Le lendemain, la grande foule qui était venue pour la fête entendit dire que Jésus venait à Jérusalem ; les gens prirent des branches de palmiers et sortirent au-devant de lui, en criant : Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël. Jésus trouva un ânon et s’assit dessus, selon ce qui est écrit : N’aie pas peur, fille de Sion ; ton roi vient, assis sur le petit d’une ânesse. Les disciples de Jésus n’ont pas compris cela sur le moment, mais après, quand Jésus fut glorieux, ils se souvinrent, ils se rappelèrent les choses écrites à son propos, et qu’elles avaient été réalisées. La foule qui était avec lui quand il avait appelé Lazare du tombeau pour le réveiller d’entre les morts lui rendait témoignage. C’est pourquoi la foule vint au-devant de lui : elle avait entendu dire qu’il avait produit ce signe. Les pharisiens se dirent donc les uns aux autres : Vous voyez que vous n’y pouvez rien : le monde s’en est allé à sa suite !

lob 280321 3Jean 12, 12-19 (traduction Nouvelle Bible Segond)  

0. « Les disciples de Jésus n’ont pas compris cela sur le moment, mais après, quand Jésus fut glorieux, ils se souvinrent, ils se rappelèrent les choses écrites à son propos, et qu’elles avaient été réalisées. »

Il y a dans ce passage de l’évangile des ressources nous permettant de mieux affronter l’histoire que nous sommes en train de vivre. Ces ressources, quelles sont-elles ? 

1. Pour commencer, je dirais que c’est de mettre en mot un sentiment qui peut-être nous habite aujourd’hui :  Le sentiment que sur le moment,  souvent nous ne comprenons pas ce qui est en train de se passer. 

En effet, qui d’entre nous imaginait, il y a une année lorsque cette pandémie s’est déclarée, qu’aujourd’hui encore, nous ne serions pas sortis d’affaire ? 

Sur le moment, ne pensions-nous pas qu’en appliquant des mesures fortes, ce virus serait maitrisé rapidement ?  Cependant, plus les semaines, les mois, les saisons ont passé, plus nous avons saisi la portée de cette pandémie. Une portée qui nous a poussé à réviser chacune de nos premières conclusions. 

Ce qui fait qu’aujourd’hui, une année après, en nous rappelant l’état d’esprit qui nous animait en mars de l’année dernière, nous pouvons nous dire comme le récit évangélique l’exprime à propos des disciples : oui, sur le moment, nous n’avons pas « compris », c’est à dire nous n’avons pas mesuré à sa juste valeur la portée de l’événement. 

2. Que réalisons-nous à la lumière de ce sentiment ? Ne réalisons-nous pas que nous sommes immergés dans des histoires dont nous ne percevons tout d’abord que des fragments ? Que nous sommes embarqués dans des aventures dont nous ne comprenons pas au premier abord tous les enjeux ? 

Non pas que ce que nous en percevons au premier abord soit complètement à côté de la plaque. Mais rétrospectivement, nous réalisons que ce que nous en avions compris avait beau être juste, cela n’était qu’une vision parcellaire de la réalité.

Plus le temps passe et plus nous vivons des expériences, plus nous rassemblons d’éléments qui peu à peu nous aident à élargir, affiner, voir même parfois à réviser notre perception initiale. 

Voilà pour commencer, ce que nous apporte ce passage de l’évangile. Il met en mot ce sentiment important : même avec la meilleure volonté du monde, sur le moment, il est difficile de saisir la portée de ce qui se passe. Il y a besoin de se donner du temps. Il y a  besoin de reconnaître que comprendre quelque chose est un processus au long cours. Un processus qui demande de ne pas être péremptoire ou dogmatique dans ses jugements. 

3. Si nous nous arrêtons là, si dans cette expression « sur le moment, ils n’ont pas compris », nous n’entendons qu’une exhortation à ne pas adopter des jugements catégoriques, nous n’aurons qu’une perception incomplète des ressources qu’elle nous offre. 

Et cela ne nous aidera pas à aborder de manière adéquate la situation que nous sommes en train de vivre. En effet, lorsque nous sommes comme aujourd’hui encore au milieu du gué, cette compréhension du « sur le moment, nous ne comprenons pas », ne suffit plus à nous donner du courage. 

