Je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron.Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche; et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il porte encore plus de fruit. Déjà vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai annoncée. Demeurez en moi, et je demeurerai en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure attaché au cep, ainsi vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire. Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche; puis on ramasse les sarments, on les jette au feu, et ils brûlent. 

Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé. Si vous portez beaucoup de fruit, c'est ainsi que mon Père sera glorifié, et que vous serez mes disciples. Comme le Père m'a aimé, je vous ai aussi aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, de même que j'ai gardé les commandements de mon Père, et que je demeure dans son amour. Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. C'est ici mon commandement: Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père. Ce n'est pas vous qui m'avez choisi; mais moi, je vous ai choisis, et je vous ai établis, afin que vous alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure, afin que ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne. Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres.

pm 020521 1Jean 15, 1-17 (traduction LSG)  

Il est certains textes de la bible qui peuvent être source de bénédiction ou de malédiction selon leur interprétation.  Ce passage peut être une malédiction si nous le lisons comme une condamnation de quiconque ne suit pas la volonté de Dieu, et qui serait jeté au feu et brûlé. Ce texte a été d’ailleurs utilisé pour justifier la persécution et la mort par le feu de tous ceux que les juges de l’Inquisition jugeaient hérétiques, comme les Cathares, ou Jeanne d’Arc, qui périrent dans des bûchers.

Mais je veux croire que le tri dont nous parle le texte est autre chose. Dieu nous aide à faire le tri non pas entre les supposés bons et les supposés mauvais, mais plutôt entre ce qui en nous est porteur de bien, d’élan, et ce qui est un frein à la vie et à la création. Le vigneron taille les sarments qui ne donnent pas de fruits pour rendre vigoureux ceux qui en portent. Cette image me semble très utile pour nous aider à faire des choix, à renoncer, sans être paralysé par le regret, mais avec l’assurance que grâce à ce renoncement, nous pourrons investir dans la voie qui nous convient mieux, qui est plus porteuse de fruits. Beaucoup de personnes souffrent de dispersion, d’éparpillement, entre un nombre d’engagements trop grand qu’elles ne peuvent assurer que de façon superficielle, alors qu’en se dégageant de certains d’entre eux, elles pourraient trouver plus de satisfactions dans ceux qu’elles garderaient. Nous pouvons aussi appliquer cette image aux tentations d’infidélité dans un couple. Céder au plaisir d’expérimenter une autre relation, cela peut être tentant, mais cela peut empêcher d’approfondir une relation, de lui donner toutes ses chances d’être bénéfique. C’est dans l’après-coup de nombreuses années de vie commune que l’on peut apprécier comment l’engagement dans la durée dans une relation avec un ou une partenaire a permis d’accumuler la connaissance de l’autre personne, la tolérance vis-à-vis de ses travers, le partage d’expériences et de souvenirs communs, la complicité, qui ont été rendus possibles par une forme de renoncement à d’autres relations amoureuses.

Alors, à l’heure de choix difficiles, nous pouvons revenir à nous-mêmes et nous demander : Dans quels engagements de ma vie est-ce que je me sens le mieux à ma place, en accord avec mon désir profond, porteur de bien autour de moi, faisant vibrer ma petite musique particulière, contribuant à ma façon à un monde plus agréable ? Ce sont ces engagements que je dois privilégier, et avoir le courage d’en abandonner d’autres, même si, en le faisant, je ne fais pas plaisir à tout le monde. Ne pas courir trop de lièvres à la fois, savoir lâcher quelques noix pour en retenir dans sa main, pour ne pas toutes les perdre (pour prendre l’image de l’enfant dont la main est coincée dans le bocal rapportée par Anselm Grün).

