Aujourd’hui, nous sommes en marche vers Pâques, vers cette fête qui nous rappelle des événements centraux pour notre foi : la mort et la résurrection de Jésus.

Oui, nous sommes en marche vers la croix, cet événement rappelant jusqu’où peut conduire  la folie des hommes, mais rappelant aussi cet amour inépuisable de Dieu qui même en ces heures sombres du procès,  tient bon et endure tout ;

Et nous sommes en marche vers le matin de Pâques, vers  la découverte de la pierre roulée devant un tombeau vide, découverte surgissant non pas comme une déduction attendue, mais comme une révélation. L’histoire de ce Jésus ne se termine pas à Golgotha. L’ouverture ovale du tombeau vide, la pierre roulée se trouvant juste à côté, la bouche bée des femmes et des disciples, ces trois ronds mis bout à bout forment comme autant de points de suspension invitant à une suite…   

En parlant comme je le fais, je ne vous annonce rien de nouveau. Ces événements la croix, le tombeau vide, vous les connaissez déjà, vous les avez déjà fêté, médité, des dizaines et des  dizaines de fois.

Par contre, ce que nous ne savons pas, c’est comment cette année, cette célébration de la passion et de la résurrection du Christ va nous rejoindre. Quel détail de ce vieux récit va prendre dans notre aujourd’hui un éclat nouveau et nous parler ? Pour nous dire quoi ? Pour nous faire découvrir quoi ? Pour nous faire vivre quel déplacement ? Cela, il est encore trop tôt pour le dire. Pour l’instant, il suffit de  savoir qu’en église, parfois cortège recueilli, parfois une joyeuse cohue, nous nous sommes tous mis en marche vers des événements pouvant densifier, assouplir, élargir, aérer, parfumer, illuminer le sens que nous donnons à notre passage sur terre.

guarriguesDans cette marche vers Pâques, rien ne presse. Ce n’est pas une course où il faudrait allonger la foulée pour arriver le plus tôt possible au but.  Le but dans cette marche, c’est de vivre une rencontre renouvelée avec Dieu, une rencontre qui nous remette dans l’axe de la vie. Alors marchons de façon que cette marche nous rende disponible pour être rencontré.

Pour  détendre notre front de toutes ces rides soucieuses l’habillant si souvent, allons respirer une joie printanière  comme celle s’exprimant actuellement dans la Garrigue ! Laissons la joie du Père nous  rejoindre, laissons-la tomber goutte à goutte sur la terre asséchée de nos âmes. Laissons-la imprégner notre terre pour la rendre meuble, accueillante, ouverte à la rencontre.

 

Alors dans cette disposition d’esprit, nous pourrons recevoir le récit évangélique comme une parole nous remettant dans l’axe de la vie.

 

Viens nous parler
Te révéler à notre esprit
Nous visiter, transformer, façonner nos vies
Que ta Parole éclaire nos chemins meurtris

Comme une terre aride
Partout criblée de fissures
Mon âme a soif de toi

Comme un enfant fragile
Au cœur d’un monde cruel
Mon âme espère en toi

Comme une fleur qui s’ouvre
Pour accueillir le soleil
Mon âme reçoit de toi

Viens nous parler
Te révéler à notre esprit
Nous visiter, transformer, façonner nos vies
Que ta Parole éclaire nos chemins meurtris

 

Marc 12, 35-44

Jésus enseignait dans le temple : Comment les scribes peuvent-ils dire que le Christ est fils de David ?
David lui-même, par l’Esprit saint, a dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je mette tes ennemis sous tes pieds.
David lui-même l’appelle Seigneur ; d’où peut-il donc être son fils ? Et la foule, nombreuse, l’écoutait avec plaisir.
Il leur disait, dans son enseignement : Gardez-vous des scribes ; ils aiment se promener avec de longues robes, être salués sur les places publiques, avoir les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les dîners ; ils dévorent les maisons des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières. Ils recevront un jugement particulièrement sévère.
S’étant assis en face du Trésor, il regardait comment la foule y mettait de la monnaie de bronze. Nombre de riches mettaient beaucoup.
Vint aussi une pauvre veuve qui mit deux leptes valant un quadrant.
Alors il appela ses disciples et leur dit : Amen, je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus que tous ceux qui ont mis quelque chose dans le Trésor ; car tous ont mis de leur abondance, mais elle, elle a mis, de son manque, tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre.

Extrait de « la version d'étude de la Nouvelle Bible Second (2002) »

 

Jésus est là, sur l’esplanade du temple, face au Trésor, c’est à dire en face des 13 troncs disposés un peu partout à cet endroit pour récolter l’offrande.

Après avoir enduré moult échanges vifs et argumentés avec les scribes, après s’être concentré pour que le débat ne s’épuise pas en polémiques stériles, il est là assis. Il observe.

Jusqu’à maintenant, face à ces scribes qui essayent de le coincer en l’engageant dans des arguties juridico-théologiques sans fin, Jésus a dû faire preuve de beaucoup de sang-froid.

calmeS’il est assis, c’est parce que je l’imagine fatigué par toutes ces luttes, cherchant un peu de répit. Jésus s’est assis comme d’autres seraient partis  se balader pour prendre l’air. Songeur, il laisse son esprit flotter. L’heure n’est plus à la tension, mais au relâchement, à l’écoute de toutes ces émotions qu’il a senti jaillir au fond de lui alors qu’il était sur le champ de bataille, des émotions qui lui ont pris beaucoup d’énergie.