Il manque quelque chose à cette compréhension pour qu’elle soit mobilisatrice. Quand nous sommes au milieu du gué, notre cerveau appesanti par les efforts déjà fournis, risque de la filtrer que comme un propos qui donne de l’eau au moulin de sa lassitude.  

En effet, alors que la situation pandémique s’éternise et qu’il nous faut affronter une troisième vague, une telle compréhension du « sur le moment, nous ne comprenons pas » ne risque-t-elle pas de renforcer la sensation qu’il ne faut pas se réjouir trop vite, car malgré tout ce que nous entendons sur la grande campagne de vaccination, nous ne sommes pas au bout de nos surprises, voir de nos désillusions. Car là aussi, est-ce nous évaluons bien la portée de ce qui est en train de se passer ? 

Au lieu de nous aider à canaliser l’appréhension qui nous tenaille, voilà que la même petite phrase ne fait  que la renforcer !  Ainsi quand nous sommes au milieu du gué, tout ce que nous avons dit jusqu’à présent ne nous parait pas suffisant pour être encouragés. 

Au lieu que nous nous saisissions de cette phrase pour nous mobiliser, nous pouvons l’entendre que comme une confirmation à toutes nos inquiétudes  : 

Oui, il ne nous faut pas avoir des jugements péremptoires, mais est-ce à dire que, malgré l’apparition des vaccins, nous ne sommes pas à l’abri de découvrir de nouveaux éléments nous obligeant à réviser nos pronostics les plus prometteurs ? 

« Sur le moment, ils ne comprirent pas »
« Sur le moment, nous ne comprenons pas » 

Aujourd’hui, alors que nous sommes au milieu du gué, n’avons-nous pas besoin d’aller plus loin dans notre compréhension de cette expression ? 

N’avons-nous pas besoin d’une compréhension plus complète, qui puisse non pas nous renforcer dans notre appréhension et notre lassitude, mais nous aider à les porter, à les supporter ?  

lob 280321 24. Quand nous sommes habités par ce genre de questions, il est bon de chercher l’éclairage de l’évangile. Il est bon de nous demander : Est-ce qu’il n'y aurait pas dans l’évangile une ressource complémentaire qui viendrait enrichir ce que nous avons dit jusqu’à présent ? 

Réécoutons le passage et voyons ce que cela nous permettra de découvrir. 

« Les disciples de Jésus n’ont pas compris sur le moment ce qui était en train de se passer, mais après, quand Jésus fut glorieux, ils se souvinrent, ils se rappelèrent les choses écrites à son propos, et qu’elles avaient été réalisées. »

L’évangile selon Jean est celui qui, parmi les quatre évangiles, fait le plus souvent mention de cette incompréhension des disciples sur le moment. Et à chaque fois, cette incompréhension s’inscrit dans une dynamique particulière.  

S’il est écrit que les disciples ne comprennent pas sur le moment, c’est parce que par la suite, ces derniers ont vécu un tournant, un événement révélateur. Dans le langage de l’évangile, ce tournant est éminemment positif et éclairant. Ce tournant a suscité et fait bouger quelque chose en eux ; ce tournant a réveillé leur mémoire, il a mobilisé de nouvelles ressources de leur intelligence, il les a fait grandir et gagner en maturité. Grâce à la lumière apportée par ce tournant, les disciples sont mieux équipés pour revisiter ce qu’ils ont vécu et accéder à un sens plus vaste, plus profond des événements. 

S’ils revisitent ce qu’ils ont vécu, ce n’est pas encore et toujours pour se rappeler combien à l’époque ils n’avaient pas compris, s’ils revisitent le passé, ce n’est pas pour se morfondre et se culpabiliser de n’avoir pas sur le moment su évaluer la portée des événements. 

Bien plus, s’ils revisitent leur histoire, c’est parce qu’enfin ils ont compris combien leur histoire n’est pas banale, bancale, mais que déjà, à l’époque cette histoire était porteuse de belles et bonnes braises, des braises qui éclairent et réchauffent. 

Donc si rétrospectivement, ils revisitent leur histoire, c’est justement pour rassembler ces braises éparses; et en les rassemblant trouver la chaleur, la lumière leur donnant le courage de sortir du milieu du gué où ils se trouvent et de continuer leur chemin. 

