Au chef de chœur. Psaume des fils de Qoré. Tu as été favorable à ton pays, ô Éternel ! Tu as ramené les captifs de Jacob ; Tu as enlevé la faute de ton peuple, Tu as pardonné tous ses péchés ; Tu as retiré tout ton courroux, Tu es revenu de l'ardeur de ta colère. Rétablis-nous, Dieu de notre salut ! Mets fin à ton indignation contre nous ! T'irriteras-tu contre nous à jamais ? Étendras-tu ta colère de génération en génération ? N'est-ce pas toi qui vas revenir nous faire vivre, Afin que ton peuple se réjouisse en toi ? Éternel ! fais-nous voir ta bienveillance et donne-nous ton salut ! J'écouterai ce que dit Dieu, l'Éternel ; Car il parle de paix à son peuple et à ses fidèles, pour qu'ils ne retournent pas à la folie. Oui, son salut est proche pour ceux qui le craignent, Afin que la gloire demeure dans notre pays. La bienveillance (HSD) et la vérité (XMT) se rencontrent, La justice et la paix s'embrassent ; La vérité germe de la terre, Et la justice se penche (du haut) des cieux. L'Éternel aussi donnera le bonheur, Et notre terre donnera ses produits. La justice marchera devant lui et marquera ses pas sur le chemin.

lob 191221 1Voir la prédication ici.
 

Psaume 85 (traduction LSG) 

1La vie est dans la rencontre ! 

Voilà ce qui m’est peu à peu devenu évident en méditant cette semaine le psaume 85 pour préparer cette prédication. Qu’est-ce que cela signifie ?  C’est ce que je vous propose de clarifier à présent, en espérant que cela renouvellera autant votre envie à vivre des rencontres que cela a mobilisé la mienne. 

2. Vers la fin de ce psaume, le verbe « rencontrer » survient, dans une  métaphore qui personnifie d’un côté la bienveillance et de l’autre la vérité, et dire que ces deux personnes ne font pas que se frôler, que se croiser furtivement, ou que s’affronter, mais que ces deux personnes se rencontrent. 

« La bienveillance (HSD) et la vérité (XMT) se rencontrent »

Percevez-vous toute la chaleur qu’il y a dans cette métaphore ? Bienveillance et Vérité auraient pu être deux attitudes qui se dressent l’une contre l’autre, chacune drapée de son bon droit. Pour dire à quelqu’un ses quatre vérités, il faudrait, pensons-nous, délaisser la bienveillance et que la vérité soit pleinement vérité, quitte à être piquante. 

Face à un tel radicalisme, il est sûr qu’en réaction une personne qui souhaiterait valoriser la bienveillance répliquerait :  une vérité ne perd-elle pas du crédit si elle blesse inutilement ceux à qui elle est adressée ? A quoi bon dire la vérité, si elle glaçante, tranchante et verrouille toute possibilité future d’évolution ? C’est pourquoi il vaut mieux que Bienveillance prenne le leadership dans cette affaire, sinon on court  à la catastrophe. 

Au lieu de mettre en scène Bienveillance et Vérité qui s’invectivent copieusement, notre psaume affirme qu’elles se rencontrent, qu’elles trouvent ensemble le moyen de se conjuguer. Grâce à cette conjugaison, la bienveillance dans une relation n’est plus un sourire sucré, mais une attention à l’autre qui aide à mieux faire comprendre la vérité ;  grâce à une telle conjugaison, le souci de vérité n’est plus quelque chose de glaçant, tranchant, mais ce qui donne une authenticité à la relation. 

«  Bienveillance et Vérité se rencontrent » 

Et ce psaume va plus loin puisqu’il parle de germination, quand il dit : « la vérité germe de la terre ».  L’enjeu de la rencontre est que Vérité ne ressorte pas comme elle était auparavant, mais que fécondée par sa rencontre avec Bienveillance, elle puisse commencer à germer. 

Certes parfois, nous préférerions que Bienveillance et Vérité ne fassent que se croiser et s’effleurer, car ainsi nous sommes sûrs au moins qu’il n’y aura pas d’étincelles. Cependant, ce psaume nous invite à ne pas craindre que Bienveillance et Vérité se frottent, car il se peut aussi qu’il y ait entre elles rencontre. Une rencontre qui enclenche un processus germinatif.

En fait, si je vous propose ce matin de concentrer notre méditation sur cette métaphore du psaume 85, c’est parce qu’elle attire notre attention sur quelque chose qui est essentiel dans notre traversée de l’existence. Elle attire notre attention sur toute la vie qui est en germe dans les rencontres que nous vivons.

lob 191221 23. Dans la tradition de l’église, depuis longtemps ce psaume est lu pendant le temps de l’Avent. Luther déjà le lisait comme une prière qui avait de multiples résonances avec l’histoire de Noël. 

