olivier prénomsLe 22 novembre 2014, à la marche  islamo-chrétienne de la paix, les arbres ont parlé... accrochez-vous aux branches !  En effet, cette marche, de la Mosquée au  jardin du Conseil Général, d'un lieu de prière à un espace laïc, nous a menés d'un arbre à l'autre : du palmier à l'olivier. C'est-à-dire de l'hospitalité à la paix, puisque tels sont les attributs de ces deux arbres.

C'est bien dans ce sens-là que nous avons marché : la paix n'est pas le commencement, mais l'horizon de notre vie. Pas de paix sans accueil préalable de l'autre. Inutile de parler du « vivre ensemble » , de prononcer le mot « paix »  si d'abord on ne prend pas la peine d'envisager son prochain, c'est-à-dire de le saluer de tout notre visage. La sagesse juive a été citée hier matin : « Regarde tout homme avec un beau visage », (1)

Point de départ : le palmier à la mosquée. Sa symbolique est riche : cela nous a été expliqué hier. La foi musulmane le considère comme un symbole d'hospitalité. Planté dans la cour de la Mosquée, c'est lui qui nous a salués à notre arrivée. Son fruit est tout aussi riche de sens : quand le musulman arrive à la mosquée, il  commence par manger une datte avant d'aller prier, m'expliquait la fille de l'imam. La datte accompagne aussi le pèlerinage, ainsi que le mariage au moment des consentements des époux. Elle est le symbole de la rupture du jeûne  et se savoure accompagné d'un verre de lait. Enfin, le Coran la présente comme un fortifiant pour Marie : au moment où elle va accoucher de Jésus, Dieu lui dit de secouer le palmier et une pluie de dattes tombent à ses côtés en signe d'encouragement et de bénédiction.

palmierLe palmier a une signification très ancienne, à commencer par la Bible : ses rameaux sont cueillis pour préparer la Fête des Tentes, grande célébration dans la tradition juive en souvenir de la vie de leurs ancêtres au désert... Le palmier est associé à la joie et à la louange. La forme de ses branches rappelle une main humaine ouverte. Le mot « paume » est dérivé du mot « palme » pour désigner l'intérieur de la main.  Avec son tronc toujours droit et rectiligne, le palmier dit aussi quelque chose de la fidélité du croyant à son Seigneur.  

Quant à l'olivier, faut-il encore expliquer sa symbolique ? Nous en avons parlé  longuement à la Margelle en octobre, à l'occasion du déluge : celui dans la Bible et celui qui s'est produit à Montpellier.

Oui, la puissance symbolique de l'arbre est grande - Par sa forme, ancrée dans la terre et les branches vers le ciel, et par ses fruits, il offre une étonnante proximité avec  le croyant, en particulier  dans son attitude de prière.

A l'occasion de la marche d'hier, l'olivier a montré sa puissance de convocation : il nous a réunis, déplacés, il nous a fait parler, échanger, chanter. Pourquoi ? Parce que planté en octobre 2001, après les attentats de New York par des chrétiens et musulmans qui ne voulaient pas seulement joindre les mains mais aussi rejoindre les autres, pas seulement prier mais agir ensemble.
Cela m'a donné envie ce matin de faire une petite marche avec vous dans la Bible où les rendez- vous avec des arbres sont très nombreux.

 

Je vous propose 4  arrêts :

Premier arrêt : Juges 9, 8-15

Un jour, les arbres décidèrent de se choisir un roi. Ils dirent à l'olivier : « Règne sur nous ! »
Mais l'olivier répondit : « Croyez-vous que je vais renoncer à produire de l'huile, appréciée par les dieux et par les hommes, pour aller me balancer au-dessus des autres arbres ? » Les arbres dirent alors au figuier : « Toi, viens régner sur nous ! » Mais le figuier répondit : « Croyez-vous que je vais renoncer à produire des fruits sucrés et délicieux pour aller me fatiguer à gouverner les autres arbres ? ».
Ils dirent ensuite à la vigne : « Toi, viens régner sur nous ! ». Mais la vigne répondit : « Croyez-vous que je vais renoncer à produire du vin, qui remplit de joie les dieux et les hommes, pour aller me fatiguer à gouverner les autres arbres ? ».
Finalement les arbres s'adressèrent d'un commun accord au buisson d'épines : « Toi, viens régner sur nous ! », lui dirent-ils. Et le buisson d'épines leur répondit : « Si vraiment vous voulez me choisir comme roi, venez vous placer sous mon ombre ! Si vous ne le faites pas, qu'un feu jaillisse de mes épines et brûle même les cèdres du Liban ! ».

olivierHistoire exquise, plus connue sous le nom de la «fable de Yotam», racontée dans un contexte de crise politique majeur en Israël.

