Les récits de la Genèse nous décrivent une humanité qui n’arrive pas à instaurer un véritable vivre ensemble. Nous allons méditer sur la préférence étonnante de Dieu envers Abel  suite  aux  offrandes, aux cadeaux que lui font Abel et Caïn.

Genèse 4 v 2b à 7


familleAu bout de quelque temps, Caïn fit à l'Éternel une offrande des fruits de la terre et Abel, de son côté, en fit une des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse. L'Éternel porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande ; mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn et sur son offrande. Caïn fut très irrité, et son visage fut abattu. Et l'Éternel dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité, et pourquoi ton visage est-il abattu ? Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à la porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi, domine sur lui. Cependant, Caïn adressa la parole à son frère Abel ; mais, comme ils étaient dans les champs, Caïn se jeta sur son frère Abel, et le tua. L'Éternel dit à Caïn : Où est ton frère Abel ? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ? Et Dieu dit : Qu'as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi. Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et vagabond sur la terre. Caïn dit à l'Éternel : Mon châtiment est trop grand pour être supporté. Voici, tu me chasses aujourd'hui de cette terre ; je serai caché loin de ta face, je serai errant et vagabond sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera. L'Éternel lui dit : Si quelqu'un tuait Caïn, Caïn serait vengé sept fois. Et l'Éternel mit un signe sur Caïn pour que quiconque le trouverait ne le tuât point. Puis, Caïn s'éloigna de la face de l'Éternel, et habita dans la terre de Nod, à l'orient d'Éden.


Introduction

Dimanche dernier en méditant ce même texte nous avions vu  que le disfonctionnement  de la  relation entre l’humain et Dieu dans le jardin d’Eden était tout aussi présent dans le récit que nous venons d’entendre entre le mari et l’épouse, la mère et l’enfant, le père et l’enfant, le frère et le  frère. Les deux premiers versets de Genèse 4 nous ont permis d’approfondir cette question dimanche dernier.
Les récits de la Genèse du chapitre  quatre au chapitre onze nous décrivent donc  une humanité qui n’arrive pas à instaurer un véritable vivre ensemble. Ce matin nous allons méditer sur la préférence étonnante de Dieu envers Abel  suite  aux  offrandes, aux cadeaux que Lui font Abel et Caïn. Toutefois, nous n’oublierons pas que cette préférence peut être interprétée d’une  manière plus théologique. En effet, Il est à noter que dans toute la bible lorsque  Dieu choisit un individu et l’appelle à témoigner de sa présence dans le monde, il choisit souvent le second et non pas l’ainé de la famille. C’est le théologien catholique italien Enzo Bianchi qui nous rappelle cette constante biblique. En effet, Dieu décide que l’accomplissement de sa promesse de Salut passera par le second d’une famille comme avec Ismaël et Isaak,  Esaü et Jacob, ou le dernier enfant de la famille d’Isai comme le petit David. Et, chose amusante, l’Apôtre Paul présentera le Christ Jésus comme un second Adam… Histoire de nous rappeler que l’inattendu de Dieu se révèle plus dans les  petites choses que dans les grandes, à travers des individus qui ont peut être moins de panache, moins de notoriété que d’autres. Histoire aussi de nous dire que Dieu nous réserve toujours le meilleur en dernier.

 

Une précision sur cette notion d’offrande

Réécoutons un court passage de Genèse 4 que nous allons méditer ce matin : « Au bout d’un certain temps, nous dit la Bible, Caïn apporta des fruits du sol comme offrande à l’éternel. Abel, lui aussi, apporta des premiers nées de son petit bétail avec leur graisse…L’Eternel porta un regard favorable sur Abel son offrande, mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn, ni sur son offrande. Caïn fut très irrité, et son visage fut abattu. »

Commençons par une première précision : faire une offrande à Dieu ce n’est pas lui donner à manger pour le nourrir, ou lui apporter des supers bijoux, des ipods, des iPhones, des Ipads, de l’or…Histoire de le couvrir d’or en espérant en retour avoir sa pleine sollicitude. Faire une offrande a Dieu, c’est lui offrir surtout ce qui à nos yeux à le plus de prix…Pour un berger c’est donc les premiers nés de son bétail et pour un cultivateur les fruits de sa récolte… C’est une manière de reconnaitre que tout vient de Dieu et l’offrande manifeste cette reconnaissance…Par exemple, le fait que nous réussissions nos examens, nos devoirs en classes. Le fait que nous arrivions aux résultats souhaités par notre entreprise, nous savons tous que cela n’est pas seulement  dû au fruit de notre travail…Ce que nous sommes nous le devons aussi aux autres…Si nous avons appris à marcher, à compter et à parler c’est aussi grâce à nous même mais aussi  à nos parents, si nous sommes devenus chrétiens c’est aussi grâce aux témoins que Dieu a placés sur notre route, si nous pouvons nous nourrir correctement c’est grâce à nos talents d’agriculteurs et d’éleveurs mais aussi grâce à cette création que nous devons dompter de temps à autre et protéger à la fois, si nous sommes des êtres vivants c’est grâce à Dieu.