Que la bienveillance et la vérité ne soient plus des opposés, mais qu’elles deviennent des attitudes qui se conjuguent et se fécondent mutuellement, voilà ce qu’apporte Jésus de Nazareth. 

En lui, le divin et l’humain ne sont plus opposés, mais ils se rencontrent. Le ciel et la terre ne sont plus opposés, mais ils se rencontrent.  Le spirituel et le charnel ne sont plus opposés, mais ils se rencontrent. L’amour de Dieu et l’amour du prochain ne s’excluent pas mutuellement, mais ils se rencontrent. En lui, la bienveillance rencontre la vérité et réciproquement.  

À Noël, nous fêtons l’advenue de Celui, grâce à qui les différents éléments ne se calcifient plus ni ne se stérilisent  les uns au contact des autres. Nous fêtons l’advenue de Celui  grâce à qui  la vérité n’est plus énoncée de manière glaçante, mais  parce qu’elle est fécondée par la bienveillance, cette vérité est énoncée d’une façon qui  provoque une germination. 

Ailleurs dans les Écritures (notamment Zacharie 3,8), le messie est décrit comme étant le germe, comme étant  celui qui fait germer. Si aujourd’hui encore nous reconnaissons Jésus de Nazareth comme Messie, c’est parce que sa manière d’aborder chaque chose de l’existence n’est pas  faite sous un mode clivant, mais sous le mode d’une rencontre ouverte où il se passe quelque chose de germinatif. 

Si aujourd’hui encore, nous nous apprêtons à fêter Noël, ce n’est pas simplement pour commémorer un événement qui dans un lointain passé a changé la face du monde. 

Non, si nous consacrons du temps à réfléchir sur la vie de Jésus, c’est parce que, dans cette vie de Jésus, nous pouvons trouver la lumière dont nous avons besoin pour que, lorsque nous sommes au point mort, face à des avis tranchés qui se neutralisent mutuellement,  il puisse se passer une rencontre qui désamorce les postures rigides.

Si nous consacrons du temps à réfléchir sur la vie de Jésus, c’est parce que dans cette vie, nous pouvons trouver la chaleur dont nous avons besoin pour qu’au milieu d’une situations calcifiée, il puisse se passer une rencontre féconde. Si nous consacrons du temps à réfléchir sur la vie de Jésus, c’est parce que dans cette vie, nous pouvons trouver la chaleur et la lumière dont nous avons besoin pour ne pas nous contenter de poser des jugements péremptoire et tranchant sur une personne ou sur une situation, mais que nous ayons la patience de cheminer jusqu’à rencontrer peu à peu la vérité de cette personne ou de cette situation. Car pour accéder à la vérité d’une situation, il faut beaucoup de bienveillance…

Si ce psaume nous est donné à méditer en cette période de l’Avent, c’est parce qu’une longue succession de témoins nous dit : prends le temps d’être rencontré par cette vie de Jésus, ce ne sera pas du temps perdu. Au contraire ! Car cette vie t’apportera les ressources de chaleur et de lumière te permettant de transformer les  confrontations stériles en rencontre.  Cette vie te donnera les ressources de la chaleur et de la lumière afin que ta trajectoire d’existence ne soit pas un empilage d’avis tranchés, mais que cette trajectoire devienne une succession de rencontres. 

4. Car au fond ce qui donne du sens à chacune des journées que nous vivons, ce n’est pas d’affûter des avis sur tout. Ce n’est pas d’affûter un avis sur ce qu’est la vérité, puis un autre sur ce qu’est la bienveillance. Mais c’est de vivre des rencontres qui bousculent et font que ni la vision que j’avais de la bienveillance, ni celle que j’avais de la vérité n’en ressortent à l’identique. 

Ce qui remplit notre vie de lumière, c’est de vivre des rencontres qui nous travaillent, qui font bouger les lignes, et qui au lieu d’affûter,  affinent notre regard. Quand au coeur du récit de Noël, l’ange dit aux bergers « n’ayez pas peur », il dit peut-être en substance « n’ayez pas peur d’être rencontrés par Celui qui est plus complexe, plus étrange que vous ne l’imaginiez. Par Celui qui n’est pas que vérité, ni que bienveillance, mais Celui qui incarne une parole de vérité, pétrie de bienveillance; qui incarne des gestes bienveillants embrasés de vérité. 

Oui, n’ayez pas peur des rencontres qui intriguent et bousculent. N’ayez pas peur des rencontres qui affinent… Car la vie est dans la rencontre ! 