En voyant combien ces religieux aiment se promener avec de longues robes, en voyant combien ils aiment être salués sur les places publiques, avoir les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les dîners, Jésus intérieurement bouillonne. Cette fatuité, il ne peut plus la supporter.

Maintenant, assis, il écoute ce bouillonnement intérieur en se demandant comment l’apaiser. Comment canaliser cette colère afin de ne pas être submergé et piégé par elle.

Assis sur l’esplanade du temple, Jésus songeur, cherche.

Il cherche un moyen de faire face à ces attitudes trop humaines qui le mettent hors de lui. Ces comportements mesquins, égocentrés l’ont à ce point agacé qu’il en a l’esprit tout embrouillé.

Sa boussole intérieure s’agite. Un peu plus et il en arriverait à perdre de vue le sens de sa mission.

Le Dieu qui l’avait mis en route n’avait pas ce goût-là. Il ne ressemblait pas à cette odeur se dégageant de l’attitude de ces religieux ( Moa, regardez-moa, je suis content de Moa…)

Dieu avait un autre goût. Un goût de parfum léger et délicat où le Moa n’est pas au centre.

Or la mission de Jésus, c’était justement de faire savourer aux hommes ce parfum d’ailleurs.

Mais voilà qu’au cœur de la bataille, dans une atmosphère viciée par les polémiques, Jésus a comme perdu cette autre saveur.

Perdu ne veut pas dire qu’il l’aurait oubliée. Au contraire, s’il est assis songeur à regarder les gens passer, c’est parce que justement, il cherche à retrouver le contact avec ce parfum. Il laisse son attention flotter à la recherche d’un signal qui puisse le remettre dans l’axe  de sa mission.

Et voilà qu’une pauvre veuve passe. Elle ne fait pas de bruit. Elle n’attire pas l’attention sur elle. Elle est comme toutes ces fleurs perdues au milieu de la Garrigue qui fleurissent sans chercher à être vues.

Si cette veuve était passée quelques heures plutôt, peut-être même que Jésus ne l’aurait pas remarquée tant il était accaparé par les débats houleux avec les scribes.

La pauvre veuve passe, elle dépose quelques piécettes dans le tronc.

En la voyant agir ainsi, Jésus aurait pu  trouver de nouvelles raisons de s’emporter : « comment se fait-il qu’une pauvre femme doit donner ainsi des sous ? N’est-ce pas le signe que la propagande a été efficace ?  Pour financer le temple tout neuf qui avait coûté une fortune, tout avait été fait pour pousser les gens à donner. Qu’ayant tellement intériorisé  le message, cette femme s’y soumet comme de son propre gré.   Nous aurions là l’illustration parfaite de ces prisons mentales dans lesquelles les puissants réussissent à maintenir les petits enfermés. Face à un tel système, comment ne pas être révolté ?   Pourquoi, personne n’a-t-il empêché cette femme de faire ce don ? Pourquoi aucun riche ne s’est senti concerné par sa situation au point de détourner pour elle le don qu’il prévoyait initialement pour le temple ? »

Oui, Jésus aurait pu s’emporter  face à un acte somme toute absurde : une pauvre femme sacrifiant sa vie pour quelque chose qui ne sauve pas, quelque chose qui est appelé à disparaître (Jésus annoncera la destruction du temple dans le passage qui suit notre récit).

Au lieu de cela, il réunit ses disciples et leur apprend à voir dans un tel geste un renversement de valeur : « Cette pauvre veuve a mis plus que tous ceux qui ont mis quelque chose dans le Trésor. »  Au lieu d’attaquer encore plus ses adversaires, Jésus rassemble ses disciples et leur apprend  à accueillir toute la dignité s’exprimant  parfois maladroitement dans les gestes des petits.

En tant que veuve et pauvre, cette femme aurait eu toutes les bonnes raisons de passer son temps à vouloir remplir, garder, protéger. Or au lieu de cela, elle adopte une toute autre attitude face à la vie.

En donnant au lieu de retenir,  elle ne cherche pas à combler le manque, à l’éviter par tous les moyens. Mais elle le côtoie tranquillement, comme s’il était un hôte normal de son existence.

Au moment où Jésus voit cette veuve agir ainsi, il est au seuil de sa passion. Il est à Jérusalem et il sent bien au rythme où vont les choses que la tension ne peut que se durcir avec les scribes et les autres autorités religieuses.

En s’asseyant et en observant les gens qui passent sur l’esplanade du temple, peut-être que Jésus cherchait un sens qui l’aiderait à endurer le dur combat qu’il allait devoir traverser.

eauEn se laissant saisir par le geste de cette femme, Jésus a trouvé là l’étincelle qu’il cherchait. Cette veuve lui a rappelé  le parfum de Dieu. A son contact, Jésus a trouvé le sens qui lui a peut-être permis par la suite de se détourner de sa colère, de ce qui aurait pu l’aigrir jusqu’à la fin de ses jours. A son contact, il a retrouvé le goût de cette grande vérité :

« Comme une eau, la vie nous traverse et pour un temps nous prête ses couleurs. Puis elle se retire et nous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut apprendre à côtoyer. » (Nicolas Bouvier, De l’usage du monde)

Puissions-nous à sa suite trouver auprès des petits, des situations humbles et simple de l’existence le parfum divin nous remettant dans l’axe de la vie et nous aidant à endurer en étant guidé par une force plus grande que la colère les combats de l’existence !

Amen

Luc-Olivier Bosset