Quand à un moment donné, ils ont compris la densité, la beauté, l’importance de ce qu’ils partageaient avec Jésus ( c’est peut-être cela qui se cache dans cette expression mystérieuse « quand Jésus fut glorieux » ?), donc quand ils ont compris cette importance, alors ils ont eu envie de rassembler les souvenirs dispersés et les paroles éparses, car là dans ces souvenirs, il y avait des ressources dont ils n’avaient pas encore saisis tout le potentiel. Il y avait des braises capables, s’ils prenaient le soin de les rassembler et de souffler dessus, leur offrir l’énergie de tracer la suite de leur route. 

Percevez-vous combien cette compréhension évangélique du « sur le moment, ils ne comprirent pas » n’est pas démobilisatrice ? Au contraire, elle invite à redresser la tête, à lever les yeux, à tendre l’oreille pour rassembler les braises. Car ce qui pousse les disciples à affirmer cela, c’est la conviction qu’il y a des belles et bonnes braises dans leur vécu. 

Si aujourd’hui, nous ne sommes pas habités par une telle conviction en pensant à notre propre vécu. Ne nous décourageons pas ! Si aujourd’hui nous ne trouvons pas de suite ces braises dans notre quotidien, ne nous décourageons-pas ! 

La braise, pour nous aujourd’hui, c’est peut-être simplement d’être mis en contact avec l’évangile. Alors soufflons sur cette braise-là, approfondissons notre compréhension de l’évangile, car il saura affûter notre discernement pour que notre regard ne soit plus obscurci et troublé, mais qu’il redevienne simple et clair. Et dans cette clarté retrouvée, nous trouverons  dans notre vécu des braises là où sur le moment, nous étions passé à côté sans rien voir. 

lob 280321 15. En quoi l’évangile de ce jour vient éclairer notre regard ? Lorsque nous tendons l’oreille, nous réalisons que ce que les disciples n’ont pas compris sur le moment, c’est pourquoi Jésus a choisi de monter sur un âne pour faire son entrée dans Jérusalem. 

Ce n’est qu’après coup, que ces disciples réalisèrent que c’était une façon pour le Christ de se mettre en décalage par rapport à l’enthousiasme de la foule. Ayant entendu que Jésus était doté d’une grande autorité, d’une puissance, cette foule l’imaginait déjà en roi libérateur ; elle imaginait qu’enfin avec lui, tout allait se résoudre et qu’elle serait bientôt sortie d’affaire. 

Sans se défiler, Jésus affronte ces attentes. Cependant, au lieu d’y correspondre et de s’y fondre, il se met en décalage par rapport à elles en montant sur un âne. Par ce décalage, il souhaite faire passer le message suivant : 

Ce qui va libérer la foule de la situation oppressante où elle se trouve, ce n’est pas une démonstration tonitruante de puissance, c’est une action humble et authentique. 

Sur le moment, les disciples n’ont pas compris l’importance de ce décalage. Au contraire, ce geste ( monter sur un âne) a dû leur paraître complètement incongru.  Cependant, rétrospectivement, ils ont trouvé dans ce décalage une braise les aidant à rester mobilisés au milieu du gué où ils se trouvaient. 

En prenant un ânon, Jésus leur a appris à ne pas se laisser être fascinés par les démonstrations ostentatoires de pouvoir et de puissance. Mais de rester sensibles à ce que peuvent apporter des actions humbles et authentiques.  

Quand nous sommes au milieu du gué, ce qui nous aide à sortir du courant, c’est de résister face à ceux qui veulent nous fasciner en nous promettant monts et merveilles, et c’est de nous laisser plutôt être attiré par ce qui est humble et authentique.

6. Voilà l’appel que nous adresse aujourd’hui l’évangile ! Quand tu prends le temps de relire le chemin parcouru, prends également le temps de rassembler les braises.  Que ta pratique de la retrospective te rende lucide sur tes cécités et tes biais, c’est normal !  Mais pour que cette pratique ne te démobilise pas, complète-là avec cette attitude tout à fait évangélique : pars à la recherche des braises, laisse-toi être attiré par ce qui est humble et authentique. 

En rassemblant tout cela, tu auras le feu nécessaire pour aller au bout de la traversée du gué. 

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 28 mars 2021 à Cournonterral
Crédit images: photo (la grande foule) par Rob Curran sur Unsplash; photo (feuilles de palmier) par Chrissa Giannakoudi sur Unsplash photo (l'ânon) par George Sultan sur Unsplash.