 

Une offrande plus généreuse d’Abel ?

Abel et Caïn sont tous les deux dans cette reconnaissance, ils sont conscients de l’effort qu’ils ont fourni tout en se souvenant qu’ils sont des êtres en relation avec la nature, les autres, Dieu lui même … Ceci dit, à mes yeux de citadins, je ne considère pas que l’offrande d’Abel soit plus intéressante que celle de Caïn… Toutefois beaucoup de commentaires considèrent que l’offrande d’Abel est plus généreuse, plus essentielle que celle de Caïn et tous ces commentaires s’appuient sur une parole de la lettre aux hébreux dans le nouveau testament qui dit  « c’est par la foi qu’Abel offrit à Dieu un sacrifice de plus grande valeur que celui de Caïn, par elle, il fut déclaré juste, Dieu lui-même rendant témoignage à ses offrandes, et par elles quoique mort, il parle encore ».

Je pense que le rédacteur de la lettre aux hébreux était dans une autre problématique théologique : celle de la justification par la foi.

 

L’injustice !

Le rédacteur du récit de Genèse 4 est dans une autre problématique : celle du comportement de l’être humain face à une injustice flagrante. Le rédacteur de Genèse 4 construit son récit de telle façon qu’il nous encourage  à  suivre de prés cette  « injustice » que subit Caïn.   Et les adolescents qui sont avec nous ce matin  sont, peut-être, encore plus sensibles que nous à toutes décisions, paroles et actes qui leurs semblent injustes. Le rédacteur de Genèse 4  organise son récit dans le seul but de nous interroger sur ce mécanisme de l’injustice.
Le texte de Genèse 4 avions-nous dit aussi, dimanche dernier, nous décrit une double injustice d’Eve vis-à-vis de ses fils : « un excès d’amour pour Caïn, et un défaut de considération pour Abel ». Avec cet excès d’amour envers Caïn et à ce défaut de considération d’Abel nous avions relevé aussi trois autres disfonctionnements de la relation : le premier s’attardait sur la domination d’Adam sur Eve, le second sur la manière dont Eve évacuait Adam de son rôle de géniteur, de père et  le troisième sur une humanité qui tentait de s’approprier Dieu en vain. L’injustice avait donc déjà frappée Eve dans sa relation avec Adam, elle continue ici sont œuvre de chaos au sein de sa propre famille, et en particulier au sein de la fratrie. Réécoutons le verset qui nous fait souvent bondir. « L'Éternel porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande ; mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn et sur son offrande »
Dieu en donnant un regard favorable sur l’offrande d’Abel commet, à nos yeux, une terrible injustice à l’égard de Caïn…Voire même, se dit-on en nous même : « C’est Dieu qui par ce choix  pousse Caïn à supprimer son frère Abel »…Bref, ici Dieu peut nous apparaitre comme un Dieu injuste voire un manipulateur sadique….Nous avons vraiment beaucoup de difficultés à interpréter autrement ce passage lorsque nous l’entendons pour la première fois.

 

La place que nous occupons au sein de nos familles…

Notre Dieu serait-il vraiment injuste ? Est-ce vraiment ce regard favorable  de Dieu pour l’un et défavorable pour l’autre  qui crée chez Caïn un sentiment d’injustice ? Ou bien ce regard défavorable  de Dieu ne met-il pas en pleine lumière une autre réalité ?  Essayons d’interpréter autrement ce passage. Dieu en  portant un regard favorable sur l’offrande d’Abel  ne lui permet-il d’exister pleinement au sein de cette famille qui semble l’avoir mis, dès le début, sur le bas côté de la route ? Nous pourrions dire aussi à la suite du théologien Andrée Wenin que par cet acte de choisir l’offrande d’Abel, Dieu encourage Caïn à ouvrir les yeux et à découvrir qu’il a un frère et qu’il serait peut être temps d’engager un véritable dialogue avec son frère cadet…Le rédacteur de Genèse 4 nous conduit, par sa narration, à entendre pleinement le sentiment d’injustice de Caïn  mais aussi  à revisiter certains liens que nous avons tissés, que nous tissons avec tous ces  prochains que nous côtoyons chaque jour.