Voilà une critique fort ironique de l'éternelle tentation du pouvoir : quelle modernité quand on pense à ce que  l'actualité politique nous montre, en France comme ailleurs !

La logique de la puissance et de la gloire vole en éclats chez les arbres sollicités pour être roi et qui, au pouvoir, préfèrent le service, la vocation que Dieu leur a donné sur terre : nourrir et réjouir le cœur humain. Ils aiment ce qu'ils font. Ils aiment ce qu'ils donnent.

Etre roi, dit un des arbres, revient à «s'agiter au-dessus des arbres ». La fonction de régner est perçue comme une agitation, ce n'est pas productif  et cela n'a pas de sens.

L'expression est pleine d'humour : en effet, si l'arbre est au-dessus des autres arbres, il meurt car il n'est plus enraciné !

Reste le buisson d'épines : opportuniste et destructeur, c'est le seul à se porter candidat à condition d'avoir le pouvoir absolu sur tous les sujets. Vous remarquerez que contrairement aux autres arbres cités, le buisson n'a rien à offrir dans la vie. Ni fruits ni ombre (il fait mal quand on s'approche trop de lui).Sans doute a-t-il manqué de beaucoup d'amour... Il a tout du profil radical : ne portant pas de fruits, il n'a rien à perdre. Fort de ses piquants, il est bon pour un départ en Syrie.  


Deuxième arrêt : Psaume 1(traduction : Mission Populaire Evangélique)   

Heureux l'homme qui ne conforme pas sa voie à celle des plus forts,
ni ne suit leur chemin d'égarement,
ni ne s'installe dans un scepticisme moqueur
mais se plait à entendre les exigences qui montent de ses profondeurs
et se les murmure nuit et  jour.
Il est comme un arbre vigoureux aux racines profondes
et aux vastes ramures qui produit un fruit abondant en la saison.  
Tout ce qu'il fait rayonne d'humanité.

Si souvent comparé dans la Bible à la figure du croyant, les arbres pourraient-ils nous dire  quelque chose de notre vie devant Dieu ?

Dans beaucoup de langues, le vocabulaire à propos des hommes et des arbres est interchangeable : les arbres ont une tête et les hommes ont des racines. Ils sont parfois « branchés ». Leurs silhouettes verticales se ressemblent. L'arbre et l'être humain ont tous deux un tronc. D'autre part, parmi les nombreuses plantes citées dans la bible, l'arbre tient une place de choix pour représenter physiquement l'être humain.

Voyez l'Evangile de Marc, (chap. 8) dans un récit de guérison d'un aveugle, Jésus, après lui avoir mis de la salive sur les yeux, lui dit : « peux-tu voir quelque chose ? ».

L'aveugle lui répond : « je vois des gens, je les vois comme des arbres, mais ils marchent ».

Et si le monde végétal et le monde spirituel  avaient quelque chose à se dire ? Et s'il s'agissait  du même monde ?  Voyez les verbes cueillir et se recueillir : ils s'appliquent au rassemblement des fruits et des pensées intérieures.  

« Notre temps- disait Olivier Clément, théologien de confession orthodoxe,  a besoin d'hommes et de femmes  qui soient comme des arbres, emplis d'une paix silencieuse, enracinés en pleine terre et en plein ciel ».

Et si les arbres étaient des paraboles modernes pour ces croyants inquiets,  occupés, encombrés et stressés que nous sommes ?
« Les arbres parlent doucement  -disait un poète. Ils savent parler à l'adulte qui est dans l'enfant, et à l'enfant qui est dans l'adulte. Laissez-vous pousser les oreilles. Et si les arbres vous parlent, ça ne fera pas plus de bruit qu’une brise... ».


3ème arrêt : Genèse 2(extraits)

Au jour où le SEIGNEUR Dieu fit la terre et le ciel, il n'y avait encore aucun arbuste de la campagne sur la terre, et aucune herbe de la campagne ne poussait encore ; car le SEIGNEUR Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre, et il n'y avait pas d'homme pour la cultiver. Mais un flot montait de la terre et en arrosait toute la surface. Le SEIGNEUR Dieu façonna l'homme de la poussière de la terre ;  il insuffla dans ses narines un souffle de vie, et l'homme devint un être vivant.

