Quand je vis une rencontre authentique avec l’autre, une rencontre qui me permet de sortir des généralités, des images, des projections, alors émerge dans la relation qui se tisse le sentiment que ce qui nous lie est plus profond que tout ce qui pouvait nous  diviser  jusque là.

ensembleJean 15, 9-16

De l’amour dont le Père m’a aimé, je vous ai aimés. Habitez mon amour. Si vous observez mes commandements comme j’observe ceux de mon Père, vous aurez mon amour en vous comme j’ai celui du Père en moi. Je dis cela pour que ma joie soit la vôtre, pour que vous soyez plein de joie.

Aimez-vous de l’amour dont je vous aimais, voilà mon commandement. Il n’est pas d’amour plus grand que celui-ci : quitter la vie pour ceux qu’on aime.

Si vous faites ce que je vous demande, alors vous êtes mes amis. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que fait son maître, je vous appelle amis, car je vous ai transmis tout ce que j’ai entendu de mon Père.

Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis, et je vous ai affermis pour que vous poussiez, que vous donniez des fruits, des fruits durables, et que tout ce que vous pourriez demander au Père en mon nom, il vous le donne. Ayez de l’amour les uns pour les autres, voilà mon commandement.

La bible Second

 

Chant : Seigneur, tu es devant !

Refrain :

Au hasard des rencontres naît la fraternité Où nous emmènes-Tu, Seigneur ?  Tu es devant

Strophe 1

Les questions des enfants désireux de grandir nous conduisent à sortir de nos cœurs engourdis. Devant nos yeux surpris d’hommes au coeur d’enfant Tu nous enseignes,  Seigneur, des gestes patients

Strophe 2

L’homme fragilisé par le poids de la vie  éveille en nous l'envie d'une visite, d’un partage. Devant  nos yeux surpris  face à un tel visage Tu fais surgir en nous des trésors  infinis

Strophe 3

Les champs sont parsemés des fleurs de l'espérance Mais mon frère blessé attend dans l’impatience. Comment trouver Seigneur, pour lui la confiance ? Tu nous dis : va, les mains nues et reste en ma présence

chanson créée par le Conseil de secteur Mer et Vignes

 

Prédication

Quand je vis une rencontre authentique avec l’autre, une rencontre qui me permet de sortir des généralités, des images, des projections, alors émerge dans la relation qui se tisse le sentiment que ce qui nous lie est plus profond que tout ce qui pouvait nous  diviser  jusque là.

En rencontrant un musulman, un cévenol, un socialiste, un européen convaincu, nous savons parce qu’il est  musulman, cévenol, socialiste ou européen convaincu qu’il pourra réagir de telle ou telle façon. Généralement, ce qu’on sait de lui n’est pas nécessairement faux, mais dans la rencontre, il émerge  quelque chose d’un autre ordre.  Quelque chose qui vient complexifier, humaniser le regard que je porte sur l’autre.

J’ai vu dans l’église des gens s’écharper parce qu’ils ne partageaient pas les mêmes idées politiques ; mais j’ai vu aussi dans l’église, ces mêmes gens de bords totalement différents quelques temps après faire preuve à l’égard de l’autre d’un geste désintéressé suscitant un profond étonnement.   Alors qu’ils pensaient l’un et l’autre leur brouille être insurmontable, au fil des rencontres,  leur relation a pu se nouer  autour d’un autre noyau que celui  formé par les convictions politiques.   Que cela ait pu être possible, ils en étaient l’un et l’autre touché et sensibles.

Je crois que l’église remplit sa mission lorsqu’elle permet de vivre de telles rencontres où l’on sort de la généralité, où l’on va plus loin que son agacement pour nouer en vérité  des liens  fraternels.

charlieAujourd’hui, notre volonté de fraternité est mise à mal ; car face à la barbarie qui se déchaine, comment être fraternel ?  La grande marche du 11 janvier dernier a été un moment fort de fraternité où beaucoup, avec plus ou moins de conviction, nous étions réuni sous un même nom : Charlie.  Un nom qui nous tombait dessus comme un nom de famille. Mais cette grande marche, aussi impressionnante qu’elle a été n’a pas suffit à endiguer le poison.  Aujourd’hui, nous sentons qu’il nous faut aller plus loin.

Face de cette violence aveugle commise par des jeunes hommes  ayant grandi en France,  face à ces hommes  ayant trouvé dans une cause  radicale et violente un sentiment très fort d’appartenance au point de vouloir faire exploser le vivre ensemble de la société dans laquelle ils ont grandi, il y a lieu pour analyser la situation de prendre la mesure du plus grands nombres de paramètres afin de ne pas proposer des interprétations  culturelles réductrices  : les blocages sociaux, le problème du  chômage et  de l’avenir dans le monde du travail. 