5. D’ailleurs, si nous en revenons à notre psaume 85, je trouve tout à fait intéressant que le verbe « rencontrer » survient à un moment où le priant tourne en rond dans sa prière. 

Au moment où il affirme que Bienveillance et Vérité se rencontrent, notre psalmiste est justement bloqué dans sa prière. Il fait du sur place.  Il se rappelle les actes libérateurs du passé que le Seigneur a accompli pour son peuple, lorsque ce dernier était esclave en Egypte. Cependant, ce rappel ne l’aide à porter son présent. Car son présent est un présent de crise, un présent fait d’épreuves et de complications. Et dans ce présent compliqué, les belles affirmations apprisent au catéchisme sur ce qu’est la vérité, sur ce qu’est la bienveillance, les affirmations qui disent que le Seigneur est un Dieu qui libère, ces belles affirmations ne le rejoignent pas. Elles ne font rien germer en lui.

Notre priant a beau les redire, les chanter, les prier, les réciter… Ces belles affirmations n’enfantent pas en lui l’espérance… 

C’est dans ce contexte-là que survient dans notre psaume le verbe « rencontrer».  Comme pour signaler que ce qui enclenche la foi, ce n’est pas un bagage de certitudes et de croyances, mais que ce qui enclenche la foi, c’est une rencontre.

lob 191221 3En hébreu, le verbe « rencontrer »  se dit  פגש pagash. C’est un verbe qui rappelle que le contact avec l’autre n’est pas nécessairement calculé et prévu. Il peut survenir par accident. Dans ce verbe,  il y a une dimension de surprise, qui peut être déstabilisante, mais aussi rafraichissante et vivifiante. 

Ce qui fait germer la foi, ce n’est pas de mouliner des prières, de réciter en boucle des incantations, de pratiquer de manière pointilleuse des rituels. Non, ce qui fait germer la foi, c’est d’être délogé de son rituel par quelque chose qui survient et qui n’était pas prévu.

Le verbe « rencontrer » se retrouve 14 x dans AT. Dans la grande majorité de ses apparitions (12x), il signifie joindre, s’entendre, coïncider. Par contre, il peut aussi signifier de manière minoritaire attaquer (2x), c’est à dire le combat et la lutte. Comme pour rappeler que la rencontre n’est pas nécessairement un moment fluide et harmonieux. Cela peut être aussi un moment engageant, déstabilisant. En hébreu, ce verbe est constitué de 3 lettres. פגש En hébreu, chaque lettre a un nom. 

פ (pé) signifie également la  bouche ; organe de la parole, du souffle (c’est par elle que Dieu insuffle la vie à l’homme dans le livre de la Genèse)  ; ainsi la rencontre est comme un seuil, une porte par laquelle nous recevons du souffle. Par les rencontres, Dieu continue son geste créateur, il nous donne et redonne de la vie. 

ג (gimel) signifie le chameau ou dromadaire, c’est à dire les animaux  symbole de résistance face à l’austérité du climat ; animaux également symbole de richesse, grâce à qui je reçois les moyens de passer d’un désert à l’autre ; comme au milieu du verbe, il  y a la lettre gimel, de même au milieu de la rencontre, il y a une ressource qui m’est donnée pour que je puisse passer d’un désert à l’autre, d’une compréhension à l’autre. 

ש (shen) qui signifie la dent, et plus particulièrement la molaire ; la fonction de la molaire, c’est de broyer les aliments afin que le corps puisse les assimiler ; vivre une rencontre, ce n’est pas surfer sur l’événement, c’est prendre le temps de broyer et d’être aussi broyé, pétri par ce que l’on vit, et ceci afin que l’expérience devienne digeste et puisse être assimilée. 

Ainsi, alors que notre priant fait du surplace dans son existence, alors que dans sa tête les idées tournent à vide, voilà que surgit le verbe « rencontrer ». 

Une rencontre qui insuffle de la vie. Une rencontre qui permet à ce que pour lui,  Bienveillance et Vérité ne soient plus des concepts abstraits, mais broyés par son vécu, ils deviennent quelque chose de digeste pouvant être assimilés. Une rencontre qui l’embarque pour vivre à dos de chameau la traversée d’une compréhension à l’autre.  

6. « Bienveillance (HSD) et Vérité (XMT) se rencontrent,

Décidément, quelle que soit la manière dont je médite ce passage, que ce soit en laissant tinter les résonances christiques, ou bien en creusant la langue hébraïque, j’en retire la même leçon : La vie est dans la rencontre ! 

Amen

Luc-Olvier Bosset, le 19 décembre 2021 au temple de Cournonterral.
Crédit images: 1. Affiche 'Close Encounters of the third kind'; 2. photo par Vincent Eisfeld sur Unsplash; 3. Photo par Stillness InMotion sur Unsplash