 

Dieu propose un rééquilibrage relationnelbalance

Nous pourrions dire encore que Dieu tente ici un rééquilibrage dans la relation au sein de cette famille. Ne serait-il pas temps qu’Eve réalise, une fois pour toutes, qu’elle a un second, Abel, que celui-ci est aussi aimé par Dieu. De même pour  Adam ! Qu’il tienne enfin son rôle de mari, de père dans cette famille…Bref, le rédacteur nous fait prendre conscience d’une réalité invisible à nos yeux mais étonnamment présente dans le tissage de nos relations familiales, sociales, communautaires. Lorsqu’un individu dans une famille considère que c’est lui qui doit être au centre et personne d’autre. Toute remise en question devient vite insupportable pour cet individu. Et c’est exactement ce qu’il se passe dans ce récit. Abel, que Dieu tente de faire exister auprès des yeux de Caïn, ne génère chez Caïn qu’irritation, colère, jalousie et donc envie de meurtre afin d’être seul sur la place, seul au centre…Caïn n’est pas en mesure de comprendre que Dieu cherche à le repositionner correctement au sein de cette famille, et donc qu’il est temps pour lui de s’inscrire dans une juste relation avec son frère. Caïn voit en Abel un concurrent  qui cherche à lui prendre cette place centrale qu’il occupe depuis le début pensant qu’elle lui est dûe. La conclusion de Caïn est logique, froide, implacable il doit donc éliminer ce concurrent, funeste erreur ! Il ne sert à rien, vous vous en doutez bien, lorsque nous écoutons ce récit de chercher à juger le comportement de Caïn, de Dieu, d’Eve, d’Adam. Le rédacteur nous fait seulement prendre conscience que le sentiment d’injustice réel que vit Caïn s’enracine dans un positionnent familial faux donc intenable, destructeur, castrateur…. Etre délogé de ce centre c’est donc une mort existentielle aux yeux de Caïn. Et la meilleure façon de ne pas mourir c’est d’éliminer celui qui, aux yeux de Caïn est une réelle menace.  J’attire votre attention sur cette expression « occuper le centre » car aux yeux de l’Evangile lorsque ce centre est vide de la seule présence de Dieu, les justes liens entre les individus retrouvent leurs dynamismes comme par enchantement…(Je répète)
Dieu  va donc  échouer dans sa tentative  de  convaincre Caïn de s’engager sur un autre chemin. Il n’empêchera pas l’acte terrible de Caïn de tuer Abel. Mais le rédacteur de ce récit lui n’a pas échoué puisqu’il nous a permis de prendre conscience, d’une manière plus fine, que nous devions apprendre à laisser vivre la présence de Dieu au centre de notre vie, au centre de nos familles, de nos communautés… Toutefois,  le fait que Dieu  n’empêche pas le meurtre de Caïn  peut nous sembler scandaleux.
Dieu intervient pourtant pour permettre à cette famille de trouver un juste équilibre. Mais son intervention  est d’une extrême délicatesse, c’est comme lorsqu’un ami s’approche de nous, il ne veut pas nous froisser, il ne veut pas s’immiscer dans notre vie. Il donne un simple  conseil. Ou encore, comme un cabinet conseil qui s’approche de vous et vous conseille de prendre cette direction plutôt qu’une autre. Vous n’êtes pas obligés de suivre ce conseil. Avec Dieu il en est donc  de même, il nous conseille avec délicatesse d’aller au culte le dimanche, par exemple,  mais nous pouvons faire un autre choix, même si nous le regrettons après…C’est le choix de Dieu de ne pas nous imposer une décision. Et c’est notre liberté de suivre ou non les conseils bienveillants de Dieu. Il nous a créés à son image  comme des êtres libres et responsables devant Lui. Mais en nous créant libre et responsable, il nous a aussi offert la possibilité en Jésus Christ d’accueillir sa présence. Lorsque sa présence règne au centre de notre vie, au centre de nos relations familiales, communautaires, sociales, chaque individu est plus à même de trouver sa place et de tisser de vraies et profondes relations avec son prochain et ça c’est une sacré bonne nouvelle !

Amen

Jean-Pierre Julian