Le 11 janvier dernier,  ce qui a poussé cette foule compacte, recueillie dans les rue, n’était-ce pas  au delà de l’effroi, des retenues, des pesanteurs, un désir profond, peut-être maladroitement exprimé, de trouver un fruit nous permettant de vivre durablement ensemble ? 

Nous nous étions réunis pour manifester notre attachement à la liberté, cependant plus la marche avançait, plus je me suis demandé si le fruit durable ne serait pas la fraternité.

Souvent nous entendons le discours suivant : « les inégalités progressent, la concurrence et la compétition s’étendent partout ; en conséquence de quoi les solidarités se délitent.  Mais si c’était l’inverse ?  Si c’était d’abord parce que nous nous sentons moins liés les uns aux autres que nous laissons du coup filer les inégalités, qui nous semblent moins graves et presque fatales ? Pour mieux vivre ensemble, ne faut-il pas dès lors d’abord retrouver l’envie de vivre ensemble ?  Car si j’ai conscience d’avoir des liens avec celles et ceux qui m’entourent, si je me sens solidaires d’eux, alors je désirerai plus de justice, plus d’équité entre nous tous, et même j’y verrai mon intérêt. » ( message du président  Laurent Schlumberger, Synode national de l’EPUdF 2015) 

Le fruit durable nous permettant de sortir par le haut de notre situation, c’est bien sûr tenir ferme à la liberté, veiller sur l’égalité, mais surtout me semble-t-il de trouver un chemin renouvelé de fraternité.

En avons-nous envie ?

La fraternité est-elle de l’ordre de l’envie ?

Pour cheminer autour de cette question, écoutons cette parole du Christ :

«  Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis, et je vous ai affermis pour que vous poussiez, que vous donniez des fruits, des fruits durables.»

Là, il n’est pas question d’envie. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisi.

« La fraternité n’est ni quelque chose d’ordre moral comme le serait la philantropie, ni quelque chose d’électif comme le serait l’amitié. Elle est le contraire de l’indifférence qui délaisse ou de la tribu qui enclot. La fraternité, c’est un lien inconditionnel d’interdépendance entre égaux. »

Oui, inconditionnel !

« J’ai des collègues, des associés, des amis, des complices, des camarades ou des potes, mais ce qui fait le frère ou la sœur, c’est l’inconditionnel. Le fait de se recevoir mutuellement sans s’être choisis, se découvrir embarqués dans un lien qui nous précède et nous survit, se percevoir unis par quelque chose qui nous est extérieur et nous dépasse !

Nous avons besoin de vivre ce sentiment d’inconditionnel. Il nous est indispensable. Si nous ne faisons pas l’expérience, au moins une fois dans notre vie, d’un lien inconditionnel, si nous n’avons pas la conscience d’avoir été, ne serait-ce que par une seule personne  reconnu inconditionnellement, nous dépérissons. Car l’expérience de l’inconditionnel nous dit en quelques sorte : ta place est marquée, avant même que tu aies à te justifier. Tu es compté, oui, tu comptes.  La fraternité, c’est cet inconditionnel, nécessaire à l’être humain pour exister, et qui est vécu entre égaux. » ( message du président  Laurent Schlumberger, Synode national de l’EPUdF 2015)

Dans le refrain de cette chanson que nous venons d’entendre, la fraternité y est présentée comme un fruit particulier qui émerge lorsque nous allons au devant des autres. N’est-ce pas un peu candide d’affirmer cela ?

Car aujourd’hui, quand nous allons au devant des autres, est-ce bien la fraternité que nous récoltons comme fruit ?

Aujourd’hui, quand un blanc assassine froidement des noirs dans une église, quand avec chaque jour qui passe, des  fanatiques sunnites étendent et consolident en Syrie et en Irak les structures d’un état totalitaire en massacrant leur coreligionnaire chiites, en réduisant en esclavage des minorités yézidis, druze, en décapitant des opposants ainsi que des occidentaux ;

Aujourd’hui, quand pour réagir, européens et américains bombardent tant et plus tout en veillant à ce que leur société à l’interne respecte et intègre leurs minorités d’origine musulmane ;  lutte par tous les moyens  pour endiguer les actions terroristes. 

Aujourd’hui, quand dans des migrants fuyant pour beaucoup ces zones de conflits sont abandonnés à des mers ou à des terres cruelles.