Revisiter ce très ancien récit de la création est un bon remède contre l'orgueil : il nous rappelle que l'humain  apparaît  au ras du sol,  façonné à partir de la terre : adam signifie «sol ». Pour respecter le savoureux jeu de mots en hébreu, le théologien juif André Chouraqui  traduit adam  par le Glébeux ou le Boueux, voire le Bouseux.

Quel changement de perspective  par rapport à notre inconscient collectif ! Loin des beaux mannequins adamiques que nous offrent de grands artistes comme Michel -Ange, nous voici, par le récit  fondateur,  ramenés au ras des pâquerettes: bienvenue dans le jardin d'Eden, voici, tiré du sol, celui qu'on croyait  grand et beau.

Le Adam, petit tas argileux qui, au début, ne parle pas mais  crie le nom des animaux que Dieu fait défiler sous les yeux. Il ne sortira de son état caverneux qu'après une anesthésie générale imposée par son Créateur, le conduisant à la découverte émerveillée d'Eve, c'est-à-dire  Jayah », la Vivante. Eve : tirée de celui qui est tiré du sol...

Troublante et merveilleuse proximité de l'humain avec l'argile, le sol, la terre. Nous voilà aussi tout proche du Psaume 1 qui compare le croyant à un arbre bien enraciné.

Ce qui me frappe, en revisitant ce récit, c'est qu'il ne nous fait pas la leçon : « vous devez respecter la nature car il n'est pas bon de l'abîmer et de la polluer.

Ce n'est pas la peine ! En effet, ce récit va beaucoup plus loin que les leçons d'écologie  et les a toutes précédées. Voici : l’humain est issu du sol. Il n’y a pas d’un côté l’être humain et de l’autre la nature, mais la nature est la peau de l’homme, elle est sa chair. Dans cette perspective, la nature n’est plus notre « environnement »,  mais une part de nous-mêmes.

S'ajoute à cela un mouvement, un passage  que Dieu propose à sa créature : celui de la vie à la foi, de l'humain au croyant  -  car Dieu ne nous crée pas croyant mais humain - Passage, pourrait-on dire,  du sol à l'arbre. Entre les deux, il y a la promesse de ce qui peut grandir en nous : la rencontre avec le Dieu de Jésus-Christ.

Sachant que l'une des caractéristiques naturelles des arbres est que leur croissance ne s'arrête jamais (ils peuvent porter des fruits jusqu'à l'extrême fin de leur vie,  il me plait de  penser que c'est aussi ce à quoi nous sommes promis, nous, les arbres de Dieu : un amour grandissant, une foi qui ne s'arrête jamais de vivre, c'est-à-dire de s'interroger, de s'émerveiller et de s'engager.


4ème arrêt : Jérémie 17, 7-8

« Béni, l’homme qui compte sur le SEIGNEUR : le SEIGNEUR devient son assurance. Pareil à un arbre planté au bord de l’eau qui pousse ses racines vers le ruisseau, il ne sent pas venir la chaleur, son feuillage est toujours vert ; une année de sécheresse ne l’inquiète pas, il ne cesse de fructifier. »

Le croyant a besoin, comme l’arbre, de s’ancrer à la terre. Il a aussi besoin de lancer son espoir vers le ciel comme les branches d’un arbre.

Ce qui est étonnant dans ce texte de Jérémie, c’est que Dieu n’est pas représenté, comme on aurait pu s’y attendre, par le soleil qui éclaire l’arbre d’en haut, mais par la source d’eau qui le nourrit d’en bas ! Dieu est ici en bas, dans le ruisseau, dans la source. Il est Celui qui, du plus profond, vient irriguer le sol sur lequel s’ancre l’arbre.

Quelle surprenante image que celle d’un Dieu qui se mêle souterrainement, invisiblement, à la pâte du monde !

Dieu serait donc à chercher dans les profondeurs de l’existence, intimement mêlé au terreau du monde, comme un ruisseau, un filet d’eau qui vient irriguer le monde...

La bonne nouvelle, nous dit le prophète Jérémie, c'est que le Seigneur passe tout près de toi, comme le cours d’un ruisseau ; il est ton assurance contre la sécheresse  dans ta vie.

Ainsi, pleinement confiante, me sachant enracinée en Dieu, je me sens vivante, et je peux « pousser mes racines » vers Lui, comme dit joliment Jérémie, autrement dit je peux me mettre en route et aller rejoindre les autres. Oui, grâce à Dieu, je serai mise en route,  je serai ...un arbre qui marche.

Tiens, ça me rappelle les premiers  mots  balbutiés  par  l'aveugle que Jésus guérit.

 

Titia Es-Sbanti

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(1) parole de Shamaï (Talmud).