Si nous nous perdons dans un tourbillon d’activités, nous risquons de nous épuiser, d’être frustrés de tout faire à moitié, de décevoir et d’être déçus. Notre existence ressemblera à une masse de sarments enchevêtrés qu’il est bien difficile de démêler. Séparer en nous les forces de vie des forces de mort, séparer nos bonnes ressources intérieures de ce qui nous alourdit et nous étouffe, c’est aussi le principe de la méditation : être attentif à notre respiration, au souffle de vie qui traverse notre être, tranquille, régulier, ce qui n’empêche pas les pensées négatives. Mais nous pouvons les regarder de manière distanciée, même amusée, flotter autour de nous. Nous pouvons même chercher dans ces pensées sombres et accablantes quelque chose de positif car elles peuvent nous aiguiller vers un désir profond. Par exemple, la jalousie peut nous aiguiller vers notre désir de faire quelque chose que l’autre fait avec succès, et que nous n’osons pas faire par manque de confiance en nous.

pm 020521 2Ainsi nous sommes invités à faire un travail de filtration, de purification, non pas dans le sens de séparer les purs des impurs, mais de séparer le négatif du positif, de trouver le positif même dans ce qui nous semble négatif à première vue, chez nous comme chez les autres, pour qu’à la fin il ne reste que du bon d’un côté, et de l’autre, une masse de sarments desséchés, à qui nous ne prêterons pas vraiment attention, focalisant notre énergie, nos efforts, notre espérance, sur ce qui en nous et dans les autres porte du fruit. Les fruits de l’Esprit, nous dit Paul en Galates, ce sont l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la fidélité, la douceur et la maîtrise de soi.

Etre attentif à ce qui est fécond en nous, et porter du fruit, ce n’est cependant pas si simple. Nous pouvons nous sentir asséchés, sans désir, stériles. C’est là qu’être chrétiens nous aide. Car ce que j’ai dit jusqu’à présent, vous pourriez le trouver dans de bons manuels de développement personnel, ou dans la bouche de psychologues. Ce que nous dit ce texte en plus, c’est que lorsque nous nous sentons asséchés, lorsque nous traversons des déserts, le Christ peut être la sève qui nous alimente en désir de vie. Pour cela, il faut lui laisser une place dans notre intimité, entrer en dialogue avec lui, le laisser nous écouter et nous parler. Permettre à Christ de nous alimenter, nous régénérer, cela peut passer par faire une pause lorsque nous sentons des émotions négatives s’emparer de nous, nous pousser à dire des paroles malveillantes que nous regretterons. S’arrêter, faire une pause, demander à Dieu de demeurer en nous, de nous apporter sa paix, sa lumière, sa façon de voir les autres avec indulgence et compassion. Laisser le Christ demeurer en nous, et nous, demeurer en lui.

pm 020521 3Arrêtons nous quelques instants sur cet image double de Demeurer : Christ demeure en nous, et nous en lui. Cette image est inconcevable dans la logique humaine. Si Christ demeure en nous, c’est que nous sommes plus grands que lui, et si nous demeurons en lui, c’est qu’il est plus grand que nous. Le système de mesure de Dieu n’est pas le nôtre. Lorsque Christ nous demande de demeurer en nous, cela nous élargit, cela nous épanouit, et en même temps, Christ nous invite à reconnaître notre petitesse, notre besoin de lui, ce qui nous permettra de nous abriter dans sa demeure. Le Christ nous donne la possibilité d’être proches de lui, proches sans être confondus avec lui, mais en dialogue confiant, avec quelqu’un de radicalement proche et radicalement autre, qui vient nous révéler ce que nous ne savons pas encore de nous-mêmes.

« Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour. Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande ». Le terme de commandement peut évoquer l’ordre, la contrainte. Mais comme le propose le prêtre Jean-Marie Martin, il peut plutôt être traduit par : disposition, élan, ce qui met en route. Le Christ ne dit pas : tu dois, mais il donne la possibilité de faire. « Vous êtes mes amis si vous faites ce à quoi je vous ai disposés ». Amis, et non pas serviteurs. Aimer l’autre, même quand il n’est pas aimable, cela demande un certain effort, c’est un exercice. Aimer au sens de vouloir son bien, et même, en prendre soin, mais sans sacrifier pour autant le bien et le soin d’autres personnes, ni de nous-mêmes.

Alors, comme nous le dit Claire Hurni, « les liens que nous tissons dans l’amour et l’amitié, le regard de tendresse, l’attention d’un instant, la parole qui aide, la rancune oubliée, le petit geste répété, tout porte un fruit d’éternité, tout mène à la joie qui demeure ».

Amen.

Paule Moustier, le 2 mai 2021 à la Margelle à Montpellier.
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