Je pourrais sans peine allonger cette sinistre énumération. Dans un tel contexte, le fruit qui se répand, se multiplie, s’amplifie n’est-ce pas la haine ? Et avec elle, la peur !

Aujourd’hui, la peur monte ; la peur de l’autre et avec elle, le besoin de se positionner pour ne pas se laisser être écrasé par lui.  Tout le monde a peur. Le Gaulois a peur d’être phagocyté par l’arabo-musulman ; l’arabo-musulman a peur d’être dissous dans le moule occidental. La rencontre apaisée entre eux semble tellement inédite, inconcevable qu’on s’imagine ne pas être de taille, ne pas être capable de  pouvoir l’éprouver un jour.

Du coup, à cause de ce genre de croyance, on laisse son existence être appauvrie, on laisse les relations se restreindre.  On sort du fleuve des virtualités infinies de la rencontre, pour être placé sur un coin de rive en friche où il ne se passe que ce que nous appréhendons, c’est à dire  rien de fécond et constructif.

Alors que nous traversons un tel hiver, cela peut sembler dérisoire d’écouter les paroles de Jésus appelant à ce que « nous ayons de l’amour les uns pour les autres ». Tellement utopique et candide !  Certains sourient en nous disant : Franchement, croyez-vous vraiment qu’en prêchant une telle morale  vous pourrez renverser la tendance ?

A ceux-là, j’ai envie de leur répondre : en écoutant ces paroles, il ne s’agit pas de prêcher une quelconque morale, - qui suis-je pour le faire ? -, mais  il s’agit simplement de ménager un temps dans le flux ininterrompu des actualités pour mieux regarder le Christ et en le regardant, le laisser nous introduire dans un lien inconditionnel.

Oui, regardons-le Ne regardons  pas sa divinité, mais  plutôt sa liberté Ne nous arrêtons  pas aux histoires exagérées de son pouvoir, Mais plutôt de laissons-nous émouvoir par  sa capacité infinie à se donner à autrui

Ne nous fixons pas  à la mythologie des premiers siècles qui l’entoure Mais regardons son courage d’être, sa capacité de vivre et la qualité contagieuse de son amour.

Il a beau avoir vécu il y a 2000 ans et faire partie du passé, pour ce qui est de faire germer la fraternité,  il est devant !  Par ses paroles et sa vie, il a planté dans notre histoire quelque chose de puissamment  fécond.

«  Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis, et je vous ai affermis pour que vous poussiez, que vous donniez des fruits, des fruits durables

solidariteJésus le Christ est celui qui nous introduit dans un tel lien inconditionnel de fraternité. Cela,  nous ne le décidons pas de nous-mêmes.  Nous n’y sommes pour rien. En nous révélant Dieu comme  notre Père, Il nous constitue ainsi, devant Dieu, comme ses frères et ses sœurs.

Dans cet hiver que nous traversons, la parole de Jésus peut sembler dérisoire, mais elle porte en elle le miel nous permettant de persévérer jusqu’à ce que le printemps advienne.

Le miel, c’est de réaliser que nous sommes au service d’une mission qui n’est pas la nôtre. La fraternité n’est pas notre bébé. Notre rôle n’est pas d’accomplir  en l’imposant, ce que nous pensons et croyons  devoir être la fraternité.  Si nous nous retrouvons sur ce chemin, ce n’est pas parce que nous l’avons choisi, mais parce que nous avons été choisi.

Aujourd’hui, quand et comment la fraternité adviendra, cela nous ne le maitrisons pas.  Quelle forme prendra  dans une société laïque comme la nôtre, la fraternité entre des gens s’alimentant à des sources spirituelles, culturelles, politiques  si différentes ? Je suis très curieux de le savoir.  En attendant, à la place où j’ai été planté, je vis et rencontre au hasard plein de personnes. Là, dans chacune de ces rencontres, aussi difficiles et délicates qu’elles soient, je me dis que  La fraternité, je n’ai pas à la fabriquer, seulement la permettre. Permettre à ce qu’elle émerge, sous une forme différente peut-être de toutes celles que nous connaissons déjà.

Souvent nos démarches se font sur du sable, nos gestes se dissolvent dans l’air qui passe.  Mais, gardons confiance !   Parce qu’il nous a choisi, le Messie travaille pour que pousse en nous et au travers de nous des fruits qui donnent de la durée au temps.

Si tu fatigues, rappelle-toi que quelqu’un t’a institué, quelqu’un qui n’est pas toi, mais qui en toi tient bon et  te fait confiance. Parce que c’est lui qui t’a envoyé sur un tel chemin, Il est devant !

Amen