi une réconciliation qui s’inspire des conseils soufflés par l’anxiété risque souvent d’accoucher dans la précipitation de solutions inadéquates. Au lieu que la réconciliation soit profondément et réellement apaisante, elle ne ressemble qu’à une trêve, un calme passager avant que ne se lève une autre tempête.  

C’est pourquoi aujourd’hui encore, une culture qui ne fait qu’entretenir de l’anxiété ne me parait pas satisfaisante.  Pour que nous puissions en affrontant les relations conflictuelles et compliquées de notre quotidien, inventer des compromis réellement pacifiants, j’ai besoin pour ma part d’une inspiration qui vienne de plus loin que l’anxiété. 

Et c’est cette inspiration que je découvre dans cet hymne inventé par les premiers chrétiens et qui se trouve au chapitre premier de la lettre aux Colossiens. 

5. Afin que les premiers chrétiens trouvent les trésors de patience, de calme et de réflexion nécessaire pour inventer une relation apaisée et réconciliée entre gens d’origines diverses, juif-grec, esclaves et hommes libres, l’hymne invite chaque croyant à vivre un renversement salutaire. 

Pour présenter ce renversement, reprenons la même question : «  qui a besoin d’être réconcilié ? » Ici l’évangile renverse la perspective et dit : ce n’est pas Dieu qui a besoin d’être apaisé, mais ce sont les humains. Dieu n’a pas besoin de se réconcilier avec les humains, mais ce sont les humains qui ont besoin d’être pacifiés pour pouvoir ensuite être en relation fluide avec Dieu , et les uns avec les autres. 

Dit de manière lapidaire : si nous avons à prier Dieu, ce n’est pas pour accomplir des rites nous garantissant que son courroux sera apaisé et qu’il nous sera bienveillant ; si nous avons à prier Dieu, c’est pour recevoir de lui la paix, ce calme profond, nous permettant ensuite d’aborder l’esprit libre et tranquille toutes les complications de l’existence. 

Les premières communautés chrétiennes étaient souvent composées en grande partie de croyants d’origine païenne, de croyants qui dès leur plus jeunes âges avaient été baignés dans une culture où il fallait apaiser les dieux. Or voilà qu’en découvrant l’évangile, ces croyants découvrent une autre manière de se relier à Dieu, une manière qui n’alimente pas en eux de l’anxiété, mais plutôt de la gratitude. Dieu n’est plus ce partenaire versatile et incertain, mais Il devient cet allié fiable sur lequel ils peuvent compter pour avancer dans la vie. 

lob mars21 36. En méditant la vie, la mort et la résurrection de Jésus, les premiers chrétiens réalisent que Dieu n’a pas besoin de se réconcilier avec les humains, car de son côté, quoi qu’il puisse arriver, son désir de communion est là. 

C’est cela qui s’est révélé de manière la plus sublime dans l’attitude de Jésus. En aimant jusqu’au bout, jusqu’à la croix, et par la suite en accompagnant les disciples culpabilisés, prostrés pour leur insuffler la paix jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ils sont aimés, Jésus a révélé l’intention profonde de Dieu : quoi qu’il puisse arriver, Dieu restera fidèle à son désir de créer une communion avec l’humain. Quoi qu’il puisse arriver, Dieu ne se reniera pas. Son désir de communion est ir-ré-vo-cable. 

C’est ce que chante cet hymne. Quand il est dit : « autrefois, vous étiez étrangers, hostiles, ennemis, dans votre façon de penser et par vos oeuvres mauvaises, mais maintenant, Dieu vous a réconcilié » « avec lui-même » « en faisant la paix par le Christ, par le sang de sa croix. » 

En faisant la paix par le Christ, Dieu vous a réconcilié avec lui-même… Le crucifié ressuscité a éteint l’hostilité et l’anxiété que les humains entretiennent vis à vis de  Dieu, en réussissant à révéler combien Dieu aime d’un amour qui croit tout, qui espère tout, qui endure tout. Un amour qui ne disparait jamais. 

Ce que la crucifixion révèle, c’est que Dieu ne peut que souffrir face à l’attitude hostile et anxieuse des humains à son égard, mais les humains ne peuvent pas, même avec leur action les plus horribles et les plus crucifiantes, ils ne peuvent pas changer son désir de communion.

C’est pourquoi, dans la relation compliquée entre Dieu et les humains, l’évangile ne propose pas de faire des sacrifices pour tenter par ce moyen d’apaiser la colère des  dieux. 

Bien plus, il  ose affirmer que ce n’est pas Dieu qui a besoin de conversion, mais ce sont les humains.  Ce n’est pas Dieu qui a besoin d’être pacifié, mais ce sont les humains qui ont besoin d’être apaisés. 

7. Si l’évangile, comme tout l’Ancien Testament parlent de la colère de Dieu, ils n’en parlent pas de la même manière que ne le fait la culture dominante de l’époque des premières communautés chrétiennes. 

Dans l’évangile et dans l’Ancien Testament, la colère de Dieu n’évoque pas son envie de renier ou de punir sa créature, mais seulement son « non » face à l’hostilité humaine qui refuse avec entêtement d’accorder le moindre crédit à chaque signe manifestant la volonté divine de communion. 

Percevez-vous  combien ici la colère de Dieu ne vise pas à alimenter en l’humain de l’anxiété, l’anxiété d’être annihilé par cette colère, mais combien cette colère évangélique vise à déloger l’humain de ce qui nourrit son anxiété, à savoir le déloger de sa vision d’une divinité menaçante dont il faudrait changer l’humeur pour nous la rendre favorable ?

Tant que l’humain ne sera pas délogé de cette perception malsaine de Dieu qui le rend anxieux, rebelle et agressif, Dieu utilisera tous les moyens, quitte à hausser le ton, pour rétablir la vérité : il n’est pas une divinité courroucée, mais visage qui désire nouer avec l’humain une alliance. 

8. Une fois que nous serons ancrés dans cette relation vraie d’un amour qui, quoi qu’il arrive ne se renie pas, alors nous serons complètement apaisés,  Alors nous serons dans de bonnes dispositions pour écouter jusqu’au bout les colères qui s’expriment dans les relations compliquées que nous côtoyons ; oui nous serons dans de bonnes dispositions pour chercher, creuser jusqu’à trouver une nouvelle manière d’être en relation qui soit apaisée et réconciliée.  

Amen

Luc-Olvier Bosset à l'Eglise Saint-André à Maurin (7-3-